Chère Frigide Barjot,
On ne se connaît pas et pourtant, j’aimerais te demander un petit service. Ou plutôt, je voudrais te demander d’accomplir un grand service, non pas pour moi, mais pour l’humanité.
J’ai appris que tu te rendais prochainement au Maroc, dans des écoles françaises, pour parler de la théorie du genre et du mariage pour tous. Très bien, c’est ton droit le plus strict d’être en désaccord avec ces deux points étant donné que, par exemple, la théorie du genre n’est pas une théorie scientifique prouvée mais plutôt un débat de société qui peut avoir lieu tant en France qu’au Maroc.
Des homosexuels en prison au Maroc
Mais j’aimerais attirer ton attention sur un point : au Maroc, le problème n’est pas pour l’instant la théorie du genre ou le mariage homo, mais bien la pénalisation de l’homosexualité entre adultes consentants. Selon l’article 489 du code pénal marocain :
« Est puni de l’emprisonnement de six mois à trois ans et d’une amende de 200 à 1 000 dirhams [18 à 90 euros, ndlr], à moins que le fait ne constitue une infraction plus grave, quiconque commet un acte impudique ou contre nature avec un individu de son sexe. »
Cette loi était tombée en désuétude au Maroc et n’était plus vraiment appliquée dans les année 90 mais, depuis une dizaine d’années, sous la pression de groupes religieux réactionnaires (chrétiens et musulmans), elle est à nouveau effective et plusieurs couples d’homosexuels sont actuellement en prison au Maroc.
Encore récemment, début mai, deux homosexuels ont été arrêtés après avoir été aperçus en train de s’embrasser dans un jardin public à Temara. Poursuivis pour relation sexuelle contre nature, ils ont été emprisonnés en attendant leur jugement.
Es-tu prête à soutenir les homos du Maroc ?
Alors voici ce que je voudrais te demander : pourrais-tu prendre position, au Maroc, contre la pénalisation de l’homosexualité entre adultes consentants ? Pourrais-tu leur expliquer qu’on peut s’opposer à la théorie du genre et au mariage homo et en même temps être aussi contre une pénalisation de l’homosexualité ? Leur dire qu’il n’est plus acceptable que des homosexuels soient encore emprisonnés dans ce pays ?
Tu vas peut-être me répondre qu’il faut tenir compte des traditions culturelles et religieuses de chaque pays, que tout ne fonctionne pas comme en Occident… Mais tu as eu suffisamment d’amis homos pour savoir que ce n’est pas un choix de vie et tu seras sans doute d’accord avec moi pour dire que le droit d’aimer est un droit universel !
Et puis, cette loi ne vient pas d’anciennes dynasties marocaines mais elle est un héritage du protectorat français.
Au Maroc, des unions d’hommes sont célébrées, symboliquement, depuis des siècles, lors des « moussems » (fêtes populaires). Des groupes de musiciens traditionnels marocains ont depuis toujours intégré dans leur troupe des danseurs travestis ou transsexuels.
A l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie (le 17 mai), des homosexuels marocains lancent un cyber-appel à manifester pacifiquement contre la loi incriminant l’homosexualité et demandent au ministre de la Justice et des Libertés, Mustapha Ramid, d’abroger l’article 489 du code pénal marocain.
Tu rendrais un grand service humanitaire
Serais-tu prête, Frigide, à soutenir publiquement ces jeunes homos marocains dans leur combat pour abroger cette loi qui les criminalise ? Pourrais-tu faire cette chose incroyable qui serait de profiter de ta notoriété d’anti-mariage gay pour demander une audience au ministre de la Justice et des Libertés et tenter de le convaincre d’abroger l’article 489 ? Si tu as réussi à mettre un million de personnes dans Paris, tu devrais pouvoir faire cela aussi… non ?
Tu convaincrais une grande partie de tes amis homos que tu es encore avec eux mais surtout, tu réaliserais un grand service humanitaire en sortant des « innocents » de prison et en soulageant la vie de dizaines de milliers d’homos marocains !
Une dernière petite chose : les Français que tu rencontreras au Maroc vivent dans une bulle privilégiée, dans des quartiers privilégiés où tout est possible ou presque, y compris l’homosexualité. Souvent, dans ces milieux dorés, on s’échappe des carcans de la société marocaine et on ne se rend plus compte des réalités du pays… Mais faut-il être riche pour vivre homo au Maroc ?
Simou Mohamed Aregreg, étudiant marocain (rue89)