LGBT : Portrait de trois réalités radicalement opposées, présentées par des associations canadiennes

L’homosexualité, dans certaines communautés, est encore loin d’être acceptée. Et puis ailleurs, elle est étonnamment reconnue. Portrait de trois réalités radicalement opposées, présentées par trois associations canadiennes.

Si la sexualité est taboue chez les Africains et les Caribéens, que dire de l’homosexualité?

Dans une communauté où le poids de la religion est immense, où l’on dit encore que pour être un bon chrétien, il faut se marier, avoir des enfants, où l’on croit que l’homosexualité est une déviance, une maladie mentale, un truc contagieux qui s’attrape, synonyme de pédophilie, Patricia Jean et Yves Ulysse, respectivement directrice générale et coprésident d’Arc-en-ciel d’Afrique, font figure d’exception.

Pourquoi? Parce qu’ils osent, haut et fort, s’affirmer pour ce qu’ils sont. Vivre ce qu’ils sont. Fièrement. Normalement. Et oui, dans leur communauté, c’est drôlement peu fréquent. Même à Montréal.

Arc-en-ciel d’Afrique, qui participe à des activités de sensibilisation dans les écoles, s’est déjà fait accuser par un parent de faire du recrutement.

«Les intervenants le sentent : c’est dans la communauté noire qu’il y a le plus de réticences… », affirme Patricia Jean.

N’empêche. Quand on sait que l’on compte environ 190 000 Noirs au Québec, il doit facilement y avoir pas loin de 19 000 homosexuels dans le lot. Mais seule une poignée est sortie du placard. Pourquoi? D’abord, parce que pour beaucoup, le «gay» est stéréotypé: «Blanc, torse nu, qui défile dans la rue», résume Yves Ulysse. Dur de s’identifier quand en partant, on n’est pas Blanc! En prime, plusieurs choisissent de ne pas rajouter une couche de différence à leur identité. «Parfois, c’est un mode de survie…»

Conséquence? D’après Patricia Jean, les trois quarts des LGBT de sa communauté se cachent, vivent une double vie et ne parlent surtout pas de leur identité à leur famille ou leurs amis.

D’où l’existence d’un organisme comme Arc-en-ciel d’Afrique qui, justement, vise non seulement l’intégration, mais surtout l’épanouissement des personnes LGBT africaines et caribéennes. Objectif? Déconstruire les stéréotypes négatifs, et surtout démontrer qu’on peut être Noir, gay, épanoui et heureux.

Cinq défis de la communauté

Une place

Non, la communauté LGBT de Montréal n’est pas que blanche, musclée, épilée. Quoi qu’en disent les «icônes de la pub», fait valoir Yves Ulysse. D’où l’effort d’Arc-en-ciel d’Afrique de proposer, dans le cadre de Fierté Montréal, des activités qui leur ressemblent: pique-nique, soirée musicale, course, etc. «Il faut faire des activités qui reflètent notre culture, qu’on aimerait partager avec le reste de la communauté LGBT», résume le coprésident.

Les réfugiés

En un an, pas moins de 85 personnes de la communauté noire ou caribéenne sont arrivées au pays en demandant le statut de réfugié sur la base de leur orientation sexuelle, signale Patricia Jean. Du lot, beaucoup ont vécu des situations horribles («on entend des histoires d’horreur: un copain assassiné sous ses yeux, immolé»), mais malheureusement, Arc-en-ciel d’Afrique n’est pas outillé pour les accompagner. «Il y a un certain travail qui doit être fait par des professionnels!»

Madame Tout-le-Monde

Le dialogue est difficile avec le reste de la communauté noire. Quand elle fait des présentations dans les groupes communautaires, il n’est pas rare que Patricia Jean se fasse insulter: «Tu n’as pas honte, c’est sale, ce que tu fais!», se fait-elle dire. «On ne veut pas les changer, ils ont droit à leurs opinions, mais on veut leur faire comprendre les conséquences de ces opinions, de l’homophobie, sur les jeunes!»

Les modèles

Les gais de la communauté ont besoin de modèles pour valider leur existence et, surtout, sortir de leur isolement. «Tous les enfants ont des héros, mais si ces héros ne sont que des hommes, blancs, hétéros, jamais ils ne pourront se visualiser autrement!»

Les alliés

La communauté gaie a besoin d’alliés, que ce soit chez les leaders spirituels ou encore chez les hétéros africains et caribéens. «Le message d’amour de Dieu, il n’y a pas qu’un groupe qui le mérite, mais tous les groupes, insiste Yves Ulysse. Et si les hétéros pouvaient verbaliser haut et fort leur tolérance, cela permettrait de faire une énorme différence.»

Les pays arabes

Imaginez un peu une association où le président réclame de rester dans l’ombre, ne parle que sous le couvert de l’anonymat, n’exhibe jamais la moindre photo et où ses membres ont peur de se rencontrer, de peur de croiser une connaissance et d’être, du coup, démasqués. C’était le cas d’Helem Montréal, jusqu’à tout récemment.

Le groupe de défense des droits des LGBT des pays arabophones existe à Montréal depuis 2004. Et les premières années, il était pour ainsi dire fantôme.

«Pendant longtemps, aucun membre ne voulait s’afficher. On ne mettait aucune photo sur notre site. Que nos prénoms. Et puis, petit à petit, j’ai fini par donner mon nom au complet», raconte Rémy Nassar, le président, qui s’affiche, dix ans plus tard, enfin fièrement. Sa peur? «Que ça se rende jusqu’à ma mère, au Liban», explique-t-il sans détour.

Élevé dans la plus pure tradition libanaise, à coups de «sois un homme, marche comme un homme, parle comme un homme», Rémy a mis 30 ans avant de dire à sa mère qui il était réellement. Et encore aujourd’hui, quand il retourne chez lui, son homosexualité, «on n’en parle pas. Ce n’est pas un sujet.»

Non seulement l’homosexualité est criminalisée dans bon nombre de pays arabes, mais en prime, «la société est très genrée, poursuit-il. Une femme doit être féminine, soumise à son homme. L’homme doit rapporter l’argent et avoir le dernier mot sur sa femme. Si la femme n’est pas féminine, l’homme pas masculin, ça ne colle pas, ils sont marginalisés.»

Ils sont donc très peu nombreux à ainsi oser se «marginaliser». Même ici, à Montréal. La preuve: quand il participe à des activités de sensibilisation dans les écoles, Rémy se fait encore demander, par des jeunes éberlués: «T’es libanais? T’es homo?» Oui, ça se peut. Et quand on sait que le Québec compte plus de 100 000 personnes qui s’identifient comme Arabes (selon le plus récent recensement), on peut imaginer qu’ils sont sans doute plusieurs milliers comme Rémy à vivre pour la plupart dans l’ombre, à cause du tabou immense qui continue de peser sur leur réalité.

«Dans notre culture, la sexualité dans son ensemble est tabou, explique Rémy Nassar. On commence à peine à voir des french kiss à la télé. Dans les scènes de couple, les femmes sont couvertes jusqu’au cou. Il commence à y avoir des rôles d’homosexuels au cinéma, mais c’est très rare. Et les acteurs qui les jouent mettent leur carrière en péril…»

Cinq défis de la communauté

S’afficher

Connu dans la communauté LGBT de Montréal, Helem est totalement méconnu du reste de la population arabe. «Il faut être public! C’est important parce que sinon, les gens n’ont pas de modèle, ils se sentent seuls, signale Rémy Nassar. C’est notre plus gros défi.»

Les réfugiés

Helem manque de ressources et d’outils pour accompagner les réfugiés ou demandeurs d’asile. Et les cas sont parfois très lourds: des gens suicidaires ou en crise existentielle, littéralement, pour des raisons de religion. «Mais nous n’avons pas les connaissances théologiques requises pour débattre avec eux.»

Les jeunes

«Il faut aller dans les écoles, au secondaire, les universités, pour aider les jeunes le plus tôt possible et changer les mentalités le plus tôt possible», poursuit Rémy Nassar. Plusieurs familles immigrantes ont gardé les valeurs de leur pays, au moment où elles l’ont quitté. «Alors, on est où était le Québec il y a 50 ans», avec la même pression de la religion, des valeurs familiales, et du sacro-saint «qu’en-dira-t-on?».

La réalité ethnique

C’est indéniable, la réalité LGBT des communautés ethniques est radicalement différente de la réalité LGBT du reste des Québécois. Or, il faut la faire connaître, croit Rémy Nassar. Sinon, impossible de la comprendre, de saisir l’ampleur des enjeux. Pensez-y: un gai arabe se sent en conflit avec sa propre foi. S’il a peur de s’afficher, c’est parce que même à l’autre bout du monde, ses proches pourraient être persécutés. Le saviez-vous, vous? «Les amis peuvent perdre leur emploi, le petit frère peut être persécuté.»

Les réseaux sociaux

Immense défi pour la communauté LGBT arabophone: la crainte des réseaux sociaux. En Égypte, les policiers font une véritable chasse aux sorcières sur les réseaux sociaux, se faisant passer secrètement pour des homosexuels, pour ensuite mieux les arrêter. «Les gens sont très méfiants, signale Rémy Nassar. Nous, on ne peut mettre aucune photo de nos activités sur Facebook, les gens ne peuvent pas s’afficher!»

L’exception juive

Le saviez-vous? Il y a une femme, rabbin, lesbienne, à Montréal. Parce que non, contre toute attente, l’homosexualité n’est pas vraiment un enjeu pour les juifs.

Nous n’avons malheureusement pas pu la rencontrer, sa fille étant malade le jour prévu de notre entretien. Sachez tout de même qu’elle siège en prime au C.A. de Ga’ava, l’organisme de défense des droits de la communauté LGBT juive, à Montréal.

Bien sûr, dans les familles plus orthodoxes, la question de l’homosexualité doit être problématique. Comme dans toutes les familles orthodoxes du monde, en fait. «Au même titre que dans les communautés chrétiennes plus orthodoxes», fait valoir Carlos A. Godoy, président de Ga’ava.

Même si la Torah énumère plusieurs interdits sexuels, dont l’homosexualité, qualifiée «d’abomination», les juifs sont par ailleurs encouragés à réfléchir au sens des textes sacrés. «On nous encourage à chercher nos propres réponses», poursuit Sarah Bercu, ex-membre du C.A. de Ga’ava. D’où le côté «évolutif» de la religion.

«Peu importe qui tu aimes, l’important, c’est d’aimer», a dit un jour un rabbin orthodoxe, dont les paroles sont régulièrement rapportées.

Ron Ze’ev Bergman, un jeune artiste, en sait quelque chose. Son oncle, quoique orthodoxe, a été le premier de sa famille à l’accepter. «Parce qu’à la fin de la journée, ce qui compte, c’est d’être une bonne personne.»

Autre explication à la relative ouverture des juifs à l’homosexualité: la diversité de la communauté. «Il y a les ashkénazes, les séfarades, les juifs éthiopiens, russes, reprend le président. Certains sont ici depuis des générations.» Alors non, poursuit-il, la plupart du temps, l’homosexualité n’est pas plus un enjeu que dans n’importe quelle autre famille québécoise.

Et chez les hassidim? «Ils vivent en retrait de la grande communauté juive. Certainement que ce doit être difficile pour un jeune hassidim, ils n’ont aucun modèle, c’est clairement un défi pour nous. Mais cela fait partie des défis posés par une communauté qui s’est isolée.» À noter, les hassidim ne représentent que 12% de la communauté juive.

Par Silvia Galipeau
lapresse.ca