Stéphane Corbin est auteur-compositeur-interprète et a créé en 2013 le collectif Les Funambules, qui réunit plus de 200 artistes de tous bords rassemblés pour défendre l’amour dans sa diversité et lutter contre la résurgence de préjugés archaïques concernant l’homosexualité. Avec l’agitation suscitée ces derniers jours par les anti-mariage gay, il revient dans un témoignage sur son adolescence et se souvient de ces manifestations de 1999, où des élus de la droite « modérée » défilaient déjà contre le Pacte civil de solidarité, entourés de pancartes « les pédés au bûcher », Christine Boutin et Christian Vanneste en tête.
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J’avais 15 ans et je vivais à la campagne. Internet balbutiait et les portables n’existaient pas. Les premiers mecs que j’ai rencontrés c’était par Minitel. « 3615 j’ai peur que mes parents me chopent sur la facture détaillée ». Dans la grande ville la plus proche, il n’y avait qu’un bar gay où je n’ai jamais osé entrer. Les fenêtres étaient toutes fermées par des rideaux noirs opaques.
Au lycée, aucune représentation de l’homosexualité. Ni dans les cours, ni chez les profs, ni chez les élèves. Je ne comprenais pas bien ce que je ressentais, et je pensais que j’étais seul à le ressentir et qu’il fallait le cacher. Et personne, jamais, pour me parler d’amour…
La fac est arrivée, vaguement libératrice. Je suis tombé amoureux pour la première fois. Lui pas. Mais au moins j’arrivais à mettre un nom sur ce que je vivais et auprès de mes amis les plus proches, à ne plus faire semblant. Quelques bars ont ouvert. J’y allais de temps en temps. Je ne m’y sentais pas très à l’aise. J’ai entendu parler des saunas, je n’ai jamais voulu y aller. Je voulais être amoureux, simplement.
Je n’avais pas beaucoup de temps dans ces années-là. J’étais occupé ailleurs, à vivre un drame familial qui me prendrait 5 années. 5 années qui nous emmènent en 1999, date où le PACS est enfin voté sous le gouvernement Jospin. De ce moment qui aurait dû être une joie, je me souviens surtout de la violence des opposants. Je me souviens des manifestations où des élus de la droite « modérée » défilaient entourés de pancartes « les pédés au bûcher », Christine Boutin et Christian Vanneste en tête.
Je me souviens que des gens voulaient que je brûle sur un bûcher, pour quelque chose que je n’avais pas choisi. Pour moi qui ai des origines juives, ça résonnait comme une vieille rengaine dégueulasse. Peut-on imaginer aujourd’hui, en France, des pancartes « Au bûcher les trisomiques! » ou « Au bûcher les Arabes! » ou « Au bûcher les roux! »
Un PACS, contrairement à un mariage, ça se dissout à la mort de l’un des pacsés. Alors à la seconde où son mec est mort, mon ami n’a plus eu un seul droit sur ce qui allait suivre…
Du PACS, je retiens aussi l’histoire de l’un de mes meilleurs amis, dont le compagnon est décédé il y a 5 ans, à un âge où on n’est pas censé mourir. Un PACS, contrairement à un mariage, ça se dissout à la mort de l’un des pacsés. Alors à la seconde où son mec est mort, mon ami n’a plus eu un seul droit sur ce qui allait suivre… La famille de son mec, qui l’avait pourtant rejeté depuis des années, du fait de son homosexualité, devenait celle qui allait décider de tout: l’enterrement, la cérémonie, la succession et jusqu’au choix de la photo qu’on mettrait sur la tombe. Mon ami n’avait plus son mot à dire. C’est pourtant lui qui l’avait accompagné, pendant 7 ans, dans la joie et dans la mort.
Me sont revenues à ce moment-là ces histoires que m’ont racontées des amis plus âgés, du début des années SIDA: deux hommes vivaient dans un appartement depuis des années, au nom de celui qui venait de mourir. Et celui qui restait était sommé par la famille de celui-ci (qui l’avait évidemment complètement rejeté autrefois) de dégager séance tenante. Plus de compagnon, plus d’amour, plus de toit, plus rien… Comme si la douleur de perdre son amour n’était pas assez forte, on vous dépossédait de ce qu’il restait d’humanité entre vous, de vos souvenirs tangibles de cet amour, de l’endroit où vous l’aviez construit et vécu, à deux… Et aucune loi n’était là pour contrer ça. Aucun droit. Aucun recours. Des vies entières laminées en une poignée de secondes.
J’ai la chance de vivre à Paris. J’ai la chance aussi d’être artiste et d’être entouré de gens tolérants, ouverts, intelligents. J’ai la chance, parce que je suis un peu plus âgé maintenant, de n’avoir plus grand chose à foutre des regards gênés, et de ne plus entendre les insultes. Parce qu’il y a toujours des insultes.
Mais j’ai peur aussi, quelques fois. Peur de ne pas pouvoir faire ces choses aussi simples qu’embrasser l’homme que j’aime dans la rue, parce que ce n’est pas le bon quartier, la bonne ville ou la bonne heure.
Il y a quelques années, je suis parti pour la première fois en vacances avec mon père et mon ami de l’époque. Mon père, très tolérant et intelligent a été très étonné: « Mais alors, vous faites les mêmes choses que nous, vous vous passez la main dans les cheveux, vous vous embrassez, vous vous faites des câlins ». Oui, on fait la même chose que les autres.
Aujourd’hui, je suis heureux d’avoir le droit de me marier. Et d’avoir des enfants, qui seront des enfants de l’amour et pas de la honte.
Nous allons continuer à vivre, à chanter, à nous battre pour les droits que nous n’avons pas encore.
Saint-Just disait: « pas de liberté pour les ennemis de la liberté », alors quand je vois la violence qu’a généré le projet du mariage pour tous, c’est à ce slogan que je pense. On ne négocie pas avec les extrêmes, avec les fous, avec les intégristes. On passe outre et on les emmerde.
On les croit disparus, mais ils reviennent toujours. Ils sont comme le cancer. Qu’ils continuent leurs mascarades ridicules et leurs discours d’un autre siècle construits sur l’ignorance, la peur et la bêtise. On sait bien qu’ils ne pourront pas gagner… ils ont déjà perdu il y a plus de 3 ans, quand la loi est passée. Mais il doit leur sembler que le monde va si bien que la seule priorité est de démarier des gens qui s’aiment et qui ont acquis de nouveaux droits si précieux et évidents…
Dans ce monde où les obscurantismes ne se cachent plus et tentent de s’acheter une respectabilité, nous allons continuer à vivre, à chanter, à nous battre pour les droits que nous n’avons pas encore.
Pour qu’on fasse un jour de ces mots de 1789 – « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » – une réalité.