En mars dernier, six associations, STOP homophobie, L’Inter-LGBT, Mousse, Adheos, SOS homophobie et Quazar, ont déposé plainte contre Éric Zemmour pour « contestation de crime contre l’humanité ». Dans son livre « La France n’a pas dit son dernier mot », le polémiste/candidat affirme en effet que la déportation en France d’homosexuels en raison de leur « orientation sexuelle » est une « légende ».
Or en France, selon des travaux historiques, au moins 500 hommes accusés d’homosexualité ont été arrêtés, dont près de 200 déportés pendant l’occupation allemande. Une réalité par ailleurs reconnue à plusieurs reprises par des dirigeants français, dont l’ex-chef de l’État Jacques Chirac en 2005 ou Lionel Jospin en 2001.
Le procureur avait demandé la relax d’Éric Zemmour, considérant que la négation de la déportation des homosexuels est possible, le délit de « négationnisme » ne visant que le déni du génocide des Juifs.
Nous avons contester et le juge d’instruction nous a donné raison, renvoyant Eric Zemmour devant le Tribunal correctionnel de Paris.
La déportation des homosexuels français, une réalité historique établie
La question a longtemps été délaissée par les historiens français, les premières recherches parcellaires sur le sujet ayant été publiées en 2001 par la Fondation pour la Mémoire de la Déportation. Les connaissances scientifiques actuelles sont issues de recherches historiques approfondies réalisées par Arnaud Boulligny, Jean-Luc Schwab et Frédéric Stroh. S’appuyant sur l’exploitation systématique de fonds conservés au Service historique de la Défense, aux Archives nationales, à la Préfecture de police de Paris, ainsi que dans plusieurs Centres d’archives départementales ou communales, ils ont publié en 2018 les résultats de leurs études dans un livre intitulé « Les homosexuel.le.s en France, du bûcher aux camps de la mort ».
Ainsi, entre 1940 et 1945, la France est divisée en trois zones (voir notre carte), où la répression et la déportation ont pris des formes différentes.
En Alsace notamment, « zone annexée », la répression a commencé immédiatement après la défaite militaire de la France. Une série de mesures expéditives ont alors été prises par la police allemande, en dehors de tout contrôle des tribunaux. L’introduction progressive du droit allemand a ensuite rendu applicable l’article 175 de leur code pénal, qui sanctionnait les relations homosexuelles masculines. Cette loi va justifier les poursuites d’habitants homosexuels de cette zone devant les tribunaux allemands, qui avaient alors supplanté les juridictions françaises. Au moins 413 hommes, accusés ou suspectés d’homosexualité y ont été arrêtés et au moins 150 d’entre eux ont été déportés entre 1941 et 1945.
Dans la zone dite « occupée », depuis les Hauts-de-France à la Nouvelle-Aquitaine, le droit français demeurait en vigueur. Mais, en vertu des ordonnances du Commandement militaire allemand en France, les tribunaux militaires allemands de campagne ont aussi jugé des Français au titre des paragraphes 175 et 175a, lorsque les magistrats militaires estimaient que leurs actes homosexuels portaient « atteinte au prestige ou à la sécurité de l’Allemagne ». Il s’agissait principalement de Français ayant eu ou tenté d’avoir des relations sexuelles avec des soldats ou des civils allemands. Dans ce cadre particulier, 44 arrestations d’homosexuels, dont 12 déportations, ont été documentées. Et, après 1942, la Gestapo a encore procédé à des arrestations et déportations en dehors de tout cadre légal, portant à 21 le nombre total de victimes avérées depuis la zone occupée.
Dans la « zone libre », les préfets avaient également le pouvoir d’envoyer en centres de rétention administrative, sans jugement ni condamnation, les « individus » considérés comme dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique. Prérogatives qu’ils ont utilisé pour faire enfermer des personnes connues des services de police comme homosexuels et qualifiés d’indésirables. Les recherches historiques, dans six départements de l’ancienne zone sud, ont ainsi permis de recenser à ce jour une cinquantaine d’ordonnances d’internement administratif visant des « invertis », majoritairement dans les Alpes-Maritimes, avec 7 déportations effectuées en conséquence de ces procédures administratives.
Une reconnaissance officielle tardive
En 1995, les militants homosexuels furent autorisés pour la première fois à participer à la cérémonie officielle de commémorations de la déportation. C’est le début d’une lente normalisation qui demeure émaillée localement d’oppositions, voire de heurts entre militants et autorités, jusque dans les années 2010. Cette première reconnaissance étatique est suivie par une déclaration officielle de Lionel Jospin, alors Premier ministre , en 2001, puis de Jacques Chirac, alors Président de la République, en 2005 , tous deux évoquant explicitement dans leur discours la déportation des homosexuels français.
Sur le plan individuel, Pierre Seel (1923-2005), seul Français revendiquant son homosexualité comme motif de déportation, a obtenu en 1994 le titre de déporté politique. En 2011, Rudolf Brazda (1913-2011), dernier survivant des « triangles roses », a été fait chevalier de la Légion d’honneur.
Dans une affaire opposant Eva Joly à Christian Vanneste, la Cour d’appel de Paris avait également reconnu en 2015 la « réalité des persécutions subies par les homosexuels » pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit à ce jour de la seule reconnaissance judiciaire en France de la réalité de la déportation des homosexuels.