Enfant, Cécile Chartrain s’adonnait au foot dans des équipes de garçons, faute de mieux. Quand, à 12 ans, elle a eu l’occasion de rejoindre une équipe féminine, ses parents ont préféré décliner l’offre. «On leur avait conseillé de ne pas m’y inscrire sous prétexte qu’il n’y avait « que des lesbiennes »», se souvient la trentenaire, aujourd’hui présidente des Dégommeuses, une équipe qui milite, entre autres, contre la lesbophobie dans le foot. Si certains ont encore du mal à croire qu’on peut être un garçon gay et aimer le foot, pour les filles, le cliché est inverse. Une fille qui sait dribbler ? C’est qu’elle doit être homo. «Historiquement, le foot est une activité d’hommes, les femmes n’y sont arrivées que très tardivement. Celles qui jouent au foot, au lieu de pratiquer un sport dit « féminin », plus gracieux, commettent donc une sorte d’infraction», explique le sociologue du sport Philippe Liotard.
Le problème, c’est que, homophobie oblige, cette étiquette est perçue comme quelque chose de stigmatisant, dont il faut se démarquer. «Les dirigeants des clubs et des fédérations sont persuadés que c’est le cliché de la sportive lesbienne et masculine qui a desservi le développement du foot féminin», se désole Cécile Chartrain. «Qu’on soit une lesbienne masculine ou féminine, ça peut très bien se passer avec les autres membres de l’équipe. C’est au niveau des responsables que ça coince. Il y a l’idée qu’il ne faut surtout pas que ça se sache, car ça pourrait nuire à la réputation du club.»
Pour promouvoir le foot féminin, les différentes structures ont donc tendance à miser sur le style girly. On porte des talons hauts sur les affiches, on utilise des dégradés de rose, on édite des calendriers sexy…
Le nom de l’ancien programme de la Fédération française pour inciter les jeunes filles à la pratique ? Le «foot des princesses». Et tant pis pour celles qui ne se reconnaissent pas dans cette féminité très hétéronormée. «Personnellement, je déteste ces stéréotypes mais si on doit en passer par là, pourquoi pas, ce n’est qu’une étape», justifie Nicole Abar, ex-joueuse aux 14 sélections en équipe de France. «Les filles jouent aussi le jeu», décrit Karine Drost, ancienne capée de l’équipe nationale. «Pour ne pas être embêtées, elles vont préférer avoir les cheveux longs, c’est dans les inconscients.» Cette dingue de ballon rond se rappelle quand, à la fin des années 80, elle a eu la joie d’être sélectionnée pour effectuer un stage en équipe de France chez les moins de 16 ans. «A cause de mon physique de « garçon manqué », le coach ne comprenait pas pourquoi j’avais été choisie. Au point de me balancer : « Tu ne vas quand même pas porter le maillot, ça serait une honte pour le pays. »»
En France, l’ambiance reste frileuse et aucune joueuse en activité n’a fait son coming out. Mais on en retrouve aux Etats-Unis, en Suède, en Angleterre, en Allemagne, en Norvège…
L’équipe américaine, qui a gagné il y a quelques semaines la Coupe du monde, compte dans ses rangs trois joueuses et une coach out. «Aux Etats-Unis, elles ont vingt ans d’avance», s’enthousiasme Nicole Abar. Au moment de la victoire, juste après le coup de sifflet final, Abby Wambach, attaquante emblématique de la team US, s’est précipitée vers les gradins pour embrasser sa femme. L’étreinte a été largement relayée par la presse outre-Atlantique. Qui y a vu, non pas un problème, mais un symbole fort et, surtout, touchant.