Ce vendredi au menu des Francophonies : cœur de colin d’Alaska et histoires africaines. Ce sont les élèves du lycée Léonard Limosin à Limoges qui ont goûté le 27 septembre à quatre pièces de théâtre écrites spécialement pour eux; Et les auteurs ont partagé avec eux aussi le poisson (beaucoup moins pimenté) à la cantine scolaire. Récit d’une aventure théâtrale pas comme les autres, nommé « Cahier d’histoires #3 ».
Les rideaux sont fermés, les chaises alignées. Dès que la sonnerie marque la fin du cours, les élèves prennent d’assaut la salle de classe transformée en lieu de théâtre. Qu’est-ce qui se passe quand une femme, après vingt ans de mariage, déclare à son mari qu’elle le quitte pour vivre une histoire d’amour avec une collègue, également enseignante au lycée ?
La Déclaration de l’auteur béninois José Pliya enchaîne les intrigues bien ficelées, nous fait balader entre réalité et fiction, mais ne donne pas de réponse. Par contre, à l’issue du spectacle, les lycéens qui ont assisté à la pièce sont unanimes : Oui, le vieux couple en naufrage, cela leur rappelle beaucoup leurs parents. Non, ils ne peuvent pas s’imaginer qu’une de leurs professeures au lycée quitte son mari pour vivre une relation homosexuelle. Mais d’en parler, n’est pas un problème. « Une pièce sur l’homosexualité, ce n’est pas choquant. On est dans l’âge de comprendre certaines choses » affirme Nathan, 15 ans, et Erika, 16 ans, déclare : « Avec le mariage pour les homosexuelles, cela fait partie d’actualité. Parler de l’homosexualité, c’est de moins en moins tabou entre les adolescents. C’est devenu beaucoup plus libre. »
«Tout de suite, c’était un autre lycée »
Une pièce de théâtre de vingt minutes, un thème imposé, écrit pour être présentée et discutée à l’intérieur et dans l’intimité d’un lycée. Voilà le cahier de charges du projet « Cahier d’histoires » qui est à son troisième numéro. Bernard Voisin, professeur de sciences économique et sociale, s’occupe du théâtre au lycée Léonard Limosin : « Cela permet à des élèves qui n’iraient jamais dans un théâtre de commencer à voir des gens sur scène. Ils voient comment leur milieu de vie peut être transformé par trois ou quatre petites choses, par un événement qui arrive chez eux. Par exemple, ce matin, le petit décor posé dans la cour du lycée a suffit pour nous transporter en Afrique. Tout de suite, c’était un autre lycée. »
Trois lycées de nature très différente dans trois départements de la région Limousin participent au Cahier d’Histoires. Après des auteurs français et maghrébins, cette année, c’est le tour des histoires d’Afrique noire pour aborder des sujets aussi complexes et essentiels comme la politique, l’amour, la mort ou le désir d’ailleurs.
«Où est passé le temps ? »
Et c’est toute une histoire quand Gustave Akakpo demande : Où est passé le temps ? Tout d’un coup un homme un peu perdu se retrouve dans la cour du lycée face à un militaire venu avec sa mobylette et son drapeau togolais. Avec une langue bien scandée, habitée de révolte et colère, Akakpo plonge les jeunes du lycée dans l’histoire de son pays, le Togo. Akakpo avait 17 ans quand deux jeunes garçons ont été abattus par les militaires parce qu’ils voulaient déboulonner la statue en bronze du général Eyadéma. C’était le 5 avril 1991. Depuis, la démocratisation du Togo n’a toujours pas fait les progrès espérés, explique Gustave Akakpo aux jeunes : « Je suis pessimiste sur la situation au Togo, parce que la réalité est pessimiste. Mais de voir cette réalité en face me donne aussi l’énergie pour agir. Je vois des choses comme un pessimiste et j’agis comme un optimiste. »
Une pièce qui parle d’émeutes au Togo, de la Banque mondiale ou des slogans comme « Travailler plus avec de moins en moins de moyens » est-ce une pièce qui parle aux lycéens ? « Oui, cela me parle, répond Tom, 16 ans. C’est la situation actuelle au Togo, mais aussi dans le monde. C’est quelque chose qui nous touchent et je sais que le défi de la prochaine génération va être à remédier à cela. » « Grâce à cette pièce, j’ai appris beaucoup de choses sur ce pays, explique Justine, 15 ans. Et maintenant, cela m’intéresse, parce que je sais ce qui s’est passé. » Et Jacob, 14 ans, remarque : « A l’école on nous apprend qu’en Afrique, ils sont pauvres, il y a des manifestations etc., mais je n’ai jamais su cette histoire de deux jeunes qui ont été tué, parce qu’ils ont essayé de renverser un monument. »
Un os de mouton, porté au cou
Quant à Penda Diouf, née en France, d’un père sénégalais et d’une mère ivoirienne, elle a écrit un texte autour de la mort. Une pièce conçue pour une salle de classe en Limousin : « J’ai intégré cette salle de classe dans ma pièce. Ainsi, les lycéens deviennent presque des comédiens qui participent au spectacle. Ils font partie de l’écriture et du spectacle. Dans la pièce, ils sont transformés en élèves sénégalais. » Le symbole parle de l’histoire d’un garçon puni au lycée qui a du porter le symbole. Une marque infamante, un os de mouton, qu’il doit porter autour du cou, parce qu’il a parlé sa langue d’origine, le wolof, au lieu de parler français. A la fin de la journée, l’enfant est mort. « Présenter cette pièce dans une salle de classe, cela apporte beaucoup. Cela casse cette idée de « quatrième mur » entre la salle et la scène avec des comédiens inaccessible. Il y avait une vraie proximité. Cela crée du lien. »
Par Siegfried Forster