#Homosexualité : au Maroc, on se cache pour s’aimer

Dans le royaume, les homosexuels sont tolérés… mais priés de rester discrets. Certains, pourtant, commencent à faire leur coming-out.

Mi-janvier, le village marocain de Sidi Ali Ben Hamdouch a accueilli le moussem, festival traditionnel qui marque l’anniversaire de la naissance du prophète Mohammed. Dans cette petite localité située près de l’ancienne capitale impériale de Meknès, des milliers d’adeptes de la confrérie des Hmadcha sont mêlés à une foule hétéroclite de visiteurs et de touristes d’un genre « particulier ». Depuis quelques années, des homosexuels s’y rassemblent et profitent de l’esprit du festival pour afficher leur « déviance », et même, selon la rumeur, célébrer des mariages gays. La fête, propice aux travestissements, permet en effet une inversion des rôles sexuels, et les hommes peuvent s’y habiller en femmes.

Cette année encore, les autorités ont pris des mesures pour « éviter les débordements ». Le quotidien arabophone Al Maghribia relève ainsi que des « éléments de la gendarmerie royale se sont postés aux emplacements stratégiques, ainsi qu’aux accès du village ». Une présence ostentatoire et dissuasive qui semble avant tout répondre au souci de maintenir l’ordre public.

« Deux déviants se marient en vertu des coutumes marocaines »

Mais si les rites et les croyances des Hmadcha entretiennent de longue date la méfiance des conservateurs, c’est leur télescopage avec des évolutions de société qui entraîne des crispations. Pour l’anthropologue Valérie Beaumont, « le dévoilement de l’homosexualité conduit au durcissement des attitudes envers les homosexuels. On leur reproche de dire tout haut ce que tous savaient déjà ».

Un effet pervers constaté lors de l’affaire dite du mariage gay de Ksar El Kebir, en 2007. La une d’Al Massae, un journal arabophone réputé conservateur, annonçait alors : « Deux déviants [châdhan, terme péjoratif désignant les homosexuels] se marient à Ksar El Kebir, en vertu des coutumes marocaines, et provoquent la colère de la rue. » L’article évoquait ensuite une manifestation encadrée par des associations et partis islamistes et, plus surprenant, par l’Association marocaine des droits humains. Finalement, le ministre de l’Intérieur a déclaré qu’aucun mariage homosexuel n’avait eu lieu, et la police a arrêté six personnes pour « charlatanisme ».

Le sujet est encore couvert d’un voile hypocrite. Mais il faut nuancer ce constat. Depuis une dizaine d’années, les libertés individuelles font l’objet de revendications croissantes, ce qui confère une plus grande visibilité à la population gay. Dans la littérature francophone et arabophone, dans les milieux artistiques et intellectuels, dans les médias, des voix homosexuelles s’élèvent. L’écrivain Abdellah Taïa, édité au Seuil et récompensé par le prix de Flore en 2010, est l’un des porte-voix de ce coming-out qui ne dit pas son nom. Après avoir posé en une d’un dossier du magazine marocain TelQuel intitulé « Homosexuel envers et contre tous » en 2007, Taïa en est devenu une plume régulière. Et sa lettre publiée en 2009, « L’homosexualité expliquée à ma mère », a été très remarquée. Deux semaines après sa parution, Rachid Benzine, un jeune islamologue, saluait « son courage » et défendait une lecture religieuse plus apaisée du sujet. Un signe d’ouverture qui se confirmera peut-être lors du Festival national du film de Tanger, du 7 au 15 février, où Taïa présente une autofiction adaptée de son roman L’Armée du salut, qui relate sa vie amoureuse.

Kif-kif, organisation de défense LGBT

La publicité donnée au débat sur l’homosexualité a encouragé d’autres initiatives. Une véritable communauté virtuelle s’est structurée. Kif-Kif, la première organisation de défense des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) du royaume, a vu le jour en 2004. Elle revendique environ 3 000 sympathisants au Maroc. Son principal animateur, Salim Bargach, un journaliste résidant en Espagne, a lancé en 2010 le magazine Mithly [« homosexuel », terme neutre], présenté comme une première dans la région, et qui a cessé de paraître après deux numéros faute de financements. Mais les initiatives persistent. Et si, au Maroc, la loi prévoit une peine de six mois à trois ans de prison pour homosexualité, elle n’est pas systématiquement appliquée.

« La société algérienne n’est pas prête »

« L’homosexualité n’est pas taboue tant qu’elle ne heurte pas les gens frontalement. Elle reste cependant une source potentielle de frictions. Dans la rue, certains jeunes l’affirment publiquement, par leur attitude, leur accoutrement. Leurs parents s’en doutent, mais tant qu’il n’y a pas de preuve, ils ferment les yeux. Tout dépend de la famille et du milieu. Dans l’Algérie profonde, c’est nettement plus délicat.

Je ne le crie pas sur les toits, mais si on me pose la question, je dis que je suis gay. J’assume mon choix depuis très longtemps, sans toutefois l’afficher car cela signifierait ma mise à l’écart. La société n’est pas prête pour le changement. Certes, il y a de plus en plus de gays très efféminés, « précieux », qui se donnent des prénoms féminins. Je pense qu’on peut vivre sa vie sans l’étaler sur la place publique.

À Alger, il n’y a pas vraiment de lieux gays. Mais il existe des salons de thé et des bars plus ouverts. Si certains homosexuels s’en voient exclus, c’est surtout en raison de leur comportement excessif. Et, parfois, les policiers convoquent les tenanciers. Une association LGBT [lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres] a été créée il y a quelques années. Elle porte le nom d’Abu Nuwas, un poète libertin classique. Chaque année, le 10 octobre, ses sympa­thisants allument une bougie en hommage à Sélim Ier, un sultan ottoman célèbre pour ses fêtes. Elle n’est pas très visible et n’a pas de leader connu, et c’est mieux ainsi. » Mehdi, 38 ans, en couple depuis trois ans, écrivain.

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