La Commission Africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), principal organisme de surveillance des droits humains en Afrique, a débouté, il y a quelques jours, trois associations, Human Rights First Rwanda, Synergía et notre partenaire Alternative Côte d’Ivoire, qui œuvrent notamment contre les violations des droits humains LGBT+.
La commission Africaine estime en effet que l’orientation sexuelle n’est « pas un droit ou une liberté expressément reconnu par la Charte africaine », et que protéger les droits des minorités sexuelles et de genre, faire progresser l’égalité et la dignité pour toutes et tous, est « contraire aux vertus des valeurs africaines ».
Une décision qui érode sérieusement son indépendance et sa capacité à remplir son mandat, puisqu’elle contredit sa propre jurisprudence et ses normes pour encourager de fait la discrimination et l’intolérance.
La commission confirme par ailleurs les préjugés homophobes et transphobes qui gangrènent le continent, exposant les défenseurs des droits humains travaillant à la protection des personnes lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués (LGBTI) à la violence de la part d’acteurs étatiques et non étatiques, comme le soulignent les associations dans un communiqué.
Elles rappellent en outre que les droits des personnes sont interdépendants et indivisibles, et que si toutes les ONG étaient disqualifiées du statut d’observateur parce que leur thématique LGBT+, beaucoup d’autres seraient affectées, particulièrement celles qui soutiennent les droits des femmes, et donc des lesbiennes en l’occurrence.
La charte à laquelle la commission se réfère pour justifier son rejet contient pourtant une disposition, l’article 2, pour « autre statut », établissant une liste non limitative de motifs de non-discrimination, qui peuvent inclure l’orientation sexuelle. Le handicap et l’âge n’y étaient pas non plus spécifiés. La commission les a néanmoins ajoutés. Et en 2014, elle a aussi adopté une résolution condamnant spécifiquement « les attaques systématiques par des acteurs étatiques et non étatiques » contre des personnes en raison de leur orientation sexuelle ou identité de genre supposée ou réelle.
Difficile par conséquence de cerner cette interprétation restrictive des « valeurs africaines ». La discrimination engendre la violence, et la violence est contraire au respect des droits de l’homme. Et si, 32 États africains (60 % d’entre eux) criminalisent encore les relations homosexuelles entre adultes consentants, 22 autres (soit 40 %) ne les interdisent pas ou ne le font plus.
Les organismes déboutées craignent que cette décision de la Commission africaine n’ait été motivée par le Conseil exécutif, un organe politique de l’Union africaine, qui avait déjà fait pression sur la Commission pour qu’elle retire le statut d’observateur accordé en 2015 à la Coalition des lesbiennes africaines. Ce qu’elle a fait en 2018.
Par conséquent, cette nouvelle décision suggère une prédisposition de la CADHP à apaiser certains de ces États membres répressifs et un tournant dangereux vers un abandon irrémédiable de son indépendance dans l’exécution du mandat défini par l’article 45 de la Charte, remettant en question son intégrité, impartialité et sa compétence en matière de droits humains, comme l’exige l’article 31 de la Charte.
Les ONG exhortent la commission a revenir sur sa décision; veiller à respecter, protéger et réaliser les droits humains conformément au droit et aux normes internationales et régionales en matière de droits humains, sans aucune ingérence politique et en préservant son indépendance dans toutes ses décision; réaffirmer l’esprit de la Résolution 275/2014 dans toutes ses décisions et reconnaître les dangers de la violence et des autres formes de discrimination à l’encontre des personnes en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre réelles ou supposées; s’engager à protéger tous les défenseurs des droits humains sans aucune discrimination; et enfin, s’abstenir de toute interprétation restrictive de la Charte ayant un impact négatif sur leur mandat de protection et de promotion des droits humains pour tous.
Pour soutenir la déclaration rédigée par Synergía Initiatives for Human Rights, Amnistie International, le Centre for Human Rights (CHR)-Université de Pretoria, l’Initiative for Strategic Litigation in Africa (ISLA), le Mouvement pour les Libertés Individuelles (MOLI), et PanAfrica ILGA, cliquez ici.