Légalité du mariage entre conjoints homosexuels “franco-marocain” : Une décision qui pourrait faire jurisprudence

>> Dominique et Mohammed se sont dit « oui » en 2013 mais la justice débat toujours de la légalité de leur mariage. La Cour de cassation doit se prononcer sur la validité de leur mariage. Une décision qui pourrait faire jurisprudence pour tant d’autres unions. En attendant, les deux hommes, éprouvés, vivent sous la pression.

« Ils appellent à ce qu’on lui retire sa nationalité et à ce qu’on l’empêche de remettre les pieds au Maroc. Il y a même des appels au meurtre. Et cela ne fait que commencer… »
Dominique est exaspéré. Ce quinquagénaire de Chambéry (Savoie) ne supporte plus de lire les commentaires haineux portés à l’encontre de son compagnon Mohammed sur des sites marocains depuis mardi. Depuis ce jour où l’avocat général auprès de la Cour de cassation a requis la validation de la légalité de son mariage homosexuel et binational. Un dossier sensible qui est suivi de près par le Maroc.
Jusqu’ici le parquet s’est systématiquement opposé à leur union, s’appuyant sur une convention bilatérale signée entre la France et le Royaume en 1981. Celle-ci stipule qu’un ressortissant marocain est soumis au droit marocain dans l’Hexagone. Or, le Maroc pénalise l’homosexualité. Si la plus haute juridiction française suit les réquisitions le 28 janvier, ce sera le signe que la loi sur le mariage pour tous est plus forte qu’un accord international.

Dominique et Mohammed ont conscience d’avoir une lourde responsabilité sur les épaules. Ils redoutent des conséquences diplomatiques. Craignent d’être harcelés par les anti-mariage gay français comme marocains. Alors, ils vivent discrètement, ne donnent jamais leurs noms ou leurs professions et évitent d’en parler, surtout à leurs collègues. « C’est une sorte d’acharnement. On a l’impression d’avoir tué quelqu’un! Pourtant, on demande juste qu’on respecte notre mariage. Cela ne devrait regarder personne! », souffle Dominique, la voix lassée par ce combat.
L’attente, surtout, est ce qu’il y a de plus pénible pour les deux hommes. Ils ont ce désagréable mais omniprésent sentiment que leur union est un « sous-mariage », qu’elle est illégitime. Ils se disent stigmatisés par rapport aux autres couples homosexuels. Un comble. « On se sent comme des exceptions. Heureusement qu’on a le soutien d’associations. Y’en qui pèteraient des câbles ou auraient déjà pris des cachetons! C’est infernal », maugrée Dominique, qui envisage de demander des dommages et intérêts à la justice française.

Leur mariage a déjà été une épreuve en soi et a suscité une forte médiatisation. 48 heures avant le jour J, alors que toutes les réjouissances sont prêtes et que les invités sont déjà prévenus, le parquet de Chambéry annule la cérémonie. C’est en septembre 2013. La cour d’appel autorise finalement le couple à se marier malgré le pourvoi en cassation – non suspensif – du parquet. Mais la tension est toujours présente lorsqu’ils se présentent devant l’autel. « Fallait pas nous voir à l’époque. On était dans un état pas possible. On nous mettait des bâtons dans les roues. C’était un vrai roman! », se souvient l’époux français. Ils écrivent une lettre ouverte à Christiane Taubira mais celle-ci renvoie la balle aux tribunaux et parquets.
Cette succession d’épreuves extraordinaires, Dominique et Mohammed pourraient éviter à des milliers de couples homosexuels de la vivre. C’est ce qui leur permet de mieux avaler la pilule et d’affronter la suite. Car la décision de la Cour de cassation pourrait faire jurisprudence non seulement pour les autres couples homosexuels franco-marocains mais aussi pour tous ces couples binationaux sous le coup d’une convention bilatérale internationale.

11 pays sont concernés parmi lesquels la Tunisie, l’Algérie, le Cambodge, le Laos, la Pologne et la Serbie. « Ce sont des accords bidons et désuets. Ils ont été signés il y a longtemps et contreviennent à l’ordre public français établi par le mariage pour tous. Or le droit international prévoit qu’on puisse passer outre une convention dans ce type de cas », note maître Didier Besson, avocat de Dominique et Mohammed mais aussi d’un couple serbe dans l’incapacité de se marier. Il estime entre 50 et 100 le nombre de couples binationaux bloqués juridiquement. Certains ne pourraient même pas retirer un dossier au guichet de la mairie.
« Si on regarde le droit marocain, on voit qu’une femme n’a pas le droit de se marier avec un non-musulman. Est-ce que l’on va interdire ce genre d’union à une Marocaine qui vient en France? C’est absurde », poursuit le conseil. Lui se dit optimiste quant à la décision de la Cour de cassation qui, si elle valide le mariage, ferait de ses clients des « symboles ». Et ce même si une association franco-maghrébine traditionnelle, Alhuna, fait pression sur la haute juridiction française via son avocate qui, selon le site Yagg, est aussi celle de la Manif pour tous. Celle-ci assure que le mariage gay n’est pas encore partagé et n’a donc pas changé l’ordre public mais confond opinion publique et droit.
« Ce sera mémorable quand la Cour va valider. Ce sera une libération pour nous mais aussi pour la cause homosexuelle », assure Dominique. Avec son compagnon, ils ont prévu d’ouvrir une bouteille de champagne, « un magnum de Reims », pour fêter ça. Ils prévoient ensuite de savourer – enfin – leurs noces et la reconnaissance de leur amour, en espérant toutefois que plus personne ne vienne la saboter.

Par Jérémie Pham-Lê

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