Les Irlandais se prononceront aujourd’hui sur cette réforme qui a de bonnes chances de passer, malgré l’opposition farouche de l’Eglise et de ses dignitaires qui ont donné de la voix pour tenter de faire mentir les sondages prédisant la victoire du «oui».
En 2015, l’Irlande est, comme la Pologne, un de ces pays européens où la tradition catholique est encore fortement ancrée dans la vie de tous les jours. L’avortement y est interdit, plus de 70% des mariages sont célébrés à l’église et plus de 90% des écoles primaires sont parrainées par l’institution religieuse.
Mais «l’Eglise catholique irlandaise est une institution très affaiblie», estime Diarmaid Ferriter, historien à l’University College de Dublin.
«Beaucoup de gens pratiquent leur foi avec sérieux, certes, mais l’idée que l’Eglise puisse jouer un rôle d’arbitre sur les questions de moralité, de sexualité et de mariage ne cesse de reculer», assure-t-il.
Sécularisation
Même constat pour Tom Inglis, auteur d’un essai intitulé «Le monopole de la morale: grandeur et décadence de l’Eglise catholique dans l’Irlande d’aujourd’hui». Ce référendum est «un élément de la sécularisation qui est en train de se mettre en place» dans la société irlandaise, dit-il.
Un «signe que l’Eglise ne joue plus le rôle de conscience morale», au moment où «pour les croyants, la religion relève de plus en plus de la sphère privée», développe-t-il.
Cette perte d’influence se traduit sur le terrain par une forte baisse de la fréquentation de la messe, bien que 84,2% des Irlandais se disent catholiques, selon le dernier recensement de 2011.
Pour le Père Brendan Hoban, qui officie dans l’ouest du pays, ce désamour est à imputer en grande partie au scandale des affaires de pédophilie qui ont profondément choqué l’opinion publique. Quelque 14 500 enfants auraient été victimes de prêtres pédophiles et plusieurs responsables religieux, accusés d’avoir couvert ces abus, ont été sanctionnés.
L’Eglise «a échoué lamentablement»
«Le nombre de nos prêtres baisse et baissera significativement au cours des prochaines années», dit-il, en pointant également la laïcisation du pays et les changements comportementaux inhérents à la société de consommation.
«L’Eglise irlandaise a échoué lamentablement à regarder les choses en face. Des paroisses vont fermer. Certaines qui sont là depuis plus de 1000 ans vont disparaître», regrette le Père Hoban, fondateur de l’association des prêtres catholiques.
De fait, la société irlandaise a pris un virage séculier ces dernières années, symbolisé par les critiques au vitriol du premier ministre Enda Kenny à l’encontre de la politique du Vatican. L’incapacité de l’Eglise à gérer correctement les affaires de pédophilie montre «le dysfonctionnement, la déconnexion, l’élitisme» de la culture vaticane, a-t-il dit.
Le Père Michael Mernagh, une des voix les plus dures contre l’attitude de l’Eglise irlandaise après la révélation des affaires de pédophilie, juge pour sa part que l’institution religieuse «a besoin de se recentrer sur l’essence même de son message, qui est un message d’amour».
Discours policés
L’Eglise doit «trouver sa place au milieu des changements sociaux», faute de quoi «elle deviendra tout simplement hors sujet», met-il en garde.
Pour essayer de faire passer leur message, les dignitaires catholiques irlandais opposés au mariage homosexuel ont tenté de policer leurs discours, reconnaissant que les homosexuels avaient été victimes d’injustice de la part de l’Eglise.
Cette démarche s’inscrit dans l’esprit d’ouverture que promeut le pape François qui, tout en affirmant son opposition au mariage homosexuel, avait déclaré en 2013: «Si une personne est homosexuelle et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger?»
Mais l’Eglise irlandaise avance en ordre dispersé, et l’association des prêtres catholiques a décidé de ne pas prendre position sur le référendum, après qu’un sondage a révélé de fortes divergences sur le sujet au sein de ses membres.
L’Eglise catholique d’Irlande, souligne le Père Hoban, «ne parvient pas à prendre les décisions nécessaires pour son avenir. Elle est poussée à la marge de la société irlandaise.»
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(ats/Newsnet)