Le nouveau timbre Marianne : autopsie d’une fausse polémique

Le 14 juillet, François Hollande dévoilait le nouveau timbre à l’effigie de Marianne. Quelques heures plus tard, le Parti démocrate chrétien et son ancienne présidente Christine Boutin appelaient au boycott de mon timbre et à la démission de Hollande. En cause ? L’un de mes tweets où j’expliquais, lors d’une conversation, m’être en partie inspiré pour Marianne de la leader des Femen Inna Shevchenko.

Sitôt l’appel au boycott lancé, toute la presse française, puis internationale, s’excite et s’empare du sujet. Leur désir de sensationnel et de scénarios catastrophe ne se cache qu’à moitié. Et si le président français avait lui-même élu une Femen comme symbole de la République ? Quel beau sujet. Quelle belle polémique.

Les demandes d’interviews affluent. Et à chaque fois, je sens le désarroi des journalistes au fur et à mesure de mes explications. Oui, chaque président de la cinquième République choisit lui-même un timbre de Marianne pour la durée de son mandat. Mais pas François Hollande. Dés son élection, il a été très clair : ce seront des lycéens français qui détermineront le visuel de la nouvelle Marianne parmi une sélection de tous les dessinateurs ayant déjà travaillé pour la Poste. Ce sera une grande opération à travers toute la France et les Dom-Tom intitulée « Mon premier vote pour la République ».

En apprenant qu’il n’avait pas lui-même choisi le timbre (ce qu’il aurait fait si ma Marianne n’avait obtenu une telle unanimité chez les jeunes votants parmi les trois finalistes), les journalistes ont toutes les peines du monde à masquer leur déception de voir un scandale s’envoler. Mais ils cherchent quand même à gratter un peu de sensationnel. Après tout, si les lycéens ont voté, peut être qu’en mettant leur dévolu sur une Femen, ils ont voulu faire passer un message de révolte au Président. Malheureusement pour eux, la réponse est encore moins intéressante que la précédente.

Oui, certains lycéens m’ont contacté sur les réseaux sociaux pour savoir qui étaient mes références pour ma Marianne. Et à chaque fois, ma réponse a été identique : même si Inna Shevchenko et d’autres femmes m’ont inspiré, vu qu’au final, en les mélangeant, il ne reste absolument plus rien qui permette d’en reconnaître aucune, alors ces inspirations m’appartiennent et ne doivent en aucun cas constituer un argument de vote. Tous d’ailleurs avaient une note d’intention très détaillée qui expliquait les symboles républicains contenus dans mon projet de timbre. Et aucun ne mentionnait Inna Shevchenko ni les Femen. Ils ont voté pour les valeurs que je représentais, pas pour mes sources d’inspiration.

D’ailleurs, pourquoi ne reconnaît-on plus le leader du mouvement féministe dans la Marianne finale ? Tout simplement parce que, lorsqu’un artiste crée un personnage humain, aussi « cartoonesque » soit-il, il ne peut pas le façonner entièrement. Il est obligé de convoquer les figures féminines qu’il connaît. C’est parfois sa mère, sa femme ou une star de cinéma. Moi, j’avais besoin de personnes qui représentaient le côté révolutionnaire de Marianne. J’avais collé au-dessus de mon bureau une photo du tableau d’Eugène Delacroix La Liberté guidant le peuple. Et plus je regardais cette révolutionnaire qui se bat seins nus, plus elle me faisait penser aux Femen.

« JE VOULAIS QUE MA MARIANNE SOIT UNIVERSELLE »

C’était en novembre dernier. Les féministes venaient de se faire frapper avec une violence extrême par des homophobes lors d’une manifestation contre le Mariage pour tous. A ce moment-là, j’ai trouvé leur courage remarquable et j’ai décidé de m’inspirer de leur fondatrice Inna Shevchenko.

Mais, dans les premières versions, elle était trop reconnaissable. Or je voulais que ma Marianne soit universelle, que chacun puisse projeter en elle le personnage qu’il imaginait. J’ai donc rajouté des traits issus d’autres personnalités, françaises cette fois, comme Marion Cotillard, afin que ce timbre ne soit surtout pas un « timbre Femen ». Car si les bustes de Marianne sont moulés sur des personnalités bien identifiables telles Brigitte Bardot, Catherine Deneuve, Laetitia Casta ou encore Evelyne Thomas, la tradition est différente pour les timbres. Ce sont des Marianne inventées. Des Marianne de fiction.

En mélangeant plusieurs styles artistiques différents allant de la Renaissance, la bande dessinée, le manga ou les films de Walt Disney, j’ai donné à ma Marianne un aspect « unique » où plus aucun trait de mes inspirations n’est reconnaissable. Qui pourra y déceler Inna Shevchenko, Marion Cotillard, Christiane Taubira ou encore Roselyne Bachelot ? Absolument personne. Pourquoi ? Parce que le personnage est à l’arrivée inédit. Parce que mes inspirations m’appartiennent au même titre que les musiques que j’ai écoutées en créant ce timbre, les tableaux ou les sculptures que j’ai pu contempler sans forcément savoir qu’ils figureraient dans le morphing final. Que je décide de les partager sur Twitter n’en fait pas un « timbre Femen » pour autant.

Demandez aux personnes autour de vous à qui leur fait penser cette Marianne. Les uns évoqueront la vierge Marie, certains Falbala dans Astérix, d’autres une princesse Disney, d’autres encore une héroïne de manga. Aucune réponse ne sera la même, mais chacune sera « vraie ». Et c’est tant mieux. A chacun de s’approprier Marianne et de s’imaginer le personnage qui lui convient. C’est le but de toute œuvre d’art, aussi modeste soit-elle.

A CHAQUE FOIS LA POLÉMIQUE SE RETOURNE CONTRE LES EXTREMISTES

Quant aux récentes déclarations « religiophobes » d’Inna Shevchenko, elles lui appartiennent et je ne vois absolument pas en quoi je devrais les cautionner. Certains catholiques intégristes ont voulu faire croire que je validais ces points de vue puisque je partagerais ma vie avec le leader Femen. Manque de chance pour eux, je suis pour la liberté d’aimer, de pratiquer le culte de son choix et le respect de toutes les religions. Petite anecdote, j’ai réalisé une dizaine de timbres religieux pour Lourdes ainsi que plusieurs représentations philatéliques pour la Mosquée de Paris. Quant à ma soi-disant « aventure amoureuse » avec Inna Shevchenko, c’est encore loupé puisque je vis avec un homme.

Depuis plusieurs mois, les extrémistes religieux de tous bords essaient de me mettre à mal en créant des polémiques ou en détruisant mes œuvres. Ce qui est drôle, c’est qu’à chaque fois, ça se retourne contre eux. En juin, des avocats d’extrême droite ont saccagé mon exposition de « Couples Imaginaires » devant la mairie du 3e arrondissement de Paris en retirant au cutter les visages ou les yeux des célébrités qui posaient pour moi. Résultat ? Les photos ont été réimprimées et placées à côté de leurs alter ego lacérés, en donnant aux passants le choix entre un message d’amour ou un message de haine. L’affaire a fait la une des journaux à travers tout le pays et généré une publicité dont ces extrémistes se seraient bien passés.

A présent, c’est pareil. En voulant une nouvelle fois mettre à mal le président de la République à travers moi, Christine Boutin s’est une fois de plus ridiculisée. Sa polémique est retombée aussi vite qu’elle a explosé. Quant à François Hollande, la presse qui, jusqu’a présent, avait un peu occulté ce nouveau timbre, elle a salué en masse son désir d’associer la jeunesse française à l’image du pays et de prouver que son avis pouvait littéralement être reproduit à plusieurs milliards d’exemplaires à travers le monde. Tout le contraire de ce que les extrémistes politiques ou religieux avaient espéré en lançant ce boycott indigne, éphémère et, pour le coup, complètement timbré.

Olivier Ciappa (Artiste, créateur du nouveau timbre Marianne)