La barbarie de Daesh n’a pas de limite. Depuis quelques mois, les homosexuels en sont les victimes médiatisées, comme une réponse du libéralisme occidental à l’égard de la population gay et lesbienne. Pour la première fois, l’ONU s’est réuni ce lundi pour tenter de trouver des réponses. Pour l’ambassadrice américaine à l’ONU Samantha Power, « il était temps, 70 ans après la création de l’ONU, que le sort des personnes LGTB qui craignent partout dans le monde pour leur vie, soit porté sur le devant de la scène ».
En un an, une vingtaine d’homosexuels ont été torturés et exécutés dans la zone tenue par l’EI, en raison de leur orientation sexuelle. Des hommes ont été lapidés, jetés dans le vide, décapités, certains auraient été brûlés vifs, parce qu’ils préféraient les hommes aux femmes. Et ce sont des foules en liesse qui assistent à ces froides exécutions, comme s’ils étaient « à un mariage » selon Subhi Nahasqui a réussi à fuir les persécutions dans son pays et travaille désormais pour une organisation d’aide aux réfugiés aux Etats-Unis.
Le groupe Etat islamique se montre sans pitié et justifie ses crimes par une application rigoriste de la Charia. Cette interprétation de l’islam est d’ailleurs soutenue par certains leaders de l’islam sunnite, comme le cheikh Youssef al-Qaradâwî, théologien de référence des Frères musulmans, qui prône également la peine de mort pour les homosexuels.
« Chaines de télévision possédées par des gays »
Sans aller aussi loin, de nombreux pays musulmans ont déclaré l’homosexualité illégale, à l’exception notable de la Turquie notamment. Le régime de Bachar al-Assad pourchasse aussi les homosexuels, qui risquent trois ans de prison. Shadi, homosexuel syrien réfugié au Liban, explique que « le gouvernement a lancé une campagne pour expliquer que la révolution est immorale parce qu’elle est soutenue par des chaines de télévision possédées par des gays… »
Le peuple de Lot
Le monde shiite n’est pas en reste. Selon Amnesty International, plus de 400 homosexuels ont été pendus en Iran, depuis le début de la révolution en 1979. Mais les terroristes de l’Etat islamique vont encore plus loin et le font savoir, en diffusant régulièrement des images de leurs atrocités. De pseudo-tribunaux islamiques condamnent sans vergogne des hommes coupables d’appartenir, selon leurs bourreaux, au « peuple de Lot » -un prophète qui selon le Coran tenta de ramener les habitants de la ville de Sodome dans le chemin de la dévotion à Dieu…
Passions homosexuelles
Avec presque à chaque fois la même sentence : être jeté du point le plus haut de la ville. S’ils ont le malheur de survivre, ils sont lapidés ou battus à mort par une foule massée là par les djihadistes. Un comportement parfois difficile à comprendre quand on sait la tolérance que vouait le monde musulman à l’égard des homosexuels au Moyen-âge. Ibn al Jawzi, savant musulman du XIIe siècle, demandait à ce qu’on traite indifféremment les passions hétérosexuelles ou homosexuelles.
L’amour des garçons
Abû Nuwâs, poète arabe connu et respecté des VIIIe et IXe siècles, encore aujourd’hui très apprécié dans les pays de langue arabe, glorifiait l’amour du vin, des garçons, de la chasse et du libertinage.
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Comment expliquer alors, la situation des homosexuels aujourd’hui dans le monde musulman en général, et sur le territoire de l’EI en particulier ?
Pour ARTE Info, Antoine Sfeir, politologue, directeur des Cahiers de l’Orient et président de l’Institut libre d’étude des relations internationales, nous éclaire sur le sujet.
>> Pourquoi cette haine des djihadistes à l’égard des homosexuels ?
Antoine Sfeir : les djihadistes font partie de ce courant salafiste qui observe une lecture littéraliste du Coran et considère la sodomie comme « contre nature ». Il est dès lors interdit d’avoir des rapports avec les jeunes gens, ce qui n’a pas manqué d’être fait durant toute l’histoire de l’islam. Les sultans et les grands vizirs avaient tous leur amant. Il n’en reste pas moins que cette lecture littéraliste les rend ennemis de la société aux yeux des salafistes.
>> L’homosexualité était tolérée pendant le Moyen-âge, mais est illégale aujourd’hui dans la plupart des pays musulmans.
Antoine Sfeir : cela fait partie de cette hypocrisie des dirigeants musulmans qui montre à quel point les prescriptions sont parfois contournées. On raconte cette histoire horrible du calife Hâroun ar-Rachîd, celui des Mille et une nuits, qui a voulu que son amant épouse sa propre sœur en leur interdisant tout rapport. Mais ils ont passé outre cet interdit et ont donné naissance à un jeune garçon. La calife a alors emmuré sa sœur et empalé son amant.
>> Pourquoi l’Etat islamique a-t-il décidé de médiatiser ses méfaits ?
Antoine Sfeir : C’est une sorte de réponse et de provocation vis-à-vis d’un libéralisme occidental à l’égard des homosexuels.
La vie des homosexuels est excessivement difficile dans tous les pays arabes,
>> Aujourd’hui, y a-t-il des leaders dans le monde arabe qui dénonce ces exécutions ou qui appellent à la tolérance vis-à-vis des homosexuels ?
Antoine Sfeir : Bien entendu, en premier lieu l’université al-Azhar du Caire, la plus ancienne université islamique. Une sorte de référence théologique dans le monde musulman sunnite. Même si aujourd’hui la lame de fond de l’islam radical rend la vie des homosexuels excessivement difficile dans tous les pays arabes, même les plus ouverts comme la Tunisie ou le Liban.