Les géants de la Silicon Valley sont de plus en plus intimement mêlés aux questions de société. Cela s’est effectué de manière involontaire la semaine passée, via le procès intenté par une ancienne employée d’une société de capital-risque de la Silicon Valley pour discrimination sexuelle. Et, en parallèle, via l’appel de plusieurs géants du Web contre une loi de l’Etat de l’Indiana ouvrant la porte à la discrimination des homosexuels.
Il y eut d’abord le verdict lors du procès intenté par Ellen Pao contre son ancien employeur, Kleiner Perkins Caufield and Byers. La plaignante accusait cette société, qui avait participé au financement de Facebook, Amazon ou encore Google, d’avoir empêché le développement de sa carrière, puis de l’avoir licenciée. Samedi, au terme d’un procès qui aura duré 24 jours, un jury a estimé que les preuves avancées par Ellen Pao étaient insuffisantes et a blanchi son employeur.
Mais le procès a été perçu par de nombreux observateurs comme un avertissement destiné aux firmes de la Silicon Valley, au-dessus desquelles plane un soupçon de sexisme. Facebook et Twitter sont eux aussi poursuivis par d’anciennes employées d’origine asiatique, qui les accusent de discrimination. Selon une étude menée par l’Université Harvard, six femmes sur dix travaillant dans le capital-risque se sentent prétéritées.
Cette prise de conscience survient alors que certains acteurs de la Silicon Valley se mobilisent contre un autre type de discrimination, celle à l’encontre des homosexuels. Le débat a débuté jeudi passé lorsque le gouverneur républicain de l’Etat d’Indiana, Mike Pence, a ratifié une loi en présence d’un petit comité de personnalités religieuses. Cette nouvelle législation vise, selon le gouverneur, à «protéger les Eglises, les entreprises et les personnes chrétiennes de ceux qui veulent les punir à cause de leurs croyances bibliques». Selon des militants de la cause homosexuelle, la loi, qui doit entrer en vigueur le 1er juillet, pourrait permettre à des entreprises de refuser des clients homosexuels au nom de leurs croyances religieuses.
Le lendemain, Tim Cook, directeur d’Apple, écrivait sur Twitter que sa société était profondément déçue par la nouvelle loi de l’Etat d’Indiana, espérant que l’Arkansas n’allait pas l’imiter. «Partout dans le monde, nous nous efforçons de traiter nos clients de la même manière, quelle que soit leur origine, leur religion ou qui ils aiment», publiait Tim Cook. Avant, dimanche soir, d’écrire dans le Washington Post un autre texte affirmant que «quelque chose de très dangereux survient dans plusieurs Etats du pays».
L’Indiana n’est en effet pas le seul État à avoir adopté une telle loi, permise par une loi fédérale votée en 1993 sous Bill Clinton, le Religious Freedom Restoration Act. Dix-huit autres Etats ont adopté un texte similaire à celui de l’Indiana, sans que cela fasse autant de bruit. Tim Cook a été suivi par d’autres acteurs de la tech: Salesforce et Yelp ont annoncé leur intention de geler leurs investissements dans l’Indiana, alors que la société Angie’s List a affirmé vouloir investir ailleurs 40 millions de dollars prévus initialement dans cet Etat.
Ces derniers mois, de plus en plus de firmes high-tech américaines se sont impliquées dans le débat politique, mais jusqu’à présent surtout pour des thèmes proches de leurs activités, tels que la neutralité d’Internet. C’est la première fois qu’un thème si éloigné de leurs affaires est ainsi évoqué. Mais la personnalité de Tim Cook, qui a effectué son coming out en octobre dernier, y est certainement pour beaucoup. Le directeur d’Apple n’a pas menacé de geler des investissements dans l’Indiana. Mais il a cité dans son article d’opinion deux Etats, la Caroline du Nord et le Nevada, où, relevait lundi le site spécialisé CNET, Apple a consenti plusieurs centaines de millions de dollars d’investissements.
Anouch Seydtaghia