Les homosexuels toujours exclus du don du sang !

Depuis 1983, le don du sang est interdit aux homosexuels. Le candidat François Hollande s’était engagé à revenir sur cette mesure, qualifiée de discriminatoire. Mais Marisol Touraine, ministre de la Santé, a annoncé vendredi 14 décembre que cela ne se ferait pas. Entre motifs étonnants et raisons injustes, l’explication de notre contributeur.

« Aujourd’hui, je ne peux pas lever cette interdiction ». C’est avec cette phrase que la ministre de la Santé a enterré vendredi la promesse d’ouverture du don du sang aux hommes homos ou bisexuels. Un pas en arrière qui intervient alors que le Parti socialiste à appeler à manifester ce dimanche « pour l’égalité des droits et des libertés ».

Après Roselyne Bachelot et Xavier Bertrand, c’est donc un troisième ministre de la Santé qui fait volte-face sur ce dossier. Marisol Touraine, a déclaré vendredi sur BFM TV et RMC : « Je ne trouve pas normal qu’il y ait un élément de discrimination (…) [mais] je ne peux lever l’interdiction qui existe que si on me donne une garantie absolue que cela n’apportera pas plus de risques pour les transfusés ».

Une position qui va à l’encontre de celle du candidat Hollande qui, répondant à l’association SOS homophobie le 19 mars 2012, écrivait : « Oui, je mettrai fin à l’exclusion du don de sang, parce que chaque prélèvement est contrôlé d’abord, et parce qu’il est dévastateur à tous les niveaux d’accréditer une forme de présomption de séropositivité des hommes homosexuels. Il n’y a pas de « population à risques », mais des « pratiques à risques » ».

Une interdiction justifiée par la crainte du sida

C’est la crainte d’un risque accru de transmission du VIH lors des transfusions sanguines qui justifie cette interdiction. Celle-ci date de 1983, quand une circulaire demandait d’exclure, entre autres, « les personnes homosexuelles ou bisexuelles ayant des partenaires multiples ».

En 2002, une nouvelle circulaire (confirmée par un arrêté ministériel en 2009) visait cette fois les personnes ayant « des relations homosexuelles masculines », permettant ainsi aux lesbiennes d’accéder au don du sang.

L’argument avancé est toujours le même : le taux de prévalence du VIH chez les homosexuels masculins est 200 fois supérieur à celui de la population générale. L’Établissement français du sang (EFS) tient donc un fichier afin de s’assurer qu’une personne ayant été refusée au don de sang pour son orientation sexuelle en soit exclue à vie. Car les gays font partie avec les consommateurs de drogue, de la seule catégorie exclue de façon permanente du don pour le risque de transmission d’une infection virale. À titre d’exemple, un hétérosexuel ayant un partenaire séropositif ne sera exclu que pendant quatre mois après son dernier rapport sexuel (annexe II de l’arrêté).

Ce qui inquiète les autorités, c’est la fenêtre sérologique, nombre de jours pendant lequel le virus est indétectable après un rapport, environ une dizaine en l’espèce.

Mais la mesure n’empêche pas dans la réalité les homosexuels de donner leur sang. En effet, il suffit de mentir au questionnaire… ce qui est dangereux car le médecin ne peut donc évaluer le risque réel. A tel point qu’une enquête de deux épidémiologistes de l’Institut de veille sanitaire s’interrogeait sur l’opportunité d’autoriser les dons avec des conditions de délais plus stricts pour les hommes homosexuels (12 mois après le dernier rapport au lieu de 4) [1].

Une exclusion discriminatoire ?

L’interdiction actuelle est cependant de plus en plus contestée. D’abord, par les associations pour les droits des homosexuels (SOS homophobie, Act Up, …) qui militent pour sa suppression. Celles-ci souhaitent remplacer l’exclusion basée sur l’orientation sexuelle au profit d’une interdiction décidée en fonction des comportements à risques. Et elles ne sont pas les seules.

Dès 2002, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’interrogeait sur « [l’]éviction liée à l’homosexualité [qui] est définitive alors que d’autres conduites à risque notoire n’entraînent qu’une exclusion temporaire ». Avant de conclure : « Il convient de ne pas transformer ce principe légitime de sécurité en stigmatisation ou en mesure qui peut être considérée comme discriminatoire ».

En 2006, la HALDE lui emboîtait le pas soulignant que « l’EFS n'[avait] pas tenu compte de l’avis émis par le CCNE » et ajoutait que la décision d’exclusion définitive d’un homosexuel masculin devrait « être prise sur la base des risques liés à son comportement » (la mise en gras est d’origine). Elle appelait aussi au respect du droit européen.

Respect qui préoccupe aussi la commission de l’UE. Le 17 août 2011, le commissaire à la santé John Dalli rappelait que la directive sur ce sujet évoquait les « personnes dont le comportement sexuel les expose à un risque élevé de contracter de graves maladies ». Avant de souligner que «  »le comportement sexuel » n’est pas identique à « l’orientation sexuelle«  ». Puis de conclure que « les États membres sont tenus d’appliquer ces directives dans le plein respect de la Charte européenne des droits fondamentaux, (…) qui interdit toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ».

Dernier soutien en date, le Défenseur des droits Dominique Baudis qui déclarait le 8 décembre 2011 : « Un homme homosexuel qui prend toutes les précautions nécessaires, qui a une vie stable, voire qui est abstinent sur le plan sexuel, au nom de quoi serait-il exclu du don du sang ? Là, on rentre dans la discrimination ». Et indiquait avoir : « [avoir] demandé qu’il n’y ait pas une mise à l’écart systématique des homosexuels« .

Une demande pour l’instant ignorée, l’ESF étant farouchement opposé à la levée de l’interdiction et préférant s’abstenir du sang de plus de 4% de la population française. Pourtant, l’établissement avait dû relever en 2009 la limite d’âge pour le don de 65 à 70 ans face à la fragilité de ses réserves de sang. Et 76% des Français trouvent que cette mesure n’est pas justifiée.

[1] Revue Transfusion Clinique et Biologique, « Accès au don du sang des hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes et impact sur le risque de transmission du VIH par transfusion : tour d’horizon international », Volume 18, Issue 2, Avril 2011, p. 151-157

Par F.B.
Étudiant en journalisme