Même en hiver, les rues d’Amsterdam sont animées, et parcourir les quelques kilomètres qui séparent les deux nouveaux centres d’accueil pour demandeurs d’asile gérés par l’Armée du Salut peut demander du temps. « Il faut longer le grand parc de la ville, le Vondelpark » , indique déjà Amir, 19 ans, arrivé en septembre de Syrie. Y a-t-il rencontré des homosexuels ? Amir s’amuse un peu de cette question, affirme ne pas en connaître. De toute façon, « ce n’est pas important, nous sommes tous là pour essayer de vivre, pour essayer de défendre nos droits » .
Etre gay et réfugié, c’est être en danger
Comme lui, quatre cents personnes vivent dans les locaux de Havenstraat, principalement des hommes. Des agents de la sécurité patrouillent, en permanence, toujours alertes, un œil sur le bâtiment – propriété de la municipalité d’Amsterdam – un autre sur son entrée et sa sortie. Une présence nécessaire pour éviter les troubles, comme ceux qui visent le groupe vulnérable des homosexuels depuis plusieurs mois.
Ils seront désormais mis à l’écart, plus à l’ouest de la ville, au même titre que les femmes et les mineurs, sous protection constante. « Nous partageons la gestion quotidienne de mille réfugiés à Amsterdam », explique Corianne de Vries de l’Armée du Salut : « Nous avons trois centres, au sein desquels nous avons dû mettre à part les réfugiés gays. Il est important que tous les réfugiés placés sous notre responsabilité soient en sécurité. » Parce qu’ils ne l’étaient pas.
Dans la section des femmes
Tout a commencé par des insultes, des menaces, puis des agressions et, finalement, la dénonciation d’actes d’une réelle violence, y compris des tentatives de viols. Le premier groupe d’homosexuels visé par des réfugiés homophobes était composé de cinq hommes – trois Syriens, un Irakien et un Iranien. Ils ont alors été isolés des autres.
Depuis, de nouvelles victimes, dans différentes villes du pays, ont aussi été secourues; des tentatives de suicide et des grèves de la faim avaient alerté les associations d’aide aux migrants.
Des initiatives voient le jour ici et là. A Groningen, dans le nord des Pays-Bas, la galerie MooiMan fait plus que célébrer l’art masculin depuis dix ans. Et c’est sans hésitation que son fondateur, Sandro Kortekaas, sourire empathique derrière une barbe grisonnante, se rend dans les centres de demandeurs d’asile pour établir des relations de confiance et témoigne devant le Parlement néerlandais.
L’association « LGBT Asylum Support » (Soutien aux demandeurs d’asile lesbiennes, gays, bisexuels et transsexuels) existe depuis seulement trois mois et l’actrice néerlandaise Karin Bloemen en est l’ambassadrice. « Les homosexuels sont terrorisés », raconte Sandro. « Dans le camp d’urgence d’Alphen aan den Rijn, ils sont dix et on les a seulement déplacés dans la section des femmes. Mais cela n’a pas été beaucoup plus facile pour eux. » Après leur grève de la faim, et alors que leurs problèmes semblaient étouffés, Sandro a décidé d’écrire une lettre ouverte au roi Willem Alexander, l’invitant à visiter ce centre.
Une prise de conscience lente
Dans les bureaux du COC – depuis 1946, le « COC Nederland » est la plus grande organisation dédiée à la communauté LGBT – sur le majestueux canal des Seigneurs (Herengracht), l’ambiance est animée et les conversations autour de la machine à café tournent autour de l’action de l’organisation depuis plusieurs mois : alerter l’opinion et faire le lien entre le groupe de soutien et les municipalités.
« Cela ne sert à rien d’avoir un lit pour dormir, si tu es effrayé à l’idée de sortir de ta chambre à cause de ce que tu es. Nous avons reçu beaucoup de plaintes en très peu de temps et nous craignons de n’avoir découvert que le sommet de l’iceberg », s’alarme Philip Tijsma, directeur de la communication de COC. « Ces plaintes concernent des demandeurs d’asiles LGBT qui ont été attaqués, intimidés, victimes de crachats, abusés. Nous avons lancé de nombreux appels sans réponses et n’avons reçu le soutien que des collectivités locales. »
Un sur quinze
Ces réfugiés étaient souvent oppressés dans leur pays à cause de leurs différences. Ils subissent ici des agressions, sans toujours oser les dénoncer.
Selon Philip Tijsma, « environ un demandeur d’asile sur quinze est LGBT » .
La ministre néerlandaise de l’Education, Jet Bussemaker (PVDA, Parti du travail), veut désormais développer des « leçons sur les droits des homosexuels » dans les centres d’accueil. Mais le gouvernement libéral-travailliste doit aussi prendre le temps de tirer les conclusions des nouveaux chiffres de l’Agence centrale pour l’accueil des demandeurs d’asile, la COA (Centraal Orgaan opvang asielzoekers) : au total, ce sont 8 000 incidents impliquant des demandeurs d’asile qui sont à déplorer en 2015 aux Pays-Bas.
Les réfugiés ne sont pas les bienvenus
Tirs de projectiles, jets de fumigènes… : autant de manifestations de groupes de Néerlandais qui refusent l’ouverture de centres d’accueil. Entre décembre 2014 et novembre 2015, les Pays-Bas ont reçu 40 962 nouvelles demandes d’asile, 38 % émanant de Syriens. Une centaine de centres de demandeurs d’asile (AZC) fonctionnent dans tout le pays. Mais la création des 30 000 places supplémentaires prévues, est loin d’être achevée. Ces dernières semaines, les projets d’ouverture de centres dans deux municipalités de l’est du pays ont tourné en manifestations et en altercations avec les forces de l’ordre. Ces événements se font l’écho des tensions qui règnent aux Pays-Bas autour de la question des migrants et, surtout, de l’implication du leader populiste et xénophobe Geert Wilders du Parti pour la liberté. Ce dernier a refusé catégoriquement de condamner les échauffourées de Geldermalsen de décembre dernier, alors qu’il avait préalablement encouragé ses partisans à résister à la mise en place de ce centre d’asile.