Sensé offrir aux couples de même sexe une alternative au mariage, union sacrée dont les portes leur restaient closes, le Pacte civil de solidarité est entré en vigueur il y a quinze ans… Après des débuts timides, il s’est finalement imposé comme un choix pour de nombreux Français, avec deux Pacs conclus pour trois mariages.
Irène Théry, sociologue du droit et de la famille, directrice d’études à l’EHESS et auteur du rapport ministériel Filiation, origines et parentalité (Odile Jacob), revient pour 20 Minutes sur l’évolution de ce contrat qui a convaincu plus de 320.000 personnes en France rien qu’en 2013 : «Le Pacs a été la première marche vers l’égalité de tous les couples.»
Lors de son entrée en vigueur, le Pacs a été dénoncé par certains détracteurs comme un mariage gay au rabais. Concrètement, ce Pacs, c’est quoi et qu’a-t-il changé en matière de droits ?
Le Pacs est une spécificité française. Il y a 15 ou 20 ans, la plupart des autres pays ont commencé à répondre aux revendications des homosexuels en créant une union civile, donnant tous les droits du mariage en matière de couple, mais n’ouvrant pas vers la filiation. Le Pacs est très différent, on peut le rompre unilatéralement par simple lettre recommandée, ne protège pas le plus faible en cas de séparation ni le survivant en cas de décès. On s’est interrogé sur la valeur d’un tel contrat et avec le recul, on comprend qu’il s’agit moins d’un sous-mariage que d’une forme de «concubinage déclaré». C’est tout le paradoxe du Pacs. D’un côté, une solution minimale, comparée à l’union civile, mais de l’autre, le Pacs a représenté un enjeu symbolique très fort en France. Pour la toute première fois, la notion de couple de même sexe a été admise dans notre droit civil. Jusqu’alors, ces couples n’avaient aucune existence juridique.
Le Pacs séduit de plus en plus de couples hétérosexuels, pourquoi?
Le Pacs est venu régler deux types de problématiques. En plus de reconnaître les couples de même sexe, il s’adressait plus largement à l’ensemble des concubins. Il a permis de conférer des droits fiscaux et sociaux à ceux qui n’en avaient quasiment pas à l’époque et qui n’avaient pas droit à une déclaration d’impôts commune, bien que partageant le même foyer. Quand j’entends que le Pacs a été dévoyé par les hétéros, c’est une erreur. On ne devrait pas s’étonner qu’il soit à 95% souscrit par des couples hétéros, puisque 95% des couples sont hétéros ! Le Pacs permet à tous les couples non mariés, de sexe différent ou de même sexe, de concilier existence juridique, droits sociaux et liberté. Il peut être vécu comme un premier pas avant le mariage ou comme une alternative.
L’adoption du mariage pour tous a soulevé la même levée de boucliers que le Pacs il y a quinze ans…
Il y a en France un courant très traditionaliste concernant la famille, proche de l’église. Une mouvance minoritaire mais très active et hostile à toute modification ou évolution de la notion de famille telle qu’elle la conçoit. Déjà dans les années 1970, ces traditionalistes ont prédit la «fin de la civilisation» lorsque le législateur a instauré le divorce par consentement mutuel, le passage de la puissance paternelle à l’autorité parentale ou a donné les mêmes droits aux enfants, que leurs parents soient mariés ou non. Même chose pour le Pacs, pourtant personne aujourd’hui n’envisagerait de revenir dessus, sauf peut-être Christine Boutin. La France est ouverte, et on voit déjà que le mariage pour tous est de mieux en mieux accepté.
Quelles sont aujourd’hui les nouvelles batailles autour de la famille ?
Le changement se fait parce que de nouvelles valeurs organisent la famille contemporaine. Le Pacs a été la première marche de l’égalité pour les couples de même sexe, qui ont aujourd’hui les mêmes choix d’union que les hétéros. Mais beaucoup de chemin reste à faire sur le terrain de la filiation. Notamment pour permettre l’accès à la PMA (procréation médicalement assistée) pour les couples de femmes. Mais cela ne concerne pas que les homos: il faudrait une réforme globale de l’adoption, qui n’a pas été modernisée depuis 1966; et un débat de fond sur l’engendrement avec tiers donneur. Notre vieux pays frileux, inquiet, méconnaît les réalités concrètes, et ce sont les jeunes générations qui en paient le prix. Désormais, il faut faire avancer la filiation pour tous.
Anissa Boumediene
pour 20 Minutes