Persécution, répression, tels sont les mots que le titre, « les Gays sous le Franquisme » de l’historien Geoffroy Huard, (Discours, subcultures et revendications à Barcelone, 1939-1977), suffit à imposer, tant sont connues les valeurs défendues par le régime : survalorisation du modèle militaro-viril, dénonciation de la « féminisation » des régimes républicains, exaltation de la famille comme fondement de la société et bastion des valeurs conservatrices et chrétiennes. A ces exigences idéologiques, qui infèrent le rejet de l’homosexualité des deux sexes, vient s’ajouter, précise l’auteur, l’obsession nataliste, due au déclin démographique de l’Espagne d’alors. La politique familialiste, soutenue par l’Eglise catholique, allie incitations (allocations, éducation) et sanctions antimalthusiennes (Patronage de protection de la femme, afin de contrôler sa moralité, criminalisation de l’avortement « contre l’intégrité de la race »). Seule la sexualité procréatrice est pensable – et donc normale et admise – et l’homosexualité, en conséquence asociale (loi sur les vagabonds, les délinquantes, les homosexuels, 1954), pathologisée, réprouvée moralement et politiquement, juridiquement condamnée.
Tous les rouages du franquisme – telle l’Assemblée nationale de la croisade de la décence – s’associent contre les « invertis », plus visibles et plus dangereux pour la masculinité que les lesbiennes. Interdits de manifestation, de réunion, d’enseignement en école primaire, poursuivis jusque dans les prisons pour « actes contraires à la morale », incarcérés dans des secteurs réservés où se pratiquent parfois des expérimentations médico-psychologiques, les gays sont considérés comme dangereux pour la société, surtout pour la jeunesse, comme le martèle l’Œuvre de protection des mineurs.
« L’homosexualisme » est accusé de mener au « suicide de l’espèce » et d’entretenir avec le communisme, qui conduirait, lui, au « suicide la société », une relation « objective » et « consubstantielle », fondée sur l’athéisme.
Répression ? Oui, indubitablement, pour autant elle ne concerne que les classes populaires. Persécution ? Non, démontre l’auteur, détruisant ainsi une idée reçue, car c’est moins la pratique homosexuelle qui est en soi poursuivie que sa dangerosité sociale, estimée au cas par cas.
Aussi, contre toute attente, existait-il à Barcelone une vie homosexuelle « très développée, visible et en partie tolérée par les autorités » qui acceptent même d’acter juridiquement un changement de sexe, permis par une opération à l’étranger ! La subculture gay, si dynamique avant la dictature, ne disparut ni dans les écrits, ni dans les arts, ni dans le quotidien. Elle permit à partir de 1970 la création du Mouvement espagnol de libération homosexuelle (MELH) qui put compter sur une solidarité internationale et surtout française, à travers l’association Arcadie, fondée en 1954 et disparue en 1982.
L’indéniable puissance de ce livre se trouve toutefois limitée par son champ étroit de recherches : la capitale catalane et ses archives, ici largement reproduites. Mais « sont-elles vraiment représentatives de tout le pays ? », s’interroge
le refus de communication des sources des autres dépôts auquel l’historien a été sans cesse confronté et qui laisse planer un doute…Les Gays sous le franquisme de Geoffroy Huard : Discours, subcultures et revendications à Barcelone, 1939-1977, paru aux éditions Orbis Tertius