En laissant les paroles de haine se déchaîner dans le sillage de la Manif pour tous, les politiques ont ouvert la boîte de Pandore. Le somptueux documentaire d’Eric Guéret et Philippe Besson souligne les dangers du laisser-faire et en appelle à une remobilisation civique.
« Les homos, c’est contre la loi de Dieu. » « Non aux pédés, la famille, c’est sacré. » « Cette loi contre nature mène la France à sa perte. » « Ces saloperies, c’est dommage que Hitler ne les ait pas tous tués. » Les mots ont un sens, et une partie des centaines de milliers de personnes qui ont défilé contre le mariage et l’adoption ouverts aux personnes de même sexe ont fait mine de l’oublier.
Insultes, intimidations… un fond de sauce peu ragoûtant a refait surface, des cortèges de la Manif pour tous aux travées de l’Assemblée nationale, d’Internet au bistrot du coin. Mise en sourdine depuis des années parce qu’inacceptable, la parole homophobe, décomplexée, s’est déchaînée. Faisant le lit de violences décuplées.
En 2013, les actes homophobes auraient augmenté de 78 %, les agressions physiques, doublé.
C’est le point de départ d’Homos, la haine, le somptueux film tout en sobriété coécrit par le documentariste Eric Guéret et le romancier-scénariste Philippe Besson. Le documentaire égrène les témoignages poignants de neuf gays et lesbiennes et intercale entre chacun d’eux des propos recueillis durant cette période.
Faire entendre la parole homophobe
« Nous voulions faire entendre cette parole homophobe, la mettre en regard des visages de nos victimes, précise Besson. Une façon de montrer que ces horreurs proférées ne sont pas anodines, qu’elles se jouent contre des gens. » Porter la caméra dans la plaie, pour paraphraser Albert Londres, mettre le doigt où cela fait mal, telle est aussi l’urgence d’Eric Guéret.
« Même si je ne partage pas les idées de ceux qui ont défilé contre le mariage pour tous, je peux comprendre qu’ils aient voulu défendre leur idéal de famille. Mais ils doivent prendre conscience qu’ils se sont retrouvés mêlés à des extrémistes, des mouvements radicaux fascistes, qu’on les a récupérés. Ils n’ont pas mesuré qu’ils devenaient vecteurs de violence. »
Au-delà de la séquence éruptive de 2013, c’est la rémanence de la contestation d’une loi votée qui inquiète Eric Guéret. « La lutte contre le retour de la haine homophobe s’impose comme une priorité, parce qu’elle est symbolique de la fragilité de nos démocraties et de ses grandes avancées sociétales. Quel autre acquis pourrait demain être remis en cause ? L’avortement, si malmené ces derniers temps ? La loi a été votée démocratiquement il y a presque deux ans. Les politiques s’honoreraient à arrêter de la remettre en cause. La récente sortie de Sarkozy, cédant à la frange la plus conservatrice de l’UMP, n’est pas digne. » En clair, il faut arrêter de mettre de l’huile sur le feu, d’attiser les pires instincts de la société en les instrumentalisant à des fins politiques.
La bienveillante tolérance à l’égard des homos et des lesbiennes – si tant est qu’elle ait jamais existé – serait donc passée de mode. « Dans l’Histoire, la tolérance connaît des hauts et des bas, soupire Eric Guéret. Cela tient à l’autorisation que se donnent certains mouvements extrémistes de dire les choses ou pas. Une parole antisémite est impossible, jusqu’à ce que quelqu’un ouvre la brèche. Pendant un moment, les racistes et les homophobes se sont retenus. La Manif pour tous a fait sauter les verrous. Ils ont pu dire « sale pédé » ou « sale gouine », comme « sale juif » à un moment. »
Exorciser les peurs en désignant un bouc émissaire
Une analyse prolongée par Philippe Besson : « Dans les périodes de crise, la société exorcise ses peurs en désignant un bouc émissaire : les étrangers, les juifs, les pédés, les rebeus… Tout ce qui n’est pas la majorité blanche, caucasienne, hétéronormée. Sur le mode du : « Ça serait tellement mieux si on était entre nous. » »
Même si heureusement ce n’est pas le cas, de sarcasmes en insultes, de stigmatisations en passages à tabac, l’air est devenu moins respirable pour les homos. Au point qu’ils adoptent un profil bas dans l’espace public. « Si vous avez été victime de violences homophobes et que vous ne vous êtes pas rebellés, vous en sortez avec un sentiment terrible d’humiliation », commente Philippe Besson.
Avant d’évoquer un épisode personnel. « Un soir, avec mon compagnon, nous avons été jetés d’un taxi. Parce que le chauffeur nous avait identifiés comme un couple. Par peur de ce qui pouvait arriver, nous ne nous sommes pas opposés à lui. Désormais, dans ce type de circonstances, nous nous comportons comme deux individus non liés, sans rien laisser filtrer de notre proximité dans nos conversations ou nos gestes. »
En réalisant ce film, en témoignant, c’est un peu de l’espace public que réalisateurs et victimes entendent réinvestir. Intérioriser les injonctions rances, baisser la tête, se laisser intimider… très peu pour eux. « Ce documentaire est une façon de dire : on est là et on lutte, conclut Besson. De nous adresser aussi à la majorité silencieuse, qui n’est pas raccord avec ces horreurs. En ne prenant pas la parole, elle laisse ce discours homophobe monter. »
Gérard Jugnot témoigne pour Jean – Homos, la haine
Roselyne Bachelot témoigne pour Sandra – Homos, la haine
Nolwenn Leroy témoigne pour Julia – Homos, la haine
Lambert Wilson témoigne pour Fabien – Homos, la haine
Lilian Thuram témoigne pour Dimitri – Homos, la haine
Depuis le 28 novembre, la plate-forme d’appels à témoignages donne la possibilité aux internautes de partager leur histoire, qui sera rendue publique http://www.francetv.fr/temoignages/homos-la-haine/. Elle proposera par ailleurs de nombreux contenus éditoriaux pour enrichir le documentaire : dossiers thématiques, infographies, vidéos où des personnalités relaieront les témoignages des victimes.
http://television.telerama.fr/television/homophobie-qui-ne-dit-mot-consent%2C120045.php