Homophobie : Quand un sociologue se penche sur les raisons de la haine

A l’occasion de la diffusion du documentaire “Homos, la haine” Antoine Idier, sociologue à l’Université de Picardie-Jules-Verne, revient sur les raisons de la libération du discours homophobe longtemps tamisé :

« Psychanalystes, catholiques, politiques, intellectuels, médias… tous sont responsables du regain homophobe observé dans le documentaire. »

Des insultes, des manifestations homophobes… Il y en a déjà eu au moment des débats sur le pacs, ou lors du mariage célébré à Bègles par Noël Mamère. En quoi la situation actuelle marque-t-elle une gradation dans le rejet et la haine des homosexuels ?

Ce qui me frappe surtout, c’est cette répétition de la violence. Comme si les lignes n’avaient pas beaucoup bougé. Les propos entendus dans les travées de l’Assemblée nationale lors des débats autour du pacs l’ont de nouveau été lors de la séquence 2012-2013 à propos de l’ouverture du mariage aux personnes de même sexe. On aurait pu penser qu’on en avait fini avec ces choses-là.

La question importante est la suivante : comment cette violence-là a-t-elle été rendue possible ? En fait, un ensemble d’institutions, d’organes, d’intellectuels ont validé ce cadre. Ce sont aussi bien l’Église catholique que les psychanalystes qui ont expliqué qu’il était vital de défendre la « différence des sexes », les hommes politiques et les intellectuels de droite comme de gauche qui ont osé dire que des dangers pesaient sur les enfants élevés par des couples de même sexe, les médias qui ont interviewé complaisamment certaines personnalités ou relayé avec beaucoup de sympathie certaines manifestations. Par ces déclarations et attitudes, ils ont permis l’existence de discours homophobes sous des formes euphémisées ou non.

Euphémiser c’est par exemple prétendre de ne rien avoir contre les homosexuels tout en expliquant qu’ils sont incapables d’élever des enfants, ou que ceux-ci seront nécessairement déséquilibrés. Par un discours apparemment neutre, le locuteur fait comme s’il n’était pas homophobe. Et parallèlement, une homophobie totalement décomplexée avec pancartes et slogans d’une très grande violence s’est déployée.

Dans les années 2000, on a le sentiment d’une plus grande acceptation de l’homosexualité par la société française. Comment expliquez-vous la régression actuelle d’une frange de l’opinion publique ?

C’est difficile d’évaluer précisément l’acceptation sociale de l’homosexualité. Les tendances peuvent être contradictoires. Il y a indéniablement une plus grande visibilité de l’homosexualité. Et la revendication du mariage et des transformations de la filiation a été portée par des partis politiques. Ce n’était pas le cas il y a dix ans. A cette époque, il était impensable pour le Parti socialiste d’évoquer le mariage homosexuel. L’évolution est donc positive.

Mais cette visibilité accrue s’accompagne d’un mouvement en retour, d’une violence redoublée contre la demande d’égalité. Le rapport annuel de SOS Homophobie publié en mai dernier montre une augmentation très forte des actes homophobes. En même temps, l’existence d’un mouvement LGBT de plus en plus puissant, le travail de sensibilisation effectué, fait que ces actes sont davantage déclarés, recensés.

L’homophobie véhiculée par certains politiques a-t-elle permis de libérer la parole homophobe dans l’espace public ?

Dans la société, aucun débat, aucun mouvement n’existe en soi. C’est un lien dynamique : il faut qu’un certain nombre de structures (les médias, les politiques, les intellectuels) légitiment son expression pour que le débat existe. Les partis politiques de gauche comme de droite ont joué un grand rôle dans la violence des débats autour du mariage homosexuel. La droite a instrumentalisé la problématique à des fins politiques, certains de ses élus ont participé à des manifestations, d’autres comme Nicolas Sarkozy ont tenu des propos hallucinants.

Et la gauche ?

La gauche a aussi une responsabilité très forte. Le PS ne s’est pas engagé fermement et a manifesté très tôt des atermoiements. Dès novembre 2012, François Hollande invoque la liberté de conscience des maires qui refuseraient de célébrer les mariages entre personnes du même sexe. L’ouverture promise de la PMA pour les couples de femmes a été défendue puis reportée sine die. En n’étant pas ferme sur ses convictions, le PS a donné du poids au mouvement conservateur. Il a implicitement reconnu que les actions de la Manif pour tous, et de ses partisans, portaient leurs fruits et que s’ils continuaient à protester, ils auraient gain de cause. Par ailleurs, les revendications défendues par les transgenres sont totalement ignorées.

Revendiquer l’égalité des droits pour les homosexuels alors que cela n’enlève rien aux hétérosexuels, cela semble aller de soi. Qu’est-ce qui est réellement en jeu, qui radicalise tant les propos et les comportements des anti-mariage gay ?

Tout simplement la défense de ce qu’ils considèrent comme étant un ordre social et sexuel naturel. C’est à dire une certaine conception de la famille et de la société. La lutte menée par les catholiques, les conservateurs, appuyée par certains partis politiques, a été de naturaliser cet ordre-là, de le faire passer pour quelque chose d’intangible, de fondamental, dont la modification conduirait à l’effondrement de notre civilisation. Mais c’est un ordre fictif puisqu’il nie que depuis des décennies existent déjà des familles, des individus – toujours plus nombreux – qui ne se conforment pas à cet ordre-là.

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