Pendant plus de trente ans, les défunts atteints du VIH ont été privés de soins de conservation. Une stigmatisation qui a pris fin le 1er janvier, après des années de mobilisation. Nous avions d’ailleurs saisi le Conseil d’Etat pour réclamer également l’abrogation de cette réglementation en vigueur depuis 1986.
Frédéric Navarro, ancien président d’Act Up Paris de 2012 à 2013, en avait entendu parler dans le milieu associatif. « Mais il fallait y être personnellement confronté pour réaliser que ça existait vraiment ».
C’était son dernier rendez-vous avec l’homme qu’il a aimé pendant dix-huit ans. Il lui aura fallu des années et l’aide d’un psychologue pour effacer cette image et l’exhalaison putride qui l’a longtemps poursuivi. Christian, qui sentait d’ordinaire si bon le vétiver, à la morgue, son visage rongé par des taches noires de décomposition. Une odeur de viande avariée qui prenait à la gorge.
« Il a été traité comme un pestiféré parce qu’il était porteur d’un virus dont on craint toujours la contamination, par méconnaissance… Pas une touche de maquillage n’avait été mise pour camoufler, rien, on ne touche pas un mort du sida », s’indigne Frédéric dans un entretien sur le Monde.
Christian est décédé en juillet 2010. Il avait 47 ans. Sa santé s’était dégradée, il a fait un arrêt cardiaque, alors qu’il se trouvait seul. Les pompiers l’ont emmené à l’institut médico-légal, où une autopsie a été pratiquée. Frédéric Navarro n’a été autorisé à le voir que treize jours plus tard, une fois l’enquête bouclée. Treize jours durant lesquels Christian, qui était séropositif, n’a pas eu le droit à des soins de conservation — l’injection d’un produit conservateur à la place du sang pour retarder la décomposition du corps.
De rage, Frédéric a eu envie de retourner le cercueil, prendre une photographie pour que la société prenne conscience de l’existence de « cette discrimination », rendant le deuil encore plus difficile aux proches.
Depuis le 1er janvier, les défunts atteints du VIH ou des hépatites B ou C ont droit à des soins de conservation. Cette décision a été accompagnée de mesures visant à mieux encadrer la pratique de la thanatopraxie au domicile des défunts et de l’obligation pour les thanatopracteurs de se vacciner contre l’hépatite B, les spécialistes estimant que le véritable enjeu se situe à ce niveau.
« Comme cela s’est fait dans de nombreux pays, il aurait été possible de lever, il y a bien longtemps, la prohibition des soins de conservation pour les personnes atteintes du VIH et hépatites virales si l’on avait accepté plus tôt de mieux encadrer l’activité de thanatopraxie », souligne la juriste Lisa Carayon dans un rapport consacré au sujet.
« Aujourd’hui, c’est un soulagement de se dire que les séropositifs seront enfin respectés dans leur mort. Et que des familles n’auront plus à vivre cela », se réjouit Frédéric. Mais « il en aura quand même fallu, du temps ! », ajoute-t-il.
Cette levée demeure toutefois contestée par un syndicat de thanatopracteurs. Position par ailleurs dénoncée par d’autres représentants de la profession, mais qui inquiète les associations. « Preuve que le combat n’est jamais terminé », regrette Frédéric.
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