(De Sainte-Foy-lès-Lyon) Rarement lieu de rendez-vous n’a été mieux choisi. Un ancien séminaire au fin fond d’une allée baptisée Jean-Paul II à Sainte-Foy-lès-Lyon, dans le Rhône. Pour une réunion des « têtes de réseau de l’engagement politique chrétien », difficile de trouver plus approprié. Surtout lorsqu’il s’agit de régler des querelles de chapelles.
Dans une petite salle mal éclairée, une cinquantaine de personnes discutent du bilan à tirer de la Manif pour tous et de l’avenir du mouvement.
- Faut-il continuer de cibler la loi Taubira ou se concentrer sur la théorie du genre et les projets de loi à venir ?
- Faut-il présenter ses propres listes aux élections ou éditer une charte de valeurs à respecter pour les candidats ?
Foule éclectique
Ça s’engueule, ça se chicane, ça se chambre. Voici à quoi ressemble la cuisine interne des anti-« mariage pour tous » les plus acharnés.
La participation est éclectique. De la gauche catho sociale (peu représentée) à la droite MPF (Mouvement pour la France) villiériste. En passant par les pro-vies, les souverainistes, les royalistes, un porte-parole de la Manif pour tous, Frigide Barjot, beaucoup de PCD (Parti chrétien démocrate, fondé par Christine Boutin) et même une autoproclamée CDC Citoyenne des cieux), musulmane convertie.
Des élus UMP et UDI ont été invités, la plupart ont décliné. De même que d’autres personnalités penchant à gauche. Si bien que l’assemblée, rassemblée du vendredi soir à ce dimanche, tire vers le bleu, voire le bleu très foncé.
« La bataille est perdue, pas la guerre »
Ici, on se présente en donnant son nombre d’enfants, voire de petits enfants. Et on ne dit pas « s’être engagé » mais « s’être levé ». Après un tour de table, la séance s’ouvre avec un Powerpoint reprenant une citation de la mystique Marthe Robin. Pour mettre les choses en perspective :
« La France va toucher le fond, mais son réveil sera extraordinaire… après une douloureuse purification. »
A vrai dire, l’invitation annonçait la couleur :
« Si nous avons perdu [la bataille du mariage pour tous], sans doute pouvons-nous en gagner d’autres, celles qui ne manqueront pas de se présenter à nous dans les prochains mois et les prochaines années ; et même pouvons-nous encore gagner la guerre ! »
Reste à se trouver des généraux et à se mettre d’accord sur les mots d’ordre. C’est justement le but de ce « séminaire » un peu baroque, deuxième du nom. La précédente édition, en novembre 2012, avait permis, aux dires de son organisateur, de fédérer la pléthore d’associations qui gravitent dans l’orbite de l’Eglise catholique. Et d’arrimer pour quelques mois l’improbable attelage de la « catho branchée », Frigide Barjot, et de tout ce qui fait le fond de la France chrétienne radicale.
Mais après le passage de la loi Taubira, tout cela a volé en éclat. Et l’ambiance, ce samedi à quelques kilomètres de Lyon, est aussi lourde que l’orage qui fait crépiter les fenêtres.
« Problèmes d’immaturité »
Tous s’entendent pour dire qu’il faudra flinguer la loi famille, la PMA, l’euthanasie et, plus globalement, la « déconstruction de l’homme » par les socialistes au pouvoir. Mais c’est côté stratégie que ça s’écharpe.
D’autant que les divisions nées après le vote de la loi Taubira sont plus vives que jamais. La question de la Syrie, qui parait pourtant remobiliser une partie de LMPT, n’est même pas évoquée. On préfère ressasser le mariage gay.
- d’un côté, Frigide Barjot tente de retrouver prise sur un mouvement qu’elle a cofondé et qui lui a échappé. Elle pense pouvoir obtenir l’abrogation de la loi en poussant à la fois la « constitutionnalisation » du mariage hétéro et le passage d’une union civile pour les homos. Pour « sauver » la filiation tout en stabilisant les couples gays ;
- mais la génération anti-Pacs ferme ses écoutilles lorsqu’on lui parle de pacte, de contrat ou d’union pour les homos. Pas de compromission, on abroge et c’est tout.
Le représentant officiel de LMPT version 2.0 (sans Frigide Barjot) a passé une tête par la porte le matin mais a préféré s’éclipser l’après-midi. Ludovine de la Rochère n’est pas venue, tout comme Béatrice Bourges du Printemps français.
Au-milieu de tout ce petit-monde, Jean-François Debiol, entrepreneur d’une cinquantaine d’années, ex-UMP, distribue la parole, s’efforce d’éviter les frictions :
« Les cathos en politique s’opposent sur des désaccords superficiels. Tout cela, ce sont les problèmes d’immaturité d’un mouvement qui débute, comme les Verts en leur temps. »
Les premières ondées tombent avant la pause déjeuner. Lorsqu’on découvre qu’il y a un journaliste dans la salle. Horreur. Bronca. Consternation générale. Finalement, on me laissera écouter la partie « bilan » mais sur la partie « que faire » ? », où ça risque de tanguer, on me demandera de quitter la salle. Courtoisement mais fermement.
« Dieu vous fait voter pour Sarko ? »
Reprise du programme. Au détour d’une phrase, Jean-François Debiol évoque l’aide financière de Bruno Gollnisch, qui n’est pas présent, pour l’organisation du séminaire. Ce qui fait rire jaune Frigide Barjot, qui ne veut pas qu’on puisse dire qu’elle s’acoquine avec le Front national :
« Je rembourserai. Je ne veux pas me faire financer par Bruno Gollnisch. »
Deuxième échange, plus costaud. Lorsqu’un participant se lève, plein d’accents prophétiques :
« Le Jugement a commencé car la France s’est déchristianisée, est entrée dans la dépravation, dans l’hédonisme. Nous, chrétiens, nous nous sommes laissé endormir. Quand la lumière ne brille plus, les ténèbres envahissent. Auparavant, nous avions évité Lionel Jospin et Ségolène Royal, derrières lesquels, il faut le dire, se mouvaient les forces du mal… »
Un intervenant lève la voix :
« Le bon Dieu vous demande de voter pour Sarko ? C’est n’importe quoi ! »
– Un autre : « Oui arrêtez, on va encore passer pour des illuminés. »
– Réponse de l’intéressé : « Mais je suis un illuminé moi, monsieur ! »
– « Vous ne préférez pas dire “spirituel” ? »
Sur quoi Frigide Barjot intervient :
« Ça commence à être le bordel, viens on va fumer une clope. »
« On laisse quoi aux homos ? Rien »
On sort. T-shirt « Avenir pour tous » et bracelet « Aimer c’est pardonner » : Frigide Barjot dans son style de tous les jours, grande gueule détonante, le tutoiement au bout des lèvres.
Sortant de la salle, s’approche, costard au couteau, droit dans ses bottes, un élu adjoint à la mairie de Meyzieu, qui a la double appartenance MPF (de Villiers) et PCD (Christine Boutin). Le dialogue de sourds peut commencer :
Frigide Barjot : « Tu es pour l’abrogation sèche de la loi Taubira ?
– Elu en costard : Je suis même pour que l’on remette en question le Pacs.
– FB : Et on leur laisse quoi aux homos ?
– Elu en costard : Rien.
– FB : Eh bien tu ne l’auras jamais ta réforme de la loi Taubira. Tu perdras tout à leur refuser tout droit ! »
L’ambiance Congrès d’EELV se poursuit. Les participants sortent et rentrent de la salle embuée. Et se tirent dans les pattes à la pause clope.
Une stratégie ? Eh non
A l’intérieur, ça part dans tous les sens. Barjot bondit de sa chaise de temps en temps pour réexpliquer qu’il ne faut pas se disperser, viser l’abrogation de la loi Taubira, faire le compromis de l’union civile, ne pas présenter de candidats estampillés mais diffuser une charte de valeurs sur le modèle de ce qu’a fait Nicolas Hulot.
Face à elle, Xavier Lemoine, maire PCD de Montfermeil (93). Lui ne veut pas entendre parler d’union civile. Et préfère pour l’instant se concentrer sur les élections européennes à venir. Président du Siel (Souverainetés, Indépendance et Libertés) et proche de Marine Le Pen, Paul-Marie Coûteaux verse dans la philosophie. On parle d’essentialisme, de Platon, de Roland Barthes. Et puis un peu de droit constitutionnel.
Un instant, une stratégie semble s’échafauder :
- acte 1 : faire passer au Sénat la loi organique pour permettre le référendum d’initiative populaire ;
- acte 2 : trouver une majorité de Français pour voter par référendum l’abrogation de la loi Taubira.
Mais très vite ressurgit le problème de l’union civile. Un participant se lève pour dire que deux hommes ensemble, c’est un péché, n’en déplaise à madame Barjot. On sort respirer un instant.
Ça bâche sévère dans la cour :
« Tout ce que j’ai compris c’est que Frigide veut être présidente.
– C’était quoi le sujet déjà ?
– Ce qui vient de se dire ? Pfff, c’est pas facile à suivre vous savez.
– Moi, je pense que c’est quatre nénettes – Barjot, Bourges, La Rochère, Boutin – qui se tirent la bourre et veulent toutes être têtes de liste.
– Ça vasouille. »
« Commander un enfant sur Internet »
Tout le monde se calme lorsque le père Daniel Ange prend la parole pour décrire les effets de la « théorie du genre » à l’étranger. Avec une petite revue de Web, piochée en partie sur des sites de « réinformation » :
« Bientôt, on pourra commander un enfant sur Internet. Fait avec des paillettes d’Afghanistan et un ventre au Japon. […]
En Suisse, le Parlement fédéral veut légaliser l’inceste. Au seul motif que cela existe ! […]
En Allemagne, un parti milite pour la légalisation de la zoophilie. […]
En Suède, on utilise le neutre pour s’adresser aux enfants. »
Débat sur la « situation de la France » à Sainte-Foy-lès-Lyon, le 7 septembre 2013 (Rémi Noyon/Rue89)
Dans la salle, quelqu’un avertit :
« Il n’y a qu’à regarder en France, déjà tous les logiciels de l’Education nationale sont revus. Sur les livrets scolaires d’école on trouve : “Responsable 1 : père, mère, autre.” »
La catharsis est lancée, on ne l’arrêtera plus. Un autre de renchérir :
« On interdit aux petits garçons de faire pipi debout car c’est une “ discrimination ” vis-à-vis des filles. On les oblige à s’asseoir ! »
Dieu est amour, quand même
De la « théorie du genre » dans les écoles, l’assemblée glisse doucement vers le ministre de l’Education nationale et sa « nouvelle religion ». Le « laïcardisme » tendance lutte cléricale qui veut « arracher » les enfants à leur famille « sous des prétextes pédagogiques ».
Le « Peillon-bashing » se poursuit encore quelques minutes avant que tout ce beau monde ne file vers la chapelle pour la messe du soir. Histoire de ne pas perdre de vue que Dieu est amour.
Quant au scénario de la « saison 2 » de la Manif pour tous, il est laissé à l’état de brouillon. « De toute manière, personne ne comprend personne », souffle une participante.