Une étape sur la longue route à parcourir pour faire comprendre aux opinions publiques, et à leurs gouvernements, les souffrances que subissent les trans’ vient d’être franchie. Le Conseil de l’Europe a en effet adopté mercredi 22 avril à Strasbourg une résolution visant à interdire les discriminations à leur encontre. La question était jusque-là abordée dans des textes plus larges sur les personnes LGBT. Une occasion donc pour l’institution de mettre en lumière “une population dont on connaît bien peu de choses et qui est plus discriminée que celle des homosexuels”, selon la rapporteure, Deborah Schembri, contactée par les Inrocks.
Malte, pays pionnier
Le document appelle notamment les États membres à “interdire explicitement” ces discriminations dans leur législation et à faire “référence à l’identité de genre”, comme le recommandent déjà pour la France le Défenseur des droits et la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). Ce concept désigne l’identité intime ressentie du genre, par opposition à l’identité dite “biologique”, assignée à la naissance au regard des organes génitaux. Il appelle en outre à “instaurer des procédures rapides, transparentes et accessibles, fondées sur l’autodétermination”, pour changer de nom et de sexe les papiers d’identité.
La résolution, et le rapport qui l’accompagne, sont portés par Deborah Schembri, députée travailliste engagée dans la lutte contre les discriminations. Ni trans’, ni homosexuelle, ni même “féministe”, cette avocate est fière de défendre les droits des minorités, car selon elle, “la démocratie n’est pas le règne du plus grand nombre”. Son pays, Malte, vient tout juste d’adopter l’une des législations les plus avancées en la matière, autorisant le changement de sexe sur l’état civil sur simple déclaration, à la manière du modèle argentin.
Un troisième genre ?
L’un des points centraux de son rapport est la reconnaissance juridique du genre des personnes trans’. Elle note que près d’un quart des membres du Conseil de l’Europe, composé de 47 pays, n’ont pris aucune disposition en la matière. Près de 23 pays imposent encore une opération de stérilisation préalable quand d’autres exigent un traitement médical, une chirurgie invasive ou un diagnostic de troubles mentaux.
Outre une procédure simplifiée, le Conseil glisse une idée qui fait débat dans la communauté trans’: la possibilité de “faire figurer une troisième option de genre sur les papiers d’identité”, de manière à répondre aux 73% de personnes qui ne s’identifient pas au “modèle binaire”, selon une étude menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne (FRA) en 2012. “Idéalement, il faudrait effacer le genre des papiers d’identité”, reconnaît l’avocate, “mais il n’est pas si facile de s’en débarrasser, car les gens y tiennent”.
“Curiosité mal placée”
Le rapport souligne la grande précarité des personnes trans’, deux fois plus nombreuses à vivre dans la pauvreté que la population générale, selon une étude de la FRA de 2013. Elles ont aussi beaucoup moins recours au système de soins, ou n’y ont recours qu’en cas d’urgence, en raison des remarques et de la “curiosité mal placée” qu’elles subissent en consultation.
Près d’un cinquième se sont vues refuser un logement et plus d’un dixième se sont faites expulsées en raison de leur identité de genre, selon une autre étude, menée aux Etats-Unis. Mais les statistiques manquent en Europe. La résolution enjoint donc les Etats à recueillir et analyser des données sur le sujet.
Un tiers à la moitié des trans’ ont tenté de se suicider
Ces multiples discriminations sont le lot quotidien des trans’ et s’accompagnent de harcèlement en public ou de passages à tabac. Deborah Schembri se souvient ainsi de l’audition de Vanessa Lacey, une femme trans pour laquelle les ennuis ont commencé dès que son apparence a changé, avec des coups et des insultes : “Elle avait pourtant passé des années à emprunter la même rue sans aucun problème”, raconte la députée. Près de 80% des trans’ affirment avoir déjà été harcelés en public tandis que 30% à 50% ont déjà fait une tentative de suicide, selon différentes études.
Cette rencontre, alors qu’une grande partie des membres de la Commission sur l’égalité et la non-discrimination du Conseil n’avaient jusque-là jamais parlé à une personne trans’, l’a poussé à élaborer une résolution spécifique. Car c’est surtout la méconnaissance de ces personnes qui conduit à ces discriminations.