« Un papaaa, une mamaaan, on ne ment pas aux enfaaants ! Allez plus fort, on va les manger tout crus ! » A l’appel de la sono, la foule reprend timidement. Il est un peu plus de 13h quand la tête du cortège répondant à l’appel de la « Manif pour tous » quitte la place Denfert-Rochereau, dimanche 13 janvier. Des Barbour et des fourrures, mais aussi des doudounes – la température ne dépasse pas 3°. Le Lion de Belfort était le point de ralliement des habitants des 6e, 7e et 15e arrondissements, de la banlieue sud et sud-ouest, et des provinciaux arrivés gare Montparnasse et gare du Nord. Certains viennent cependant d’encore plus loin, comme Maria, Marcos, Dehora et Angel, arrivés spécialement d’Espagne pour manifester – un peu aussi pour faire les soldes si l’on en juge par leurs paquets. « On se sent concernés même si on n’est pas Français, on veut défendre la famille. »
Dans le cortège, on compte de nombreuses personnes âgées, mais aussi des familles plus ou moins nombreuses et des jeunes (et un caniche aux couleurs de la manif place de Catalogne) : tous sont venus dire leur opposition au projet de loi sur le mariage pour tous, rebaptisé par les organisateurs « projet de loi Taubira ».
« Ah oui ça fait vraiment nazi… »
Daniel, 24 ans, venu des Yvelines avec trois amis, est « surtout opposé à l’adoption ». « On a une vision de la famille précise, avec un père et une mère, qu’on veut défendre ». L’étudiant en sciences po ne comprend pas qu’il n’y ait pas « davantage de concertation » sur un sujet de société « qui mobilise autant » : « On fait bien des états généraux sur l’environnement », avance-t-il. Catholique pratiquant et délégué UMP dans sa ville, il se dit moins gêné par le mariage homo : « Ça ne m’enchante pas, mais qu’ils veuillent obtenir les mêmes droits après tout pourquoi pas, il faut vivre avec son temps. » C’est un tractage dans sa ville qui l’a convaincu de manifester, alors qu’il ne s’était pas déplacé pour le mouvement de novembre. Son amie Manon, contre le mariage comme l’adoption, trouve « insupportables » les accusations d’homophobie des partisans du projet de loi. « Nos drapeaux roses, ah oui ça fait vraiment nazi… » raille-t-elle l’étudiante en classe prépa littéraire, qui se présente comme « athée et de droite ».
Des consignes respectées… ou pas
« On veut battre le pavé de manière historique », reprend la sono entre deux chansons de Boney M ou Katy Perry. Faire nombre semble en effet l’objectif prioritaire. « Ne marchez pas sur les trottoirs pour bien être comptabilisés », rappellent sans cesse les membres de l’organisation vêtus de tshirts orange, quand ils ne lancent pas aux manifestants « Souriez, vous êtes comptés ». Les consignes sont bien passées : « Il faut rester bien espacés, tu sais, pour qu’ils n’oublient personne et que ça fasse un gros chiffre », explique une quinquagénaire blonde à sa voisine.
La charte du manifestant est également respectée à la lettre concernant les pancartes – seules celles approuvées par la « Manif pour tous » étant autorisées. « Un père, une mère, c’est élémentaire », « Nos ventres ne sont pas des caddies », « Y a pas d’ovules dans les testicules », lit-on uniformément.
En revanche les préceptes qui recommandaient de répondre aux provocations avec un « grand sourire » sont plus difficiles à suivre : les sifflets ne se font pas attendre quand trois jeunes à un balcon rue Froidevaux expriment leur opposition à la manifestation en montrant leurs pouces vers le bas.
« Je suis déçue que ‘Marine’ ne soit pas venue »
Alors que le cortège continue sa route vers le Champ de Mars, Olga et Xénia ont fait une halte dans un café pour se réchauffer. Âgées de 65 ans, les deux amies sont venues de Versailles. Elles non plus n’étaient pas là en novembre. La première veut « surtout défendre le droit des enfants » pour « que la société puisse continuer à vivre sur ses bases ». Elle est contre l’adoption (« Je n’aurais pas aimé avoir deux papas « ), quant au mariage « pourquoi pas à la limite ». La blonde retraitée de la fonction publique territoriale dit être devenue « moins intolérante avec l’âge ». Elle se situe politiquement au centre, a voté Sarkozy, et s’est « bien renseignée » pour ne pas défiler sous la même bannière que Civitas. « C’est peut-être un peu différent pour mon amie », tient-elle à préciser. Cette dernière manifeste « au nom de la tradition chrétienne ». « Je suis contre les couples homo, j’aurais souffert si mes enfants l’étaient », confie la traductrice derrière ses gigantesques lunettes. Née en URSS et détentrice d’un passeport suédois, elle ne vote pas en France. « Mais je vais vous dire, je suis pour le Front national. Je connais bien Jean-Marie Le Pen, et je suis déçue que ‘Marine’ ne soit pas venue manifester ». A côté des deux amies, une manifestante se lamente au téléphone : « J’ai jamais vu une manif aussi nulle, je me suis fait chier, aucune ambiance ».
« Plus on est de fous, plus on rit »
Sur le Champ-de-Mars où convergent les manifestants, on fait pourtant des efforts pour réveiller l’assistance. Au micro, un animateur fait l’appel région par région, chacune représentée par une Marianne sur scène, un Code civil à la main. La foule réagit mollement. « Et je vous demande un tonnerre d’applaudissements pour… les clowns ». Là, c’est carrément le gros bide pour le happening.
Aymeric et Anne-Laure ont néanmoins fait monter les petits Léopold et Théophile sur un arbre pour qu’ils profitent au mieux du spectacle. Trentenaires parisiens et catholiques pratiquants, ils avaient déjà manifesté en novembre. Ce qui les gêne dans le mariage homo, c’est la filiation. « L’union de deux personnes destinée à rester stérile ne poserait pas problème », explique Aymeric, qui travaille dans une banque. Le couple est « très opposé » à l’adoption, à la PMA (procréation médicalement assistée, prévue dans un futur projet de loi sur la famille) et à la GPA (gestation pour autrui, qui n’est prévue dans aucun texte de loi à venir). Ont-il peur des amalgames avec Civitas, eux qui se disent du centre-droit ? « Plus on est de fous, plus on rit, tant qu’on partage les mêmes idées sur ce sujet précis ». Ils ne sont « pas homophobes », « mais en viendraient presque à le devenir » devant l’attitude des partisans du mariage, « leur refus de toute discussion, leur façon de dire qu’on n’a aucun argument, le fait d’être mis dans une case en tant que catho ». Quant au traitement des médias, « ça va mieux ces derniers temps, même si au départ c’était dur. Il y avait un parti pris, qui existe toujours, mais c’est devenu plus neutre ».
Sur scène, la chanteuse Rona Hartner a succédé aux clowns. Quand elle entonne « Emmenez-moi », n’était son image diffusée sur les écrans géants, on jurerait entendre Mireille Mathieu.
Par Anne-Sophie Hojlo