Le pasteur évangéliste haïtien Grégory Toussaint, résidant à Miami, a exprimé ses griefs aux nouvelles autorités de transition de son pays d’origine le 19 juin, concernant la réforme du système judiciaire haïtien et la pénalisation de l’homophobie. Son objectif est d’obtenir l’abrogation ou l’amendement du nouveau code pénal de 2020, dont les décrets d’application ne sont toujours pas entrés en vigueur en raison de l’instabilité causée par les gangs.
Croisade évangéliste contre la justice
Le code pénal actuel, adopté par l’ex-président Jovenel Moïse en l’absence d’un parlement élu, est censé remplacer le précédent datant de 1835, qui ne contient aucune disposition contre les discriminations, notamment envers les personnes LGBT+. Or, c’est précisément ce point qui soulève le plus de controverses parmi les secteurs religieux et conservateurs évangélistes de la société haïtienne.
En effet, les articles en question concernent la définition des discriminations ainsi que les peines encourues (articles 362, 363 et 699). D’ailleurs, d’autres textes liés aux sanctions en cas de meurtre, de viol et d’agression physique envers les personnes LGBT+ sont également dans le collimateur du pasteur Grégory Toussaint (articles 248, 275, 278 et 298).
Aujourd’hui, dans une lettre ouverte, Merlin Jean, défenseur des droits humains de l’organisation Héritage Pour la Protection des Droits Humains (HPDH), souhaite apporter la contradiction aux évangélistes et à leur chef de file.
Lettre ouverte aux évangélistes
« Pasteur Grégory,
Votre récente intervention concernant le nouveau code pénal haïtien a suscité de nombreuses réactions et bien que vos préoccupations soient très prégnantes dans le débat-public, il devient nécessaire d’apporter une réponse équilibrée afin de mettre en lumière certains points de désaccord.
1. Nécessité de la modernisation :
Le code pénal haïtien, datant de 1835, est largement dépassé. La modernisation de ce cadre légal est pourtant essentielle pour pouvoir refléter les évolutions sociales, économiques et technologiques de notre époque. Cependant, rejeter cette révision sous prétexte qu’elle contient des éléments controversés pourrait compromettre l’adaptation nécessaire de notre système judiciaire aux réalités actuelles.
2. Accusations de financement suspect :
Vous avez évoqué un financement de 15 millions de dollars destiné à promouvoir le code pénal, insinuant des influences extérieures douteuses. Toutefois, sans preuves tangibles, ces affirmations restent spéculatives et sèment la confusion et la méfiance au sein de la société civile, tandis qu’une analyse transparente et documentée est indispensable pour étayer de telles accusations.
3. Interprétation des dispositions juridiques :
Ainsi votre interprétation de l’article 301, affirmant qu’il pourrait tolérer des actes sexuels non forcés avec des animaux, semble exagérée [NDLR : on peut même dire mensongère]. La loi ici vise clairement à pénaliser les actes forcés. En revanche, une lecture alarmiste et biaisée ne contribue jamais à un débat constructif. C’est la raison pour laquelle les réformes doivent être discutées de manière rationnelle et factuelle.
4. Représentation des valeurs haïtiennes :
Avec le temps, les valeurs d’une société évoluent. Ce qui était moralement inacceptable il y a plus d’un siècle peut ne plus l’être aujourd’hui. C’est pour cela que le nouveau code pénal doit intégrer les progrès en matière de droits humains et de libertés individuelles. Rejeter des réformes sous prétexte de préserver des valeurs anciennes peut au contraire freiner l’évolution positive de la société.
5. Rôle des leaders religieux :
Aussi, les leaders religieux évangélistes, tout en étant des voix respectées, ne doivent pas monopoliser le débat sur les réformes législatives. Or, il est crucial que l’État maintienne une séparation entre les doctrines religieuses et les lois civiles pour garantir un cadre légal inclusif et respectueux de la diversité des croyances.
6. Urgence des réformes :
Néanmoins, le report constant de la publication du nouveau code pénal pourrait retarder des réformes indispensables. Au lieu de demander un report indéfini, il serait plus productif de participer activement au processus de révision, en apportant des suggestions concrètes pour améliorer le texte.
7. Consultation publique et participation :
Plutôt que de s’opposer catégoriquement, il serait bénéfique de promouvoir une consultation publique élargie, afin d’impliquer divers acteurs de la société, y compris des juristes, des sociologues, et des représentants des droits humains. De la sorte, cela pourrait aboutir à un consensus sur les réformes nécessaires, équilibrant ainsi tradition et modernité.
8. Bénéfices de la réforme :
Actuellement, un code pénal modernisé permettrait de mieux protéger les droits des citoyens, d’améliorer la justice, et de répondre aux défis contemporains tels que la cybercriminalité, la traite des personnes, et d’autres formes de criminalité moderne. En effet, il semble crucial de considérer ces bénéfices plutôt que de se focaliser uniquement sur des aspects perçus comme immoraux.
En conclusion, tout en respectant votre souci pour les valeurs morales évangélistes, il est vital d’adopter une approche constructive et collaborative pour réformer notre code pénal. Également, travaillons ensemble pour bâtir un cadre légal qui reflète les réalités contemporaines tout en respectant les fondements éthiques de notre société.
Respectueusement ».
Merlin JEAN
Directeur, exécutif HPDH
Psychologue, psycho- éducateur de formation
Coordonnateur CLM Nord-Est