Le #MeTooGay : enfin la parole se libère aussi chez les LGBT+

Après le #MeToo et le #MeTooInceste, est apparu sur Twitter le #MeTooGay. Libération de la parole des violences sexuelles y compris au sein de la communauté LGBT+ : fruit d’une société patriarcale & LGBTphobe. Décryptage.

Quelques heures après les accusations de viol publiées par un internaute sur Twitter contre un élu parisien et son compagnon est apparu le hashtag Me Too version gay/LGBT+ : MeTooGay.

Véritable libération de la parole des victimes de violences sexuelles au sein de la communauté LGBT+, ce sont plusieurs dizaines de milliers de tweets diffusés en seulement 2 jours. Entre témoignages et soutiens. Avec comme pierre angulaire à ces comportements : un système patriarcal et toujours ce silence et culpabilité qui enferment les victimes dans la honte du fait de leur sexualité. STOP Homophobie a recueilli 3 témoignages, pour tenter de comprendre à travers leurs récits les problématiques des violences sexuelles y compris au sein de la communauté LGBT+.

Le silence chez les LGBT+ victimes de violences sexuelles

Quentin, 16 ans, lycéen, a été victime d’abus de la part d’un YouTubeur. Il fait partie de ces rares personnes homosexuelles à avoir ouvertement accusé leur agresseur sur Twitter après la vague Me Too et Balance Ton Porc, notamment avec le hashtag #BalanceTonYoutuber.
Pour lui, #MeTooGay a pris du temps à éclater du fait des discriminations que subissent les LGBT.

« Les violences sexuelles ont tellement été longtemps sous silence, mais on n’a pas aussi voulu voir à cause de l’homophobie basique et globale dans la société. Déjà que la prise de parole des femmes a été difficile, pour nous ça l’est encore plus du fait de la discrimination qu’on vit tous les jours ».

Pour Jérémie aussi, 27 ans, victime, les LGBTphobies expliquent ce silence. Mais pas que :

« Je pense que y’a eu un prérequis avec la vague #MeToo par les femmes. A ce moment là, je pense que y’a des gens qui se sont interrogés. Ça a créé un questionnement général sur le consentement qui a eu besoin d’être maturé chez les hommes gays. Cependant, il était difficile de s’affirmer et prendre la parole au moment de Me Too, pour une fois que les femmes l’avaient enfin. C’est pour ça que ça n’a pas été fait dans la même temporalité. Il a fallu attendre une sorte de maturité sur la question. Et ça arrive, après la vague Me Too Inceste qui a pas mal ouvert la voie y compris aux hommes, pour témoigner de ce qu’ils ont subit. »

Pour Nicolas Martin, 44 ans, producteur d’émission de radio sur France Culture, qui fait aussi partie des premiers à avoir raconté son agression sexuelle en ce vendredi 22 janvier 2021.

Il y a aussi dans l’homophobie la base d’une vulnérabilité qui renforce le silence chez les LGBT+ : « Découvrir son homosexualité, c’est se découvrir dans une position de vulnérabilité par rapport aux autres, précisément du fait de l’homophobie. On est aussi une proie de choix pour les prédateurs, parce que vulnérables. Quand on se découvre homosexuel, on a honte, on se tait, on a honte de nous. De notre sexualité. Et d’ailleurs, quand on grandit et qu’on se découvre homosexuel ; on confesse son homosexualité. L’imaginaire est donc bien culpabilisé et culpabilisant. Alors quand on est victime en plus de violences sexuelles : on ferme sa gueule. »

Une discrimination commune qui renforce le silence après les violences sexuelles donc. Mais aussi, pour tous les 3 qui abondent dans la même direction :

Le système patriarcal ajouté à l’homophobie reproduit les mêmes schémas chez les homos que chez les hétéros. Celui de la domination sur l’autre.

Nicolas :

« Ce que je constate c’est qu’apres #MeToo et #MeTooInceste, on commence à voir l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de prendre la parole : c’est fini ce temps où le viol relevait uniquement de la sphère privée. Que le viol, on s’en fout, ça n’intéresse personne. Ou que ce serait des cas isolés. Justement, Me Too Inceste ça touche 1 personne sur 10. Me Too Gay, même si on n’a pas beaucoup d’études sur le sujet, de ce qu’on voit, c’est 1 homme sur 3. On n’est plus du tout dans l’ordre de la sphère privée mais bien dans un phénomène systémique pour que ça touche autant de monde. Et cette vulnérabilité qui entraine ce phénomène, qu’elle soit via la sexualité ou par le statut social : elle est le produit du patriarcat. Le patriarcat créé de facto l’objectification du corps et met les hommes en situation de domination et leur autorise à abuser et oppresser les autres. »

Jérémie aussi, y voit dans la difficulté des hommes -y compris des hommes homosexuels- de parler, le rôle du patriarcat : « les gays ont intériorisé le schéma patriarcal. C’est difficile pour un homme de se positionner dans le rôle de victime, et de s’afficher en tant que tel, parce qu’on n’est pas construit comme ça. De surcroît quand on rajoute la sexualité qui n’est pas la norme (hétérosexuelle) ».

Et d’ailleurs, pour Quentin : « le combat féministe rejoint le combat qui est le nôtre. Bien sûr, nous aussi on est face à un schéma patriarcal, ça se voit : quelqu’un qui pense qu’il a tous les droits par rapport à quelqu’un d’autre, et s’autorise à faire des choses qu’il ne faut pas. Je vois toujours le même schéma : celui d’une personne dans une position dominante, plusieurs années de plus, ou avec une fonction importante, ou très connue, ou avec des moyens de pression qui lui confèrent un rapport de force en sa faveur ».

Vivre dans une société patriarcale et hétéronormée renforce l’importance des violences sexuelles au sein de la communauté LGBT+

Vivre dans une société façonnée par et pour les hétérosexuels accentue les risques de violences sexuelles envers les LGBT+ selon Quentin :

« Nous [LGBT+], nous n’avons pas les mêmes opportunités de construction que les hétéros. Dans mon cas, tu peux pas rencontrer d’autres jeunes qui sont comme toi, donc j’ai toujours été dans une recherche d’une personne plus âgée, et ça donne souvent ça. Une personne qui a l’avantage sur moi, qui est capable de me manipuler parce que j’ai pas tous les codes. Il nous manque tout. L’éducation sexuelle par exemple, qui est très heteronormée. Le consentement est omis dans ces brèves sessions que l’on a au lycée. Faudrait peut-être s’y mettre en 2021. Et puis, les LGBT+, on est totalement invisibilisé. On ne parle pas de la sodomie. Des rapports sexuels hommes-hommes, ou femmes-femmes. Ça renforce le tabou et l’obligation de découvrir ça par nos propres moyens, en s’exposant au danger. Le consentement, pareil, on n’en parle pas. Donc on ne sait pas ce que c’est vraiment. Faudrait faire quelque chose pour être sûr d’identifier des situations qui peuvent être graves, ou dangereuses. »

Jérémie aussi, y voit un manque d’éducation, notamment en soirées :
« On a un problème aussi dans notre communauté. Dans les soirées par exemple, les gestes déplacées ou agressions sont trop nombreux. Les attouchements. Les mains aux fesses. Ne pas demander l’autorisation pour embrasser etc.. ».

Et Nicolas Martin de rajouter :

« Le système patriarcal fait des femmes des objets, les met à poils sur des panneaux publicitaires. Et on se rend compte que cet imaginaire là que ce système nous a créé est complètement toxic. Parce qu’il fait croire aux mecs qu’ils peuvent s’autoriser à violer parce que dans l’imaginaire : c’est lui l’Homme fort. Bah c’est pareil chez les gays : c’est pas anodin et juste homophobe d’être traité de tapettes, de fiottes. Ça nous infériorise et réduit au même statut que la femme : c’est à dire à une personne dominée et soumise par défaut -dans l’imaginaire- à l’Homme fort. Ce schéma qui s’applique, celui de la violence masculine toxique sur les corps vulnérables, il faut le dire : l’arme la plus puissante contre, c’est la parole. Et c’est très dur. Car on se déteste. Parce que c’est une sexualité « anormale » vis à vis des autres. Quand on a honte de soi, des pensées parasites, qu’on pleure sous la douche, après un rapport sexuel ; c’est qu’il y a eu un problème. On est pas censé se sentir mal et humilié après un rapport. et dans ce cas il faut en parler. A son copain, sa copine. Ses ami.e.s. Sa famille. Ou même son thérapeute si besoin est. Et en finir avec l’impunité. C’est pas à nous d’avoir honte. Je sais que c’est difficile. J’ai eu un mal de chien à le faire. Mais aujourd’hui contrairement à avant, y’a des réseaux sociaux et on peut le crier très fort : le viol, c’est bien plus qu’un petit phénomène : c’est structurel ! »

Marlene Schiappa, le gouvernement, et les violences sexuelles

Face à l’ampleur que prend le phénomène #MeTooGay, les politiques commencent à prendre la parole, de surcroît après l’accusation de viol contre Maxime Cochard, conseiller PCF de la mairie de Paris, dont Quentin, Jérémie et Nicolas s’accordent pour dire qu’elle a été le catalyseur de #MeTooGay.

Une des réactions politiques s’est faite remarquer, celle de Marlène Schiappa :

Et les réactions quant au tweet de la Ministre ne se font pas attendre :
« Le gouvernement, n’est pas du tout, symboliquement et concrètement, à la hauteur du problème, alors que y’a des agresseurs qui progressent dans leur carrière, en ça je trouve que la position de Marlène Schiappa est assez effarante. Elle surfe sur un hashtag qui a de la visibilité alors qu’on a besoin de solutions concrètes » — Jérémie.

Il est vrai qu’avec Gérald Darmanin comme ministre de l’interieur pourtant accusé de viol (il a avoué avoir usé de son influence pour obtenir des faveurs sexuelles) ou bien la promotion de l’ancien conseiller D’Emmanuel Macron chez LREM pourtant condamné pour violences conjugales, lire que le gouvernement est du côté des victimes peut prêter à confusion.

Nicolas, énervé : « C’est de l’opportunisme et de la récupération politique minable. C’est pas ce qu’on demande. On demande des lois. Des moyens. On demande pas qu’un ministre écrive qu’on doive porter plainte quand on sait que lorsqu’on porte plainte, on nous demande des choses odieuses, ou on nous la refuse tout simplement ! Au lieu de dire d’aller porter plainte : faites des lois, mettez du budget, changez la formation des policiers. Enfin, faites des actions concrètes pour faire en sorte que nos plaintes soient reçues ! Parce que j’en ai absolument rien à foutre de votre pseudo compassion quand aujourd’hui encore seulement 2% des plaintes pour viols se terminent avec un procès et des condamnations ! ».

Enfin, le MeTooGay est sorti, et permet une libération de la parole plus que nécessaire. A noter que le journaliste Matthieu Foucher, dès Septembre 2020 s’était penché sur la question d’un Me Too Gay, évoquant par ailleurs le tabou en plus présent dans la communauté LGBT. Son article propose une grille de lecture intéressante du phénomène, et tente d’expliquer pourquoi la communauté LGBT+ est elle aussi touchée par les violences sexuelles :

Si des victimes commencent à parler, d’autres n’osent pas le faire, par choix, par crainte aussi. Jérémie nous affirme déjà être victime de propos homophobes après avoir tweeté sur le hashtag MeTooGay.

Mais pour Nicolas Martin, il est essentiel, encore plus pour des personnalités influentes, publiques ou politiques de s’exprimer enfin sur le sujet : « il est important que des personnes identifiables et identifiées prennent la parole. Et c’est aussi un peu en tant que porte-voix que j’ai voulu témoigner. Il faut qu’on dise ce qu’il nous est arrivé pour qu’ils se disent que ça leur est arrivé à eux aussi. Mais c’est aussi important de montrer qu’on y survit, qu’on n’est pas destiné à rester dans la honte et la culpabilité. Mais que ça passe par ouvrir la parole, et témoigner à visage découvert. ».

MeTooGay révèle bien une chose : les violences sexuelles ne sont pas isolées. Elles nécrosent l’entièreté de la population. Libérer la parole permettra, on l’espère, aux victimes de ne plus avoir honte, de se reconstruire, et de faire avancer les mentalités sur la question du consentement, des violences sexuelles, et plus globalement, de la toxicité du patriarcat.

Maxime Haes