L’égérie des anti-mariage gay a déposé ce vendredi une pétition citoyenne au Conseil économique et social. Enquête sur une drôle de paroissienne.
Elle est la reine du grand écart. Combien de fois l’a-t-elle fait sur un bar, une table, partout où la fête l’exigeait ? Le piano du Banana Café, célèbre boîte gay parisienne, s’en souvient, dont elle cassa la vitre une nuit où la gymnastique alla un peu loin. Elle était alors Frigide la sympa, l’amusante amuseuse que ses camarades de nuit regardaient avec tendresse partir au petit matin, ivre d’alcool et de fête.
« Coming out » catho
C’était avant son « coming out » catho, avant surtout qu’elle devienne l’infatigable porte-parole d’un mouvement qui prétend saper la détermination gouvernementale à faire voter l’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Elle l’a dit, « les yeux dans les yeux », minijupe rose et crinière jaune, au président l’autre soir. « C’était un de mes rêves d’étudiante d’être un jour à l’Elysée. Il nous entendra, j’en suis sûre. »
Un peuple est en marche derrière sa bergère disco, veut-elle croire. La meilleure façon de faire oublier les recoins troubles où elle traîne ses longues jambes depuis trente ans, c’est encore ça : beaucoup de bruit pour couvrir ses démons intérieurs et de la couleur pour enjoliver les sombres personnages qui l’entourent. Même au Champ-de-Mars, le 13 janvier, devant des centaines de milliers de serre-tête et de lodens austères, elle déboulait sous une pluie de paillettes roses au rythme de l’hymne de « Rocky III ».
Boutin 2013
La Boutin 2013 reçoit dans le boudoir foutoir qui lui sert de bureau. De vieux tapis réchauffent le sol, des portants jouent au vestiaire de théâtre, les murs sont tapissés de livres, disques, dossiers. En évidence, le Code civil, sa nouvelle Bible, dont elle a tant de mal à voir bouger les lignes. Il y a aussi des affiches roses, papa-maman-enfants main dans la main, appelant à la Manif pour Tous.
Croix dorée autour du cou, Frigide, 50 ans, gère comme une boss son « cabinet », ne lâchant pas son smartphone, vérifiant une dernière fois le communiqué de presse et réfléchissant à haute voix à cette question qui la taraude : derrière le mariage, en embuscade, la famille.
Une famille cabossée
La sienne est cabossée. Des notables lyonnais, un père industriel dans le textile synthétique, une mère cantatrice. Elle est la première des deux enfants, conçue avant même les fiançailles du couple que l’on marie en vitesse, pour le meilleur et assurément pour le pire : le désamour, la violence conjugale et, pour la fillette, le grand écart originel entre une mère malheureuse et un père qui s’en fiche.
A 11 ans, Virginie Merle est anorexique et terrifiée par cette chose qu’elle ne peut confier, en pleurs, qu’à un prêtre : ses parents se séparent. « Ma blessure à moi c’est leur divorce. Toute ma motivation vient de là. »
Gros donateur de Le Pen
Son père est l’ogre des contes de fées. Friqué, égoïste, païen. Bouffeur, baiseur. « Il était giscardien sous Giscard, chiraquien sous Chirac, il a fini lepéniste comme les vieux qui se lâchent. » Plus qu’un électeur, dit-elle, Jacques Merle est pour Le Pen « un gros donateur fier de le recevoir dans son château de Rillieux-la-Pape » quand il descend à Lyon. Alors, oui, elle a croisé le padre du FN.
Comme lors de cette virée à Paris, dans la Jaguar de papa. « C’était jubilatoire : je venais de quitter mes copains de gauche de Sciences-Po et je me retrouvais avec Le Pen chantant des chansons paillardes. Un fêtard, Le Pen, qui aimait les femmes, les chiens, les copains, les chasseurs. Il n’y a pas mort d’homme. »
La déconne lave de tout
Pourvu qu’on rigole (sauf de la religion), rien ne semble la déranger. La déconne, comme l’absolution, lave de tout. Ce n’est pas l’avis de certains copains « juifs et de gauche » qui boycottent ses noces, où le chef de l’extrême-droite est l’invité d’honneur de Jacques Merle avant de se décommander.
Ce mariage, en 1994, est un autre grand écart. Alors que l’abbé Gonzalve de Linares, après une messe en latin, dénonce dans son sermon la dissolution des moeurs, les mariés entendent derrière eux les bancs de l’église se vider : leurs copains de la télé, de la nuit et de ses excès ne sont pas venus pour prendre une leçon de morale.
Recto-verso
Les deux faces de Frigide Barjot sont là. Recto droite cathotradi, verso fête façon bacchanales. C’est Bruno Tellenne, alias Basile de Koch, son vénéré époux, son « Dieu », écrit-elle, qui a choisi ce prêtre qui les met à genoux et fait fuir leurs amis. Esprit brillant et angoissé, il est plume de politiques et notamment de Charles Pasqua. L’homme s’assume de droite mais attaque ceux qui, comme récemment un blog hébergé par le site Mediapart, évoquent son appartenance passée au GUD.
Jean-Yves Camus et Stéphane François, spécialistes de ces mouvements, ne trouvent effectivement nulle trace de lui parmi les militants de l’organisation étudiante d’extrême droite. « Son nom n’apparaît jamais », affirment-ils. En 1997, « l’Evénement du jeudi » était condamné pour avoir fait courir ce bruit qui toujours résonne.
Club de l’Horloge
Le nom de Bruno Tellenne figure bel et bien, en revanche, parmi les auteurs d’un livre paru en 1985 et signé du Club de l’Horloge, cercle de réflexion politique ultradroitier. L’ouvrage, « la Préférence nationale, réponse à l’immigration », est publié par Albin Michel sous la direction de Jean-Yves Le Gallou, membre du Front national.
Le soir des législatives de 1986, quand Jean-Marie Le Pen célèbre à l’espace Baltard l’entrée de ses trente-cinq députés au Palais-Bourbon, Lorrain de Saint-Affrique, alors conseiller en communication du FN, se souvient « très bien que Basile de Koch figurait aux premiers rangs du meeting ».
« Touche pas à mon pape »
Paris est alors en pleine effervescence « Touche pas à mon pote », les proches de Frigide s’en moquent. Plus tard, elle récupérera l’idée de la petite main pour son mouvement « Touche pas à mon pape ! » lorsqu’elle organisera la défense de Benoît XVI [qui a donné sa démission, lundi 11 février, NDLR].
Elle a un talent de communicante, qu’elle a exercé pour polir l’image du RPR. Puis pour Jalons. Menée par les frères Tellenne – Karl Zéro et Basile de Koch -, cette bande de dandys nihilistes excelle dans les pastiches de journaux. Au plus fort, ils écoulent jusqu’à 100.000 exemplaires de « l’Aberration » (pour « Libération »).
Virginie y engloutira, dit-elle, sa fortune. Elle adore leur humour au quinzième degré. Même quand « le président » Basile de Koch l’adoube en la surnommant Frigide Barjot, elle finit, après une bonne cuite, par accepter ce pseudo. Le compagnon de soûlerie, ce soir-là, s’appelle Désiré G., alias Gauthier Guillet, ex-dirigeant du GUD, futur élu FN et lieutenant de Bruno Mégret à Vitrolles, mais à cette heure représentant pour la blague du courant « nazisme & dialogue » de Jalons. Pas de quoi effrayer la fille Merle, tout à la joie de son second baptême : Frigide Barjot est née.
Panache rose
Vingt-cinq ans plus tard, même les plus hauts évêques de France l’appellent « chère Frigide ». Mais que savent-ils du personnage ? Par quel mystère l’Eglise catholique s’est-elle ralliée à son panache rose ? « Très mauvais en communication, l’épiscopat est bien content de trouver cette pro qui joue la femme sandwich du catholicisme avec ses tee-shirts à message, décrypte Jean-Baptiste Malet, de la revue « Golias », chrétienne et de gauche. Mais derrière ce déguisement, son discours est ultrapapiste et, sous couvert d’ouverture, elle incarne le repli de l’Eglise. »
Sa foi, souvent noyée de larmes, confine au mysticisme. Depuis son « déclic avec Jésus » à la mort de Jean-Paul II, elle n’exulte jamais tant qu’au milieu d’une foule en prière.
Dans sa paroisse Saint-Léon, réputée conservatrice, Frigide a éveillé les marmots à la foi et animé un « chapelet des enfants » chaque jeudi soir en souvenir d’un petit mort d’une leucémie. Si elle prend un temps conseil auprès de Mgr Rey, évêque de Fréjus Toulon à l’extrême droite du Père, qui fin janvier célébrait la messe commémorant « l’assassinat » de Louis XVI, sa capuche fuchsia effraie moins que les processions en robe de bure des ultras de Civitas, dont l’Eglise veut à tout prix se démarquer.
Leur patron, Alain Escada, s’en étrangle : « Ils voulaient cacher le fait que ce sont des cathos qui se mobilisent. Mais ces gens descendent dans la rue parce que, dans leur paroisse, on le leur a demandé. »
« Les rois du Banana »
La nuit, la fervente paroissienne se mue en une drôle de catholique qui chante « Fais-moi l’amour avec deux doigts parce qu’avec trois ça rentre pas », a table ouverte dans les boîtes de nuit, y traîne parfois ses clients (comme Charles Pasqua lors de l’élargissement de l’Union européenne en 2004) ou ses enfants (pour un après-midi au Banana Café, entourés de drag-queens siliconées).
« On était les rois du Banana, je ne comprends pas leur violence », dit-elle, blessée par le rejet de ceux qui ont pris ombrage de se voir utilisés comme preuve de sa non-homophobie. « Si elle n’était pas homophobe, elle ne combattrait pas ce projet », estime le patron du café. Elle peut bien se dire « fille à pédés », ses anciens camarades sont fâchés. Comme Jean-Luc Romero, dont elle célébra pourtant le faux mariage lors d’une soirée organisée dans une discothèque de la capitale.
« Mais on en a fait mille fois des faux mariages de gays, c’est amusant, on avait uni Eric Morena pour le magazine « Gai Pied » ! » Mariages parodiques, d’accord, mariages officiels, non. « Oh mon bateau ! » comme chantait Morena, ça tangue.
Elle a failli épouser un homo
Elle a beau assurer qu’être croyant « c’est marcher sur deux jambes, la vérité et la charité », et que depuis sa « révélation » elle n’a plus peur de rien, on devine une faille à ciel ouvert. Elle raconte sans qu’on le lui demande avoir failli épouser un homo : « J’ai vécu le fait de ne pas être désirée par un homme. Or je ne suis une femme que si un homme bande pour moi. »
Certains, qui ne veulent pas être cités, disent qu’elle « se venge des homos, ses grands rivaux ». Dans leur duplex low cost (voir encadré ci-dessous), papa est en haut, qui dort tard pour récupérer de ses nuits – il a abandonné le pastiche pour la chronique people -, et maman est en bas, qui prépare ses manifs avec ses nouveaux copains.
« Catosphère »
Ceux-là sont à mille lieues de l’esprit Jalons. En apparence, une bande de bénévoles sympathiques et modernes qui servent le café dans des mugs estampillés « Lourdes ». Dans cette « cathosphère » domestique, on croise la bonne copine dite « de gauche », Laurence Tcheng, celle-là même qui explique dans les réunions publiques, hors médias, que les homosexuels sont comme des enfants.
Ou encore l’homo antimariage Xavier Bongibault, ex de l’UNI et de l’UMP, auteur de la hasardeuse comparaison entre Hollande et Hitler. On peut aussi apercevoir, dans la petite cuisine, à côté de la cage à lapins, Albéric Dumont, dit Albéric Ier, proche des identitaires. Ou encore Tugdual Derville, le cauteleux successeur à la tête de l’Alliance Vita, une association antiavortement, de l’ex-députée chrétienne Christine Boutin.
« Je suis pro-vie et pro-manif pour la vie », clamait d’ailleurs Frigide Barjot en janvier 2012, devant la caméra de « Nouvelles de France », un portail « libéral- conservateur ». Dans ses « Confessions d’une catho branchée », elle expliquait déjà que, si sa fille tombait enceinte ado, et même en cas de viol, elle ferait tout pour garder l’enfant.
Sainte horreur
Dieu est grand, et Frigide toute petite. Elle n’aime pas la science qui ferme la porte à « l’aléa » et a très jeune jeté sa pilule. « Quelqu’un contrôlait pour moi », dit-elle énigmatiquement, sans que l’on sache qui est visé, de l’époux ou du Très-Haut. Elle qui fut mère avec difficulté ne goûte guère la procréation médicalement assistée.
« On a dû me déboucher les trompes. Le médecin m’a dit de retrouver mon mari dans les deux heures et ça a marché. Je serais peut-être allée jusqu’à la fécondation in vitro, mais pas au-delà. » Un don de sperme anonyme, hors de question. L’idée de ce géniteur inconnu qui essaime à tout-va lui fait une sainte horreur.
Et ne parlons pas de la gestation pour autrui. « C’est simple : mon maître à penser, c’est Sylviane Agacinski, la femme de Lionel Jospin. » Frigide n’a rien contre l’homoparentalité, tant que papa et maman sont bien identifiés.
« Filles à pédés »
« Je conseille à mes potes homos de faire leurs enfants avec leurs meilleures amies, dit-elle. Je connais des hétéros amoureuses de leur copain gay et qui sont prêtes à être mères. Il y a des sacrifices de vie par amour. » Aux « filles à pédés » comme elles de porter les bébés, et le Code civil sera bien gardé.
Barjot la contorsionniste sait que ses brebis du Champ-de-Mars en avaleraient leurs hosties de travers. « Oh putain, dites bien que je ne parle qu’à titre personnel, vous allez me faire virer de la Manif pour Tous ! » Qu’importe, soeur Frigide affirme avoir trouvé sa véritable vocation.
Elle raconte cette mère qu’elle a récemment appelée pour lui parler de l’homosexualité de son fils. « Elle pleurait mais a fini par l’admettre. Ma vraie mission, c’était ça : faire évoluer leurs esprits, leur faire accepter l’homosexualité. »
La voilà maintenant qui se dépeint en activiste gay friendly infiltrée pour désarmer l’homophobie. Jusqu’au bout, le pastiche ? Qui sait. L’acrobate adapte son numéro à l’auditoire et retombe toujours sur ses pattes. Ni tout à fait celle que dénoncent ses ennemis, ni exactement celle que suivent ses amis, Frigide Barjot n’a pas fini de faire le grand écart.
Source : nouvelobs.com