Dans une lettre ouverte adressée au directeur général de Twitter France, Jean-Luc Romero-Michel, président de l’association Elus locaux contre le sida et conseiller régional d’Ile-de-France, ainsi que Jérôme Beaugé, président de l’Inter-LGBT, dénoncent « l’inaction » de l’entreprise face aux messages homophobes publiés sur leur réseau.
Monsieur le directeur général,
Cette lettre, nous vous l’écrivons à titre personnel. Elle n’engage bien sûr pas les structures que nous représentons.
L’homophobie tue. Alors que l’émotion et la colère suscitées par le massacre d’Orlando sont immenses, jamais cette phrase n’aura eu un sens aussi fort et dramatique.
Les LGBTphobies sont une réalité vécue au quotidien. La lesbophobie, la gayphobie, la biphobie et la transphobie tuent tous les jours : devons-nous vous rappeler que les jeunes homosexuel-le-s ont au minima trois fois plus de risques de commettre une tentative de suicide que les jeunes hétérosexuel-le-s ? A cela, Monsieur le directeur général, vous y contribuez par votre inaction.
Ces actes infâmes nous rappellent que, de la parole aux actes, il n’y a qu’un pas.
Combien de fois nous vous avons alerté sur la réalité des LGBTphobies, que vous pouvez vous-même constater, sur Twitter ? Combien de fois nous vous avons transmis des injures et autres menaces de mort dont nous sommes victimes comme des milliers d’autres ? Combien de fois nous vous avons informé des conséquences dramatiques de cette homophobie, de cette lesbophobie, de cette biphobie, de cette transphobie ?
Face à cela, votre réponse fut en tout point fort construite et explicite : le silence et le mutisme. Sans doute pensez-vous que le silence est d’or. De notre côté, militants de la lutte pour la promotion des droits humains, nous pensons que le silence est méprisant. Le vôtre l’est. Pire, il est dangereux.
Comment comprendre que vous laissiez agir un compte dont le nom est « antigayPD »?
Peut-être considérez-vous les associations de lutte pour les droits LGBT comme des paillassons ? Les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles ou trans comme des sous-citoyen-ne-s, seules bonnes à freiner l’utilisation toujours plus large de Twitter ? Est-ce là votre opinion ou celle de professionnels de quelques agences de communication peu soucieuses des ravages sociétaux que l’homophobie provoque ? Croyez bien que tout cela n’est en rien une formule de pure communication, nous nous posons réellement la question. Et pour dire vrai, votre attitude nous laisse peu de doute sur la réalité de la réponse.
Twitter est un formidable outil de communication, de transmission, d’information. Cela ne l’est plus à partir du moment où vous le laissez polluer, sans réagir, alors que vous connaissez la réalité des choses.
Oui, Monsieur le directeur général, vous laissez perdurer sans réagir une parole LGBTphobe d’ampleur sur Twitter. Est-ce un procès d’intention ? Non. Au-delà des formules et de la protection des actionnaires, votre bon sens ne peut que vous amener à voir la réalité comme elle est.
Dans quelques jours aura lieu la Marche des Fiertés LGBT de Paris. Vous le savez puisque, fort hypocritement, vous vous fendrez sûrement d’un tweet de soutien. Au-delà de la posture, nous imaginons déjà le déferlement de violence qui se constatera sur votre réseau et votre absence – fort prévisible – de réaction.
Alors peut-être que le lancement d’un hashtag #twitterishomophobic serait intéressant. Nous y réfléchissons, aussi bien sur le plan français qu’international. Par politesse et courtoisie, nous préférons vous en informer. N’allez pas nous dire que vous pourriez le censurer ? Twitter n’est il pas un vaste Far West sans loi ? Les militant-e-s des droits humains seraient censuré-e-s et pas celles et ceux qui appellent au meurtre ? Nous n’osons y croire…
Nous sommes en colère, Monsieur le directeur général …
Croyez bien, Monsieur le directeur général, en l’assurance de notre détermination.
Les règles d’utilisation de Twitter interdisent la « conduite haineuse » : « vous ne devez pas directement attaquer ni menacer d’autres personnes, ni inciter à la violence envers elles sur la base des critères suivants : race, origine ethnique, nationalité, orientation sexuelle, sexe, identité sexuelle, appartenance religieuse, âge, handicap ou maladie ». Mais comment repérer et filtrer efficacement ces contenus haineux, parmi les centaines de millions de tweets publiés chaque jour ? Tous les grands réseaux sociaux, confrontés à la même problématique, se basent sur les signalements de leurs utilisateurs. Une équipe spécifique est ensuite chargée de les examiner et d’agir en conséquence – en supprimant un contenu ou un compte si le message contrevient aux règles.
Néanmoins, de nombreux messages haineux restent longtemps, voire toujours en ligne, malgré leur signalement.
« Facebook et YouTube ont un temps de réaction parfois très long, explique Jean-Luc Romero-Michel, mais ils finissent par réagir. Twitter parfois ne réagit pas du tout, il se fiche des signalements ! »
Contactée par Le Monde, la direction de Twitter a refusé de commenter cette lettre ouverte. Elle renvoie vers différents contenus pour démontrer son engagement en faveur de la communauté LGBT et rappelle ses actions visant à combattre le harcèlement en ligne.
« La compassion c’est bien, souligne Jean-Luc Romero-Michel. Mais la lutte contre l’homophobie, ça doit être au quotidien. »