Avant Internet, sur les règlements de comptes entre puissants, régnait une certaine opacité. Étranglements dans la pénombre, arrangements dans le clair-obscur, accommodements, concessions, représailles, l’ensemble seulement éclairé par le coup de projecteur hebdomadaire du Canard enchaîné. De cette opacité, la gestion du cas personnel Cahuzac donne aujourd’hui un exemple.
Le président de l’Assemblée, Claude Bartolone, assure « tenter de convaincre » l’ex-ministre fraudeur de renoncer à son siège. Mais (par exemple) la justice a-t-elle été saisie de sa déclaration de patrimoine mensongère ? Silence radio, de la commission de Transparence de la vie politique. Et personne ne pose seulement la question.
Des têtes doivent tomber dans la sciure
Depuis Internet, règne au contraire la surexposition. Y compris dans les élites. Que Le Monde, par exemple, publie une pleine page de pub des anti- « mariage pour tous », et le directeur du journal se retrouve quasiment viré en direct par l’un des trois actionnaires, Pierre Bergé.
« Profondément scandalisé », Bergé a « demandé des explications à Louis Dreyfus [directeur du Monde, ndlr]. A suivre ». Et une heure plus tard : « Cette pub dans Le Monde est tout simplement une honte, et ceux qui l’ont acceptée ne sont pas dignes de travailler dans ce journal. A suivre. »
A noter, dans les « tweets » furieux de l’actionnaire, la répétition des « A suivre ». Le twitto Bergé a donc pris huit caractères sur les 140 octroyés, pour prévenir que sa colère n’est pas une simple colère nocturne de base, qu’elle aura des suites, qu’il attend des réponses, des excuses, que des têtes doivent tomber dans la sciure, et de préférence en public.
Ces engueulades-là, moins glamour…
Si les mots ont un sens, Dreyfus vient d’être viré sur Twitter, ou bien fortement incité à virer son directeur de la pub. On devrait se réjouir. Comment la transparence dans les rapports entre actionnaires et direction d’un grand journal ne réjouirait-elle pas n’importe quel journaliste ? Vive la transparence (et surtout quand elle se dresse, vertueuse, contre les abus de pouvoir de la pub) !
Sauf que cette transparence, aux mains d’un dominant, est évidemment une arme, et évidemment manipulatrice. Personne ne doute que le même Louis Dreyfus, ainsi engueulé sur Twitter, se fait aussi engueuler matin, midi et soir par les trois actionnaires du Monde, parce que les recettes de pub du journal sont insuffisantes. Personne ne doute que, pour satisfaire les actionnaires, il a donné consigne à ses services d’accepter toutes les demandes qui se présentent (d’où le bug anti- « mariage pour tous »). Mais simplement, ces engueulades-là, moins glamour, ne se déroulent pas sur Twitter. La radieuse transparence, pour toujours, a pour compagne l’opacité.