Je suis un homme et je porte des jupes, et alors ?

Mon intérêt pour la jupe a commencé alors que j’avais quitté l’université et que je venais de trouver un emploi à Lyon. Mais en réalité, le chemin qui m’y avait conduit avait sans doute débuté quelques années plus tôt, à l’époque où j’avais quitté le nid familial pour poursuivre mes études à Nancy.

J’étais jeune, indépendant pour la première fois, et je m’étais décidé à m’ouvrir à de nouveaux horizons, à explorer des territoires méconnus dont certains, la cuisine par exemple, ont été longtemps considérés comme réservés aux femmes.

Ce ne fut hélas qu’une demi-surprise, lors de cette exploration, de constater à quel point les stéréotypes sur les hommes et les femmes étaient encore tenaces. Pour témoins, ces livres de recettes qui s’adressaient « aux cuisinières », au féminin notez bien, ou encore celui-là, une perle rare, un livre de cuisine à offrir à son homme pour qu’il sache se faire des petits plats en l’absence de madame !

Le charme et la séduction ne sont pas l’apanage des femmes

Outre l’apprentissage de l’art culinaire, j’apportais aussi plus d’importance à ma façon de m’habiller. Pas facile, à une époque où l’on ne parlait pas encore de métrosexualité.

Depuis tout petit, on nous inculque que la beauté est l’apanage de la femme et cela se reflète, hélas, dans l’offre vestimentaire des magasins de mode. « Dans la nature, c’est le mâle qui est le plus beau. C’est l’inverse que chez l’Homme », dit-on aux enfants à qui l’on fait observer le plumage bigarré de certains oiseaux mâles, comparable métaphoriquement aux bijoux et aux tissus portés par les femmes, et qui renvoient dans nos esprits à l’idée de beauté.

En tant qu’adulte, faut-il continuer à souscrire à l’idée que l’élégance, la joliesse, le charme et la séduction seraient les privilèges de la femme ? Que les hommes seraient indifférents à leur propre apparence, et les femmes elles-même indifférentes à l’apparence des hommes ?

Les rayons homme restent moins originaux, moins fournis

Les bijoux des hommes aztèques, les tatouages des maoris, les peintures de guerre des indiens d’Amérique, la sensibilité des Grecs anciens envers la beauté masculine, ne prouvent-ils pas au contraire que cette conception n’a rien d’universel ? Plus proche de nous, l’habillement des nobles à la cour de Louis XIV ou celui des dandys du XIXe siècle montrent aussi que ces idées sur la beauté et ses artifices ne sont pas aussi profondément enracinés qu’on pourrait le croire dans notre société et notre culture.

Pourtant, il n’y a qu’à entrer dans une boutique de vêtements pour se convaincre qu’aujourd’hui, les mentalités sont toujours influencées par de tels stéréotypes.

Les rayons homme restent désespérément moins fournis, moins originaux et plus ternes que ceux des femmes. Prenez un catalogue de vente par correspondance, vous verrez qu’il y a deux fois plus de pages consacrées aux vêtements pour femmes qu’aux vêtements pour homme.

Un jour, j’ai décidé d’acquérir un kilt

Les années passèrent, les temps évoluèrent (un peu) et la société découvrait enfin que certains hommes étaient soucieux de leur habillement.

Mes études terminées, je m’étais donc installé à Lyon et j’y avais trouvé quelques boutiques de vêtements sympas. L’internet s’était lui-aussi développé entre-temps, et il allait me permettre de concrétiser une idée qui m’avait déjà traversé l’esprit : acquérir un kilt !

Un soir, je m’installa donc devant mon ordinateur et fit une recherche de sites marchands proposant ce style de jupe écossaise. Mais la curiosité laissa vite la place à la déception : les prix et les temps d’attente étaient assez élevés. Il faut savoir qu’il faut facilement débourser quelques centaines d’euros pour un kilt traditionnel, et les prix ne sont pas tellement bon marché non plus pour les autres types de jupes pour homme.

Alors, quand je vois que les jupes pour femme peuvent descendre jusqu’à 10 euros, j’avoue être un peu exaspéré…

Bref, le prix m’avait un peu refroidi, mais ne m’avait pas pour autant fait renoncer. J’ai commandé un kilt en tartan « Scott Green » et j’ai attendu patiemment qu’on me le confectionne et qu’on me le livre.

Je suis tombé amoureux de cette jupe

Et quand le colis tant attendu est enfin arrivé à la maison, je suis littéralement tombé amoureux de cette jupe. Car le kilt est l’antithèse des vêtements pour homme. Il est coloré (vous avez souvent vu des hommes en pantalon rouge ?).

Il est élégant, avec ses plis qui ondulent gracieusement en rythme quand on marche. Il est court et sexy : les autres habits masculins qui s’arrêtent au-dessus de la cheville, short, bermuda et pantacourt, sont des vêtements « décontractés », inélégants et réservés au cadre privé ou sportif.

Enfin, il est associé à une histoire, à des codes (le motif du tissu, la manière d’attacher l’épingle…) et à des accessoires (la sacoche en cuir portée à l’avant…) qui raviront l’homme élégant.

La première sortie est la plus difficile

Mais ce n’était pas le tout de l’avoir acheté… Il fallait ensuite oser le porter ! La première sortie est la plus difficile. On se demande comment les gens vont réagir. Est-ce que tout le monde va se retourner sur moi ? Et si des passants se moquent ?

Mon kilt serré à la taille, je descend de mon immeuble, sans rencontrer de voisins. Je passe la porte, me voici dehors, potentiellement exposé au regard des autres. Je me dirige, à pied, vers le centre-ville, là où il y a le plus de monde. Dans la gueule du loup, en quelque sorte. Dans une rue piétonne, j’entends des rires derrière moi. Je jette un coup d’œil en arrière. Mais non, ce n’est pas de moi qu’on se moque.

Peu à peu, mon estomac se desserre. Les regards ne sont pas si nombreux finalement, et quand ce sont ceux de jolies filles, ce n’est pas si désagréable, après tout…

Plus agréable d’avoir les jambes libres en été

Très vite, et lors des sorties suivantes, je finis par trouver ça normal de porter une jupe, j’en oublie même que j’en porte une et je ne manque pas d’être surpris quand un inconnu me complimente sur ma tenue.

Lors des chaudes après-midis d’été, je me rend compte qu’il est agréable d’avoir les jambes libres alors que les hommes que je croise sont serrés dans leurs pantalons.

Ma garde-robe s’enrichit peu à peu de vêtements aux styles bien distincts, kilts aux tartans colorés, jupe gothique avec chaînes en métal, sarong indonésien ou paréo tahitien… et il m’arrive de sourire en repensant à l’époque où « s’habiller » signifiait avoir à choisir entre le jean bleu et le jean noir.

Des rencontres et des réactions amusantes

Porter le kilt, ainsi que d’autres styles de jupes masculines, ça a aussi été l’occasion de rencontres amusantes. Ces dames âgées qui chantonnent « It’s a long way to Tipperary » en passant à côté de moi.

Cette jeune fille aux accents de la banlieue, rencontrée au supermarché, qui me demande si c’est la nouvelle mode. « Je lance la mode ! », lui avais-je répondu. Elle me quitta en me disant : « Respect ! ».

Une autre, avec sa copine, cette dernière à la fois hilare et gênée que son amie aie le culot d’aborder cet homme en jupe longue :

« Excusez-moi, monsieur, mais mon amie se demandait si vous étiez prêtre ? »

Encore une autre qui souhaite me photographier pour envoyer à un ami qui avait déjà fait l’expérience de porter une jupe. Et celles-là, lors de la Saint-Patrick, qui accourent vers moi, et me demandent si elles peuvent soulever mon kilt. C’est la fin de la soirée, je n’ai pas la force de refuser. Je me laisse donc faire. Après avoir jeté un coup d’œil, l’une d’elle s’écrie alors : « Merde ! », et les voilà qui repartent aussitôt en courant !

Ces jupes sont masculines et résolument viriles

Aujourd’hui, j’ai complètement adopté la jupe masculine, et porter ce vêtement est désormais pour moi un acte aussi naturel que de porter un pantalon. Je peux ainsi pleinement profiter des avantages de la jupe, une originalité, un confort, un charme que j’ai du mal à retrouver dans ses cousins à deux jambes.

Est-il utile de préciser que les jupes que je porte sont dans un style bien masculin ?

Un prêtre en soutane ou un homme qui enfile sa robe de chambre ne cherche pas à ressembler à une femme. Moi non plus.

Les jupes dites « masculines », par leur coupe, leurs matières, couleurs et motifs ont une allure résolument virile. Je me rappelle d’ailleurs cette phrase étonnante, entendue lors d’une sortie dans un bar, à propos du kilt gothique que j’avais mis pour l’occasion :

« Jamais une femme ne porterait ce genre d’habit. »

La société avance, la mode masculine aussi

Quelle ironie ! Alors que la femme s’est appropriée tous les vêtements de « notre » garde-robe, la jupe pour homme serait-elle le dernier vêtement masculin ?

Ce qui me fait revenir aux raisons qui m’ont poussées à adopter la jupe masculine. Ce qui avait provoqué ma démarche, rappelons-le, c’était ce besoin de me libérer des stéréotypes, d’explorer des domaines sensés m’être étrangers, tels que la mode, la beauté, la séduction… Le kilt, puis la jupe, répondait à ce besoin pour des raisons pratiques, esthétiques (aucun lien, en fait, avec la version féminine du vêtement).

C’est dans le même état d’esprit que, plus tard, je me suis engagé auprès de l’association HEJ pour promouvoir ce style vestimentaire. Je trouve en effet un peu triste de voir les autres hommes accepter leur manque de choix et de confort, notamment sur le lieu de travail, alors que les femmes, elles, se sont battues pour pouvoir porter le pantalon.

La société n’avance que si chacun de nous fait l’effort de mettre un pied devant l’autre. Il en va de même pour la mode masculine, pour l’égalité homme-femme, même dans ce qu’elle peut avoir de plus banal. J’ai décidé de faire partie de ceux qui ouvrent la voie. La peur de la réaction des autres s’est vite révélée injustifiée, et, au-delà de mon bien-être personnel, j’ai la sensation, à travers les rencontres, les anecdotes du quotidien, et les activités au sein de HEJ, de participer à un mouvement plus grand que moi.

La société avance, et on avance bien mieux les jambes libres.

Par 
Membre de l’association Hommes en jupe
leplus.nouvelobs.com
Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec