Interdire, abolir, prohiber, anéantir la gestation pour autrui (GPA) en France (où elle est déjà interdite). Le voilà le rêve de la Manif pour tous qui espérait en sus empêcher la tenue ce jeudi du premier colloque scientifique international dédié à cette pratique permettant de devenir parents à ceux qui sont dans l’impossibilité de porter un enfant (homosexuels et femmes souffrant de problème d’utérus).

Raté. Et c’est tant mieux. Car loin d’être enfermés dans un binaire «pour ou contre», les chercheurs français et étrangers (allemands, suédois, australiens etc.) qui scrutent la GPA de par le monde montrent à quel point cette pratique est globale (oui, il y a aussi des mères porteuses au Ghana) et plurielle avec parfois des particularités qu’on ne soupçonnait pas. C’est le cas du Brésil qui n’a pas jugé bon d’adopter de lois spécifiques, mais s’en remet aux résolutions de son Conseil fédéral de médecine qui autorise la GPA, y compris aux couples de même sexe, mais à conditions qu’il n’y ait pas de transaction d’argent et qu’il existe des liens familiaux au quatrième degré avec la gestatrice…

Le tableau mondial est complexe lorsque l’on passe des Etats-Unis (où la GPA quand elle est autorisée est onéreuse mais fait l’objet de contrats soigneusement rédigés) à Israël qui, dans un élan de «croissez et multipliez», finance les traitements qui précèdent la GPA pour les hétérosexuels seulement. Et à condition que la mère d’intention et la gestatrice soient de même religion car «l’identité juive», s’acquiert par le fait de naître d’un «ventre juif». A chacun sa GPA? Le bât blesse quand à cause d’une interdiction de la pratique, dans leur propre pays, des couples se mettent à franchir les frontières. Et lorsque faute de moyens, ils s’évadent vers des pays low cost. L’un des exemples les plus flagrants est sans doute ce qui se passe actuellement en Asie du Sud-Est.

A compter de 2011, la Thaïlande devient une destination populaire pour la GPA commerciale. Des couples (ou des célibataires) du monde entier s’y pressent, tandis qu’affluent dans le même temps «des entrepreneurs de la fertilité» jusqu’à la sombre affaire du « baby Grammy » en 2014. L’histoire ? Un couple australien abandonne à leur gestatrice, l’un des jumeaux qu’elle a portés pour eux : celui qui est trisomique. Dans le même temps, l’affaire d’un Japonais qui aurait eu quinze enfants par GPA avec différentes mères porteuses fait grincer. Bilan : la GPA est interdite aux étrangers dès 2015. La conséquence ? Les aspirants à une GPA interdite ou trop onéreuse dans leur pays d’origine (aux Etats-Unis par exemple) changent de destination. Et c’est parti pour le Cambodge (qui vient de la prohiber alors que la Malaisie commence à s’ouvrir) et le Laos, où elle n’est pas réglementée.

La chercheuse australienne Andrea Whittaker a suivi de près ces migrations : «Des marchés se créent du jour au lendemain. Avec des porteuses thaïlandaises qu’on a déplacées, des gamètes, voire des embryons congelés que l’on déplace. Et même du personnel médical qui va et vient à travers les frontières». Et la chercheuse de parler de «flexibilité», d’une «industrie post-fordiste» multinationale qui assimile «les gestatrices et les donneuses d’ovocytes à des prestataires indépendantes dont on minimise le degré de protection».

Qui a dit que ce colloque serait forcément «pro GPA» ? La chercheuse prône une réglementation «souple» capable de s’adapter aux réalités. Quand des juristes, comme Hugues Fulchiron, président honoraire de l’Université Jean Moulin Lyon 3 évoque avec raison un «problème juridique global». Un problème qu’on ne saurait résoudre d’un simple de revers de loi nationale. En claquant des doigts pour interdire, abolir, prohiber, anéantir…

GPA : crier ou creuser

Dénonçant «une nouvelle forme d’esclavage», la Manif pour tous estime que la pratique «ne saurait être un sujet dont on discute comme n’importe quel autre». Le mouvement a donc demandé à Valérie Pécresse, nouvelle présidente LR de la région Île-de-France, de supprimer de toute urgence et intégralement le financement alloué à cet évènement. L’ancienne ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche s’est empressé de répondre que le colloque en question avait été «sélectionné par un jury mis en place par la précédente équipe régionale» et qu’il était contraire aux principes républicains qu’une autorité publique revienne «sur les choix souverains d’un jury scientifique dans le cadre d’un programme de recherche en cours». Elle a néanmoins rappelé son opposition «à toute forme de marchandisation du corps humain» et fait savoir que «les études de genre» ne faisaient pas partie des priorités du nouveau conseil scientifique régional pour les années à venir.

La Manif pour tous s’est également alarmée de la présence du défénseur des droits, Jacques Toubon, à cet évènement. «Sa présence risque de cautionner un événement et des positions non conformes à la législation française», regrette Ludovine de la Rochère.

Jacques Toubon a rétorqué qu’il interviendrait à une table ronde «en toute indépendance».

Catherine Mallaval et Virginie Ballet