Un peu avant la condamnation de Lahcen et Mohsine, accusés de s’être embrassés en public début juin sur un site historique de Rabat, Ludovic Zahed, le fondateur de la première mosquée « inclusive » de France, homosexuel et musulman, était interpellé sur le site de Yabiladi, sur la question. Il a bien évidemment appelé le juge a faire preuve de clémence, en rappelant que la condamnation des minorités sexuelles était le propre des régimes fascisants et totalitaires qui viennent juger de vos pratiques sexuelles jusque dans l’intimité.
Pourquoi affirmez-vous que les lois qui condamnent aujourd’hui l’homosexualité dans le monde arabe sont héritées de la colonisation alors qu’elles sont au contraire généralement associées à l’islam ?
L’Andalousie musulmane, mais aussi dans le Maroc et l’Egypte actuels, des voyageurs des deux rives attestent de l’existence, au XVIII et XIXe siècles, de relations homo-érotiques et homosexuelles communément admises par la société. Ce sont des choses que Khaled El-Rouayheb, professeur assistant à Harvard, décrit bien dans « Before homosexuality », traduit en français pas « L’amour des garçons dans le monde arabo-islamique ».
C’est seulement avec la colonisation qu’est intervenue une véritable condamnation de l’homosexualité. Un pic symbolique a été atteint précisément en 1930 lorsque la publication des « Mille et une nuits » a été expurgée de toutes ses références à la sexualité des femmes et aux rapports sexuels entre hommes. C’est dans ce contexte puritain qu’est resté enfermé le monde arabe alors que l’occident a revu sa propre lecture.
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En dehors de cette référence historique, qu’est-ce qui vous permet de penser, au sein des textes religieux, que l’Islam ne condamne pas l’homosexualité ?
70 versets du Coran évoquent le peuple de Loth. Il est décrit comme composé de jeunes d’une grande violence qui violent des hommes, qui coupent les routes, comme des pirates. Quand vous interrogez un exégète classique des textes, il vous dira que le texte fait référence aux routes de la généalogie, car un homosexuel ne peut pas avoir d’enfant, alors qu’il s’agit visiblement des voies de passages coupées par des bandits. Dans ces versets, ce n’est pas tant la sodomie qui est blâmée que leur violence, y compris dans les rapports sexuels.
Le terme arabe utilisé pour définir l’acte de l’un de ses hommes sur un autre, à Loth, ne désigne pas un rapport sexuel pacifique et amoureux, mais un penchant animal, un désir irrépressible qui a tout à voir avec le viol.
Bien au contraire, dans la Sunna, il est décrit des hommes efféminés qui s’habillent comme des femmes honnis par tous et que seul le prophète accepte d’accueillir et d’employer – même ses femmes ne se voilent pas devant eux puisqu’ils n’ont aucun désir pour les femmes. On voit ainsi apparaître deux figures bien distinctes : ces hommes efféminés et pacifiques et les hommes du peuples de Loth violents.
Pourquoi, selon vous, si peu de savants musulmans partagent vos thèses ?
De nombreuses personnes partagent cette thèse même si elles restent minoritaires, mais bien sûr elles ne sont pas considérées comme de véritables cheikhs et oulémas, car il faut être coopté pour cela et donc partager les principales idées de ceux qui sont aujourd’hui considérés comme tels. Personnellement, j’ai fait 5 ans d’études théologiques en Algérie, en arabe dans le texte, pourtant rares sont les personnes à accepter de me considérer comme un imam. Il en faut souvent bien moins à un jeune salafiste pour être considéré comme tel.
Dans ce contexte, l’Iran fait aujourd’hui exception. L’ayatollah Khomeiny a autorisé la chirurgie transexuelle. En Iran, la sécurité sociale de prendre en charge pour moitié les frais liés à la chirurgie plastique d’un changement de sexe. C’est cependant problématique, par ailleurs, parce que tous les hommes un peu efféminés sont socialement obligés à une réassignation de genre, même lorsqu’ils sont homosexuels, alors que trans et homosexuels ne sont pas du tout assimilables. Le changement de sexe est perçu comme une alternative à l’homosexualité.
Au Maroc, le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles a lancé une campagne de communication « vos lois n’arrêteront pas l’amour » où l’on voit notamment deux femmes s’embrasser. Pensez-vous que ce type de mobilisation puisse influer sur le débat public ?
Les associations de défense des droits des homosexuels ont plusieurs modes d’action. Il y a celles qui restent politiquement correct dans la perspective de faire évoluer les mentalités sur le long terme. Il y a celles qui font du peer to peer ; ont une action communautaire. Enfin, il y a celles, comme le MALI, qui jouent de la provocation. Je pense que les 3 sont complémentaires.
Il faut respecter les militants de terrains qui prennent beaucoup de risques. Les moyens utilisés pour défendre une cause peuvent choquer, mais il y a un moment où il faut faire quelque chose. Si l’on choque, on s’en excuse, mais la violence est de leur côté quand ils emprisonnent des personnes en raisons de pratiques sexuelles qui relèvent de l’intime.