Un article de StreetPress revenait sur un essai intitulé: «Les féministes blanches et l’Empire», signé Stella Magliani-Belkacem et Félix Boggio Ewanjé-Epée, aux éditions La Fabrique. «Un petit livre vert (110 pages) dans lequel les deux auteurs affirment que «l’homosexualité, comme identité» est «une notion» occidentale qui n’est pas adaptée au monde arabe et africain. Et par «analogie», pas adaptée non plus à ceux qui en sont issus: les habitants des quartiers populaires», résumait l’auteur de l’article, Robin d’Angelo. Les deux auteurs de cet essai sont associés au mouvement «Les Indigènes de la République». StreetPress a joint sa porte-parole, Houria Bouteldja. Cette dernière «reprend à son compte la théorie de l’essai, qui lui est dédicacé», selon StreetPress. «Le mariage pour tous ne concerne que les homos blancs», dit-elle. Newsring à contacté sa porte-parole, Houria Bouteldja, pour qu’elle précise ses propos. Entretien.
Pouvez-vous préciser les propos que vous avez accordés aux journalistes de Street Press? «l’homosexualité, comme identité» est «une notion» occidentale qui n’est pas adaptée au monde arabe et africain ?
Se revendiquer gay, c’est à dire revendiquer une identité politique gay, n’est pas du tout un acte universel. Ça existe en Europe, ça existe aux Etats-Unis, ça n’existe pas au Maghreb. Avant de répondre à vos question, je vous précise que l’article de Street Press a été dénoncé par le PIR et par Stella Magliani Belkacem et Félix Ewanjé Epée comme mensonger et caricatural. Vous trouverez le démenti du PIR ici, et la mise au point des auteurs des « Féministes blanches et l’empire » publiée par Rue89 ici.
Pour répondre à votre question, il se trouve que je ne suis ni sociologue, ni anthropologue. Il suffit de comprendre qu’il y a autant de manières de vivre son homosexualité qu’il y a de cultures et de groupes humains et que ces modes de vie ne sont pas moins légitimes que ceux vécus en Occident. Par ailleurs, il y a homosexualité identifiée comme telle quand l’hétérosexualité est elle-même identifiée comme telle mais cette binarité n’est pas elle-même universelle. Il y a de part le monde des modes de vie extrêmement divers et étonnants. Le couple «un homme, une femme» qui est le mode dominant en Europe est lui même circonscrit dans le temps et l’espace. Combien de cultures l’ignorent ? Il existe des groupes humains où la famille n’a pas le même sens qu’ici, par exemple où les hommes ne sont que des géniteurs et n’ont pas un rôle social de père. Les enfants sont élevés dans la communauté des mères ce qui n’exclut pas les relations femmes/femmes ou hommes/hommes mais elles ne sont pas forcément identifiées avec nos catégories. Que pourraient signifier « homosexuels » ou « hétérosexuels » dans ces contextes ? Au Maghreb, l’homoérotisme a longtemps été toléré jusqu’à ce que la colonisation impose les normes de la binarité rigide homo/hétéro. Je vous recommande à ce propos les travaux de Joseph Massad.
Les identités s’ajoutent, ou s’annulent? Ne craignez-vous pas que ces propos soit perçus comme une forme de stigmatisation? Défendre ce que vous appelez les « indigènes de la République » en tant que victimes de l’homophobie est-il un problème?
Les identités peuvent parfaitement bien s’ajouter. On peut se revendiquer arabe et homosexuel / lesbienne puisque ce sont des identités disponibles en Europe. Cela existe. Ce que je dis, c’est qu’on ne peut pas aller défendre des hommes ou des femmes sur la base de leur homosexualité si celle-ci n’est pas revendiquée ou assumée par eux comme une identité. Cela pourrait être considéré comme un impérialisme sexuel. C’est pour cela qu’il est impératif de distinguer de distinguer «pratiques et vécus homosexuels» des «identités politiques homosexuelles». Il semble qu’il soit très difficile d’être homosexuel dans certains quartiers… C’est certainement difficile de l’être, mais c’est encore plus difficile de s’en revendiquer ouvertement. La revendication identitaire n’est effectivement pas tolérée.
C’est pourquoi il faut savoir respecter les stratégies et les modes de vie que les homosexuels adoptent dans leur propre contexte (les quartiers par exemple) et éviter les pressions de l’extérieur qui valorisent les modes de vie gay faisant fi des conditions objectives des concernés.
Il est facile d’être homosexuel dans les banlieues?
Vous imaginez bien qu’il y a de nombreux homosexuels en banlieue comme ailleurs et à ma connaissance on n’a jamais entendu parler de pogroms contre eux. La banlieue n’a pas à être plus stigmatisée que la campagne française ou la province car finalement si la France était tolérante de ce point de vue, le Marais, comme ghetto homo, n’existerait pas. Ce qui est sûr c’est qu’en banlieue la culture écrasante est la culture hétérosexuelle et qu’il n’y a pas de place dans les circonstances actuelles pour une homosexualité revendiquée. Ce qui compte en l’état ce n’est pas l’opinion contrariée des observateurs extérieurs, c’est les choix concrets que font les homos dans des contextes fragiles de précarité sociales, d’équilibre entre famille et individu. Si dans un contexte de contraintes multiples, les stratégies de vie contredisent les choix hégémoniques du monde blanc homos, alors il faut savoir le respecter.
Propos recueillis par Thomas Renou et Romain Pomian-Bonnemaison