Dans un communiqué l’association revient sur la polémique et la campagne de dénigrement l’ayant visée après l’octroi de son visa, le 18 mai dernier :
Shams ne souhaite en aucun cas attiser de violences, ni accentuer les fractures déjà existantes au sein de la société tunisienne.
L’association rappelle que ses objectifs consistent d’abord à lutter contre les discriminations envers les minorités sexuelles en Tunisie, en assurant « soutien psychologique et juridique». Par ailleurs, l’association espère pouvoir participer activement au programme national de lutte contre le SIDA, en collaboration avec le ministère de la Santé et le ministère des Affaires sociales :
« Ce combat prioritaire est loin d’être aisé vu la difficulté d’entrer en contact direct avec ces minorités marginalisées ».
Shams souligne qu’elle œuvre également contre l’isolement et le suicide des jeunes, un phénomène « qui s’accentue de jour en jour, et concerne tout spécialement les minorités sexuelles » parce que réprimées.
Et, de conclure, que la Constitution tunisienne garantit les libertés individuelles et l’égalité citoyenne, assurant que c’est sur ce même élan que le droit de tout individu à la protection et au bien-être est revendiqué.
La polémique et la campagne de haine contre l’association aura le mérite de nous éclairer sur l’état de la société tunisienne et surtout de la grande majorité de la classe politico-médiatique dès lors qu’il s’agit de mettre en pratique les valeurs et les principes pourtant admis par la constitution.
En particulier quand il s’agit de questions sociétales et de mœurs. Et pourquoi ne pas le dire de la frilosité des intellectuels et penseurs qui ne se sont pas bousculés pour réagir sur le plan des idées.
La société tunisienne demeure largement conservatrice confirmant par là ce qui avait été mis en évidence lors des scrutins électoraux de 2011 et même de 2014. Même si aucune étude sociologique n’est venue pour confirmer ou infirmer cela il n’en reste pas moins que c’est un constat communément admis pour peu que l’on soit un observateur attentif de la société tunisienne ou même simplement un citoyen qui ne fait pas l’autruche.
Si l’homosexualité n’existe pas en Tunisie et dans le monde arabo-musulman, pourquoi des lois pour la réprimer ?
Évidemment pour certains il suffit de ne pas parler de l’homosexualité pour qu’elle n’existe pas. Ou quant ils en parlent c’est pour la stigmatiser comme une « perversion » et une « maladie mentale » … Et les qualificatifs sont nombreux.
Hypocrisie que tout cela ! On peut toujours essayer de « Cacher le soleil avec un tamis », comme dit un proverbe tunisien.
Oui, « mais … l’opinion n’est pas prête » nous dit-on ! Et alors ? Faut-il attendre que l’opinion soit prête pour engager un combat contre une injustice ? Tous les combats ayant pour fondement la défense de valeurs où la lutte contre les injustices prime sur toutes autres considérations. Même si ces combats sont, à leur début, minoritaires. Souvenez-vous de la bataille pour la démocratie en Tunisie. Perdu d’avance ? Peut-être et combien même ! Mais il n’y a que les batailles qui ne se mènent pas qui sont perdues d’avance !
Pour autant, et c’est ce qui est nouveau grâce à la révolution, la question de l’orientation sexuelle n’est plus un sujet taboue et le débat est posé dans l’espace public. Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement car combien même relève-t-elle de la sphère privée il lui arrive ce qui arrive à toutes les libertés individuelles c’est qu’elle n’a de sens que si elle trouve un débouché dans l’espace public. Et à plus forte raison quant cette liberté subie des attaques en règle de toutes parts.
« Provocation ! » affirment encore ceux qui ont lancé la campagne contre l’association Shams. Pour eux tout est simple et débattre publiquement de la question de l’orientation sexuelle n’a pas lieu d’être dans un pays musulman et, d’ailleurs, rappellent-ils, la loi tunisienne punit ceux et celles qui s’adonne à cette « déviance ». Certes l’Art.230 du code pénal puni de 3 ans de prison les contrevenant(e)s mais ceux qui ont lancé cette campagne oublient simplement de préciser que cette loi date de… 1913 et que c’est le colonisateur qui l’imposa.
Mais là n’est pas l’essentiel car la campagne haineuse contre l’association Shams avait surtout pour but de détourner le débat non seulement sur les méfaits de la loi (qui criminalise, réprime, discrimine et qui plus est ouvre la voix à de nombreuses violations des droits humains), de passer par perte et profit son caractère anti constitutionnel. Mais encore et surtout d’empêcher que sur les questions sociétales, les mœurs et l’extension des libertés individuelles il y ait enfin de vrais débats sereins, apaisés et qui plus est public. Et là c’est une « ligne rouge ». Et ils l’ont d’emblée placé, comme cela va de soi et comme à chaque fois, sur celui des interdits religieux car ils savent qu’ils pourront y puiser les arguments qui viendraient conforter et couvrir leurs positions conservatrices et réactionnaires.
Ce n’est pas un reproche c’est seulement un constat ! Et à l’évidence toutes les questions sociétales et de libertés individuelles ont toujours été, sont et seront posées et traitées de cette manière faisant intervenir, avant même leur traduction sur les plans politique et/ou juridique, les dimensions éthiques, morales, philosophiques. Mais l’expérience l’a montré : A chaque fois que les conservateurs (de tous bords) sont montés au créneau sur ces questions (l’égalité hommes/femmes, la peine de mort, la polygamie, la liberté de création dans l’art et la littérature …) ils ont toujours eu des positions réactionnaires sur le contenu et privilégiant souvent les moyens répressifs.
Ainsi en Tunisie – même si nous avons une Constitution qui consacre le caractère civil de l’Etat – pour contourner un principe constitutionnel il suffit désormais de se référer à un texte religieux. Ils savent pertinemment, nos conservateurs de tous bords, qu’en s’adossant ainsi à une certaine lecture de l’islam ils imposent, diaboliquement, à nombre de Tunisien(ne)s une forme d’autocensure. Comme s’ils craignaient par-dessus tout le débat serein et apaisé.
D’autant que toute leur argumentation repose sur un présupposé fallacieux que c’est l’existence de l’association qui est, en soi, une incitation et un encouragement à la pratique homosexuelle (sic). Et ce faisant on fait oublier du même coup que c’est justement le fameux Art. 230 du code pénal qui pose problème ! C’est un peu comme ceux qui croient qu’en cassant le thermomètre on fait tomber la fièvre. L’association Shams, comme toutes les associations est là d’abord pour défendre les victimes de cette loi et pour tenter de l’abroger. Et jusque là elle est dans son rôle. Elle est là également pour montrer une des réalités de la société tunisienne que l’on voudrait ne pas regarder. Et en tout premier lieu que l’orientation sexuelle est une affaire d’ordre privée et relève de la liberté de disposer de son corps en tant que liberté individuelle et que la loi et le droit n’ont à intervenir qu’en cas de troubles avérés à l’ordre public ou quand cela porte atteinte à la liberté d’autrui. Comme toutes les autres libertés, un point c’est tout ! Et le droit ne juge qu’au cas par cas et non au faciès ou comme punition collective comme c’est le cas actuellement. Sans parler des brimades quotidiennes dans la rue, dans les commissariats et dans les prisons. Non seulement il y a le « regard » accusateur de la société sous la pression du populisme ambiant mais il y a également la loi, à travers l’Art. 230 du Code Pénal, qui n’arrange pas les choses et réprime et stigmatise.
Et pour finir, ultime discrimination intervenant comme une punition collective supplémentaire, une sorte de double-peine, le gouvernement n’a pas hésité, sous la pression, à interdire l’association Shams.
Décidément comme dit le proverbe chinois « Quand le sage montre la lune, l’imbécile regarde le doigt ».
Voilà pourquoi la campagne haineuse contre l’association Shams est indigne et indécente et la reculade du gouvernement inadmissible.
>> Contre cette situation sociale et politique inacceptable, des militants des droits humains, des féministes et des intellectuels lancent un appel au gouvernement et aux députés. Soutenez la pétition. Stop Homophobie en est également signataire.
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