Monsieur le Président,
Entre l’asile fiscal accordé à Gérard Depardieu et l’asile politique d’Edward Snowden, vous êtes, ces derniers temps, sous le feu des projecteurs, aussi bien tricolores que mondiaux : quel homme de cœur vous êtes, prêt à prendre sous votre aile protectrice la veuve et l’orphelin !
Pardonnez-moi, d’ores et déjà de casser quelque peu l’ambiance et loin de moi l’envie d’exercer un droit d’inventaire tant à la mode en ce moment, mais je souhaiterais évoquer une loi que vous avez votée, pardon que les parlementaires russes ont votée, en juin, loi qui, de manière extrêmement floue, dispose que la propagande pour les « relations sexuelles non traditionnelles » devant mineur sera pénalisée.
Grâce à cette notion non-définie de propagande, cette réglementation permet d’interdire au final de parler des thématiques LGBT puisque tout type d’information diffusé pourrait ainsi être considéré comme étant de la propagande ! Parler de prévention du suicide des jeunes homosexuels : non. Parler d’acceptation des différences : non. Parler de mal-être : non. Parler des violences homophobes : non. Parler des droits, d’égalité, de mariage et de la visibilité des droits LGBT : non, non, non et surtout non !
Monsieur le Président, cette loi, au-delà du fait de casser votre image de « protecteur du plus faible », est une erreur. Une erreur grossière. Une erreur historique tout autant que dramatique. Mais l’avantage des erreurs c’est qu’elles peuvent se corriger.
Alors que je m’insurge naturellement contre l’instauration de cette homophobie d’Etat, vous pourriez d’abord me répondre que cette loi va dans le sens de l’opinion publique de votre pays qui semble majoritairement homophobe et, ensuite, que cela ne regarde pas le simple citoyen Français que je suis.
D’une part, sur l’argument de l’opinion, je ne pourrais malheureusement que vous donner raison. Les dernières données, à ma connaissance montrent que 34% des personnes interrogées en Russie croient que l’homosexualité est une maladie, 23% une perversion. 49% préféreraient que l’on soigne les homosexuels soit psychologiquement, soit physiquement. 16% pensent qu’il faudrait les isoler, et 5% estiment que la solution serait de les « liquider » physiquement ! Moi-même qui étais présent à la première Gay Pride en 2006 à Moscou, je n’ai pu que constater les violences des groupuscules extrémistes mais aussi des passants en général.
Mais, face à cet état de fait, votre rôle, en tant que chef de l’Etat, ne serait-il pas plutôt de faire évoluer la société plutôt que la figer dans des certitudes qui sont bien plus des manifestations d’ignorance que de réels avis ? Car, c’est bel et bien de l’ignorance que naît le préjugé et la stigmatisation. Ce qu’il faudrait c’est une politique d’éducation ambitieuse basée sur la connaissance et non sur l’endoctrinement, fondée sur l’apprentissage de l’Autre et non son rejet systématique. Mais de cela, il n’en n’est pas question selon vous, vous qui avez préféré signer un blanc-seing à tous les groupuscules du pays leur permettant d’exprimer leur haine sur des personnes que vous avez consacrées non seulement comme des sous-citoyens, mais aussi désormais comme des délinquants.
D’autre part, vous pourriez également me dire que cette loi regarde exclusivement les affaires internes de la Russie. Face à cet argument, je ne pourrais que constater que beaucoup sont d’accord avec vous : dès que l’on parle de la Russie, cette grande puissance économique avec tant de ressources naturelles, beaucoup hésitent à s’opposer ; certaines voix, habituellement fortes, deviennent subitement assez fluettes quand est évoqué le dossier russe … Manifestement, le climat russe favorise les extinctions de voix ! Mais ces gens là ont tort. Tout comme vous.
Tort, parce que la Fédération de Russie fait partie du Conseil de l’Europe, organisme qui a pour but, rappelez-vous, de défendre les droits de l’Homme, la démocratie et l’état de Droit. Vastes thématiques qui trouvent un terrain d’action fort intéressant au sein de la Fédération de Russie, maintes fois condamnée dans ce cadre. Aujourd’hui, le Conseil de l’Europe doit prendre ses responsabilités et, réellement et sans ambages ou ronds de jambe, taper du poing sur la table. Ce n’est même pas une question de légitimité mais bien plus de survie ! Car nous voyons bien finalement où vous voulez en venir.
Monsieur le Président, vous lancez un défi aux démocrates : non pas un défi aux associations de défense des LGBT mais un défi à nous tous, un défi aux valeurs humaines que nous défendons, un défi à un régime politique qu’on qualifie de faible et qui pourtant est la meilleure des organisations : la démocratie.
Vous nous obligez à faire un choix : capituler et accepter que nos valeurs ne soient que belles déclarations et bouts de papier ou défendre ces mêmes valeurs, les défendre bec et ongles, concrètement, obstinément. Nous ne pouvons rester neutres car ce non-choix signifierait simplement d’accepter de se renier nous-mêmes.
Nous devons vous faire entendre raison. Nous devons vous faire plier, car il ne peut être envisageable qu’en 2014, les Jeux olympiques aient lieu dans un pays qui ne respecte pas les droits humains. Déjà, des chefs d’Etat comme le président Obama se font entendre. Le CIO devra aussi prendre ses responsabilités et ne pas se contenter de vagues déclarations humanistes.
Monsieur le président, c’est l’honneur des hommes d’Etat de reconnaître leurs erreurs. Il est encore temps de revenir sur votre politique homophobe. Vous qui avez une si haute idée de votre pays et de sa grande histoire, ne soyez donc pas le chef de l’Etat qui fera retourner la Russie dans l’obscurantisme des pays liberticides et autoritaires.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’expression de mes salutations les plus militantes.
Jean-Luc Romero
Conseiller régional d’Ile-de-France
Suivre Jean-Luc Romero sur Twitter: www.twitter.com/JeanLucRomero