Samir (1) en est convaincu. « Les manifs à 14 heures, ce n’est pas bon pour les affaires. Les gens ont déjà mangé… », se désole ce vendeur ambulant qui a bien du mal à écouler ses sandwichs-merguez. En ce début d’après-midi, il y a pourtant beaucoup de monde place Denfert-Rochereau, à Paris. Des gros ballons rouges et blancs, des drapeaux multicolores, des banderoles d’organisations politiques de gauche. Et une foule dense, joyeuse et bruyante, venue défendre le « mariage pour tous » dans les rues de la capitale. « Mêmes droits, même loi pour toutes les familles », chante la foule. « Notre seule religion, c’est l’amour », « Liberté, égalité, homoparentalité », disent les pancartes.
Au cœur du cortège, Jean-Jacques Berel défile en brandissant une petite affiche. « Ma fille est lesbienne et heureuse. Mon fils est gay et je l’aime. » Être aujourd’hui dans les rues de Paris, c’est comme une « évidence » pour cet ancien directeur d’une école catholique, venu d’Angers et membre de l’association Contact (2).
« On a senti le poids du rejet, des discriminations »
« J’ai trois enfants dont deux sont homos. Et c’est mon rôle de parent de me battre pour qu’ils aient les mêmes droits que les autres. Le droit de se marier ou de fonder une famille », explique Jean-Jacques Berel, qui confie avoir été « blessé » par la manifestation du 13 janvier. « Même si ses organisateurs se sont défendus de toute homophobie, elle a instauré un climat dur à vivre. On a senti le poids du rejet, des discriminations », assure-t-il.
Un avis partagé par Marie-Hélène, mère d’une fille homosexuelle de 34 ans. « Ce qui me fait le plus de peine, ce sont tous ces amalgames qu’on a entendus ces dernières semaines à mots plus ou moins couverts : le fait d’assimiler l’homosexualité à l’inceste, la pédophile ou la polygamie. C’est terrible à entendre », confie cette « toute jeune » grand-mère.
« L’enjeu, c’est d’obtenir une égalité des droits civils »
« Ma fille a eu un petit garçon il y a un mois, raconte Marie-Hélène. Cette naissance a été possible parce qu’elle est allée en Espagne pour bénéficier d’une procréation assistée. Et si je manifeste, c’est pour que cette possibilité de devenir mère ne soit plus réservée uniquement aux femmes qui ont les moyens d’aller à l’étranger. »
Dominique et Arnaud, eux, marchent avec leurs deux enfants. Un couple « hétéro », marié et remonté contre « tout le lobby catho » qui « radicalise » le débat. « L’enjeu, c’est d’obtenir une égalité des droits civils. Les homos demandent à pouvoir se marier à la mairie, pas à l’Église. Je ne vois pas en quoi cela concerne les curés… », assène Dominique. Venue « avec une bande de copines », Florence (1), 21 ans, ne cache pas sa détermination.
« Si on pense que les homos sont des gens comme les autres, pourquoi leur interdirait-on d’être des parents comme les autres ? », s’interroge cette étudiante. Avant de confier que le débat sur le « mariage pour tous » suscite des discussions tendues à la maison. « Mes parents sont contre et ils sont allés à la manif du 13 janvier. Ils savent que je suis pour et que je défile aujourd’hui. La seule chose que je leur cache encore, c’est que je suis lesbienne. Leur dire la vérité serait un pas que je me sens, aujourd’hui, incapable de franchir. »
(1) Le prénom a été modifié.
(2) Association de dialogue entre les parents, les gays et lesbiennes.
PIERRE BIENVAULT