Dans une tribune sur le huffingtonpost, Elian Murat, Mais pourquoi n’y a-t-il pas de couple homosexuel dans Scènes de Ménages?
>> En cette rentrée, orphelin de mon habituel rendez-vous vespéral qu’était « Les Guignols de l’Info », je zappais machinalement et tombais finalement pour la première fois sur « Scènes de Ménages », programme court diffusé sur M6 qui chaque soir dépeint devant plus de quatre millions de téléspectateurs des situations burlesques de la vie quotidienne de cinq couples. C’est alors qu’un constat, comme une évidence, brula mes yeux et frappa mon esprit par la même occasion: la série présente un vieux couple, un autre dit « mixte », un autre inversant les codes masculins/féminins, un autre à la bonhommie joviale, et, nouveauté, un couple atypique composé d’une femme bien plus jeune que son conjoint. Bien qu’affichant une volonté farouche de représenter la diversité à la télévision, la série demeure strictement hétéronormée: aucun couple homosexuel, gay ou lesbien, n’est autorisé à s’inviter chaque soir dans les millions de foyers branchés sur M6. Est-ce par crainte de se priver d’une audience large et familiale, ou par simple omission? Cette question se veut rhétorique, et la réponse simple à deviner.
Le cas « Scènes de Ménages » est symptomatique d’un problème bien plus large dans la production audiovisuelle française: alors que les Français passent en moyenne 3h par jour à regarder la télévision, et bien plus à visionner des séries en streaming sur d’autres écrans, notamment les plus jeunes, l’homosexualité reste sous-représentée et/ou mal représentée lorsqu’elle l’est, les personnages répondant le plus souvent à des stéréotypes abusifs… C’est un fait, les homosexuels sont une minorité, ils ne représentent qu’entre 1 et 5% de la population totale selon les études, mais ont néanmoins à ce titre toute leur place dans les productions audiovisuelles.
« Ils », les homosexuels, ne forment pas un groupe homogène, pas plus que les hétérosexuels, les roux, les électeurs de droite ou les Français de manière plus générale, et ne devraient donc pas être représentés comme tel dans les médias. L’homme gay n’est pas forcément efféminé, n’a pas forcément un goût prononcé pour la mode, et n’est pas forcément la « bonne copine », quant aux femmes lesbiennes elles ne se comportent pas forcément « comme des hommes » et n’aiment pas forcément le foot. C’est pourtant ces représentations stéréotypées qui dominent à la télévision, alimentant par là-même la reproduction de ces stéréotypes dans une sorte de cercle vicieux. La diversité de l’humanité n’épargne pas les homosexuels, certains peuvent se rapprocher de ce portrait robot, d’autres ne peuvent absolument pas s’y reconnaître, sans que l’un ou l’autre soit à blâmer, à surreprésenter ou à occulter.
La télévision peut aider à la banalisation de l’homosexualité
Alors que les homosexuels sont à présent pris en compte par la loi et disposent, presque, des mêmes droits que le citoyen lambda, même de celui de divorcer comme les hétéros, l’homophobie et les discriminations qui viennent avec persistent tenacement dans certains segments de la société. Et c’est justement sur ce point que la télévision peut pleinement assumer sa responsabilité sociale en créant les conditions de la banalisation de l’homosexualité, nerf de la guerre contre l’homophobie ordinaire.
Ne plus uniquement associer l’homosexualité à des codes négatifs, à la souffrance, au rejet, mais également montrer que l’on peut bien vivre son homosexualité, être parfaitement accepté par ses proches, construire sa famille, en bref montrer qu’un personnage homosexuel est un personnage comme les autres, qu’un couple homosexuel est un couple comme les autres, et ne pas baser l’intrigue sur l’orientation sexuelle seule du personnage. Par paresse intellectuelle ou reproduction inconsciente des stéréotypes, il est aisé pour le scénariste d’être victime de ses propres préjugés et de construire un personnage incarnant le « gay de service« , sans profondeur ni nuances, et qui n’a d’intérêt en dehors de l’exotisme que représente sa préférence sexuelle.
Il est certes loin le temps des « Queers« , émission diffusée sur TF1 au début des années 2000 dans laquelle un commando d’homosexuels répondants parfaitement au portrait du gay décrit plus haut, débarqué chez un hétéro pour lui donner une leçon de style et de goût. Depuis, des séries très populaires comme « Plus Belle La Vie » diffusée sur France 3, ont eu le mérite, toutes considérations quant à la qualité intrinsèque du programme mises à part, de présenter des personnages homosexuels non-stéréotypiques dont l’orientation sexuelle n’est pas la seule raison d’être au sein de l’intrigue.
Il est temps que la production audiovisuelle française contemporaine rattrape les évolutions de la société dans laquelle elle prend ses racines, se montre inclusive et entre dans un cercle vertueux de déconstruction des stéréotypes. Cela vaut pour les orientations sexuelles comme pour toutes les autres minorités. Les français y sont prêts, le cas « Plus Belle La Vie » le prouve, en moyenne un public de 5 millions de téléspectateurs, principalement une audience familiale, suit fidèlement la série chaque soir et n’envisage même plus l’orientation sexuelle du ou des personnages gays comme un ressort dramatique.
Sans surestimer l’influence des médias, la télévision a une opportunité exceptionnelle, conjuguée à une lourde responsabilité, celle d’être un miroir, si possible non déformant, de la société, voire un accélérateur des évolutions sociétales et transformer la conception de la « normalité » qu’ont les téléspectateurs, en s’invitant quotidiennement dans leur intimité. Alors « Scènes de Ménages » et consorts, n’ayez crainte, pas d’autocensure si ce n’est pour éviter l’écueil du stéréotype, et autorisez-vous à montrer notre société telle qu’elle est: plurielle et riche de sa diversité!