Revue de presse : Dans le milieu du football mondial, ouvertement machiste et homophobe, être gay, c’est le dernier tabou. Le joueur ne s’interdit pas de l’être, mais se défend de le dire.
Allez, parmi les joueurs en activité qui ont parlé publiquement de leur homosexualité, il y a bien le milieu de terrain américain Robbie Rogers, passé par Leeds United, en Angleterre. Le défenseur Anton Hysén, qui évolue en D2 suédoise. Et ensuite ? Eh bien, c’est tout. Officiellement, le reste du petit monde du foot mondial est hétéro. Dans la réalité, les choses sont évidemment différentes : il n’y a aucune raison pour qu’on ne puisse pas aimer, dans le même temps, des jolies fesses de garçon et le ballon rond. Mais le dire reste, dans le milieu du foot, l’ultime tabou.
En France, Olivier Rouyer est le seul footballeur à avoir parlé de son homosexualité. L’ancien attaquant international de l’AS Nancy-Lorraine, coéquipier de Michel Platini dans les années 70, a fait son coming out en 2008… à l’âge de 53 ans. Soit vingt ans après la fin de sa carrière. Les quelques autres joueurs qui ont osé dire que, oui, shocking news, ils aiment les hommes (on pense notamment à l’Allemand Thomas Hitzlsperger) l’ont également fait après avoir raccroché les crampons. Trop dur à assumer avant. Trop de pression. Aujourd’hui consultant pour Canal + et très à l’aise dans ses baskets, Olivier Rouyer se souvient que, dans les années 70 et 80, il avait des copines «pour montrer que j’étais avec des filles». «J’avais peur du regard des autres, de me faire siffler, de me faire montrer du doigt, raconte-t-il. Si j’étais allé dire à mon président de club « oui je suis homo », je pense qu’il aurait fermé la porte tout de suite. Et je sais que, plus tard, un club a renoncé à me recruter en tant qu’entraîneur car les dirigeants avaient appris mon orientation sexuelle.»
Prétendre être hétéro pour avoir la paix
Si les footeux ont tant de mal à parler d’homosexualité, c’est que les supporteurs, eux, ne se gênent pas pour aborder constamment le sujet. Il y a les chants d’insultes, les banderoles, les «oh hisse enculé» quand le gardien de l’équipe adverse dégage. On se souvient aussi des sorties sur les «pédés» et la «petite tarlouze» (en parlant d’un joueur auxerrois) de Louis Nicollin, président du club de Montpellier depuis 1974. Bref, un vrai folklore homophobe. «C’est vraiment un milieu très macho, très conservateur», appuie le journaliste Jérôme Jessel, qui a signé plusieurs livres sur les coulisses du foot pro. «J’ai rencontré des joueurs gays de Ligue 1 et 2 [L 1 et L 2], mais ils ne parlent jamais à visage découvert. Ils craignent pour leur carrière, pour leur vie dans les vestiaires… C’est un vrai drame qui se joue au quotidien. Ils savent bien que, s’ils font leur coming out, ils vont être insultés pendant toute la rencontre par des supporteurs débiles. En 1990, l’Anglais Justin Fashanu a eu le courage de le faire et ça s’est terminé de manière tragique : il s’est suicidé.» (1)
Ça, c’est pour le foot pro. Mais «même dans les petits clubs, les gays préfèrent prétendre être hétéros pour avoir la paix», décrit le psychologue du sport Anthony Mette, qui a mené plusieurs enquêtes sur l’homophobie sur les terrains. «Amateurs ou pros, ce sont des hommes qui ont une double vie, qui sont tout le temps en train de faire semblant, qui ne sont pas à l’aise avec eux-mêmes», s’alarme l’auteur des Homos sortent du vestiaire. «Ils sont donc très anxieux, stressés, ont souvent des épisodes dépressifs, voire des idées suicidaires. C’est extrêmement grave et ça peut impacter les performances, mais les entraîneurs et les joueurs hétéros que j’ai rencontrés ne réalisent pas à quel point.» Certains finissent tout de même par s’en rendre compte, un peu. Interrogé par Libération, Elie Baup, ancien entraîneur (de Bordeaux et de Marseille, entre autres), évoque ce joueur, dans une équipe qu’il coachait, qui l’a mis dans la confidence. «Le fait de ne pas pouvoir vivre sa relation comme les autres, je pense que ça a pu le gêner, oui, lâche-t-il. Il y a des événements dans les clubs, comme l’arbre de Noël, auquel les compagnes et les familles sont invitées. Le gars avait du mal à amener son copain.» Un autre joueur lui a également fait part de son homosexualité. «Quand ils en ont discuté avec moi, ça a permis de passer un cap, d’être plus à l’aise, c’était mieux pour eux.» Mais, à chaque fois, Baup ne sait pas si le reste de l’équipe était au courant. «Ils avaient peur par rapport au groupe car c’est un milieu compétitif, il y a plein de gars qui cachent diverses choses. Il faut donner l’image parfaite du plus performant.»
Pourtant, dans bien d’autres domaines où l’apparence est primordiale, comme le cinéma ou la musique, les choses s’améliorent et de plus en plus de célébrités osent parler librement de leur orientation. Pourquoi le foot reste-t-il si coincé ? Anthony Mette pointe du doigt les centres de formation. «C’est le fait de regrouper des garçons entre eux dans un contexte de performance qui va créer une dynamique de groupe très particulière. On s’y soude à travers des valeurs hétéronormées qui vont exclure tout ce qui est perçu comme féminin ou homo.» Le psychologue prend l’exemple des coachs qui, lorsqu’il les interroge, tiennent un discours tolérant mais ne sanctionnent jamais les gamins qui se traitent de «tarlouzes». «Du coup, ces comportements ne sont jamais actés comme négatifs.»
Eduquer pour prévenir l’homophobie
C’est donc en modifiant l’enseignement que la situation pourrait évoluer. Pour Lilian Thuram, un des rares footballeurs à s’exprimer sur le sujet, «il faudrait que les éducateurs aient un cours sur l’homophobie. Ce sont eux qui sont en contact avec les enfants et qui pourraient donner les réponses les plus rapides lorsque des attitudes posent problème». Mais, même si quelques formations sont proposées, il n’existe pas encore de programme de grande ampleur. Et quid d’une campagne, initiée par les instances du foot, prenant clairement position ?
Las, du côté du Paris Foot Gay, une asso qui tente depuis plus de dix ans de faire bouger les lignes, on constate en ce moment «un recul très net» des dirigeants du foot français dans la lutte contre l’homophobie, concomitant aux démonstrations de force de la Manif pour Tous. «On est très en colère. Pourquoi est-ce que le président de la Fédération française de foot ne s’exprime jamais sur le sujet ? Il faut des messages très clairs qui indiquent qu’il y aura des soutiens en cas de coming out.»
Dernier exemple en date de la timidité du milieu : la campagne de la Ligue de football professionnel (LFP), en octobre dernier, pendant laquelle les joueurs de L 1 et de L 2 ont été invités à revêtir des lacets arc-en-ciel. L’opération est inspirée d’une action britannique contre l’homophobie. Cependant, sa transposition française s’est faite dans le cadre d’une semaine contre le racisme – le slogan devenant un très généraliste «soyons fiers de nos différences» – et l’homophobie n’a pas été mentionnée dans le spot. Sur son site, la LFP prend même le soin de préciser que «non, le drapeau arc-en-ciel n’est pas seulement un symbole propre à la communauté LGBT». On marche sur des œufs.
Cette frilosité n’étonne pas vraiment Anthony Mette. «Ce sport est dirigé par des hommes uniquement, souvent âgés de plus de cinquante ans, qui sont dans une démarche de conservation des valeurs en place. Ça ne les dérange pas que les choses ne bougent pas.» Or, sans un réel volontarisme impulsé d’en haut, difficile pour un sportif de faire son coming out. Et sans joueur out, difficile de faire comprendre que, oui, le foot est aussi un sport «de pédés». Et qu’il n’y a aucun mal à ça.
(1) Justin Fashanu a fait son coming out en 1990, alors qu’il était encore pro, et s’est suicidé en 1998 suite à une campagne d’homophobie et d’accusations de harcèlement sexuel par un jeune de 17 ans.