L’homosexualité : Un frein pour un citoyen, européen ou nord-américain, qui souhaiterait embrasser une carrière politique ?

Si, pour la grande majorité des homosexuels, hommes ou femmes, il est encore douloureux, voire impossible, de faire leur coming-out, qu’en est-il de ceux qui gravitent dans les plus hautes instances de l’État, et dont les moindres faits et gestes sont sujets à controverse, en proie aux radars des médias avides de scandales ?

Sébastien Chauvin, sociologue et fondateur du centre de recherche sur le genre et la sexualité d’Amsterdam, répond aux questions de « L’Orient-Le Jour » : Homosexualité et politique… un mariage de moins en moins détonant !

Dès l’époque des pharaons, certains grands pontes du pouvoir, hommes comme femmes, étaient homosexuels. Or, à partir du Moyen Âge, en Europe, la répression était telle qu’il n’était pas admissible d’avouer son penchant pour le même sexe. Ce n’est qu’à partir des années 70, à l’époque de la célèbre figure du militantisme progay, devenue homme politique, l’Américain Harvey Milk, que l’image si rigide des élus s’est assouplie.

Mais qu’en est-il de nos jours ? Est-ce que le fait d’être homosexuel reste un frein pour un citoyen, européen ou nord-américain, qui souhaiterait embrasser une carrière politique ?

Sébastien Chauvin explique qu’à la différence d’il y a quelques années encore, les politiques gays ont « de moins en moins à se prétendre hétérosexuels, par exemple en se mariant avec une personne de l’autre sexe ou en mentant sur leur vie privée ». D’autre part, « la dissimulation elle-même est devenue plus difficile, car les carrières politiques impliquent de plus en plus de mettre en avant sa famille et de mettre en scène sa vie intime, du moins une version acceptable de celle-ci ». Pour le sociologue, le phénomène, qui tend à rendre le « placard » plus « douloureux », est en quelque sorte « une invitation au coming-out ». La sortie du placard, en général, est « un acte politique, mais celui des personnages publics l’est encore plus puisque sa portée est décuplée », confirme M. Chauvin.

L’Europe est-elle en avance sur ce sujet par rapport aux États-Unis ? Il s’avère que les choses « vont très vite sur les deux continents », explique le sociologue. « Mais ni l’Europe ni les États-Unis ne sont faits d’un seul bloc. Il est assurément plus facile d’être un homme ou une femme politique gay dans les pays du Nord, comme les Pays-Bas, et plus difficile dans des pays comme l’Italie, la Grèce ou le Portugal. » M. Chauvin cite à titre d’exemple l’électorat néerlandais qui se montre « très ouvert ». « Une comparaison est frappante à cet égard : les enquêtes européennes récentes montrent que, sur les questions d’orientation sexuelle, les musulmans des Pays-Bas, pourtant stigmatisés comme conservateurs dans le pays, sont nettement plus progressistes que les populations italiennes ou grecques prises dans leur ensemble. »

Si on inspecte le cas américain, il y a « des contrastes entre ce qui est possible dans le Parti démocrate et dans le Parti républicain, même si ce dernier est de plus en plus divisé. Il y a aussi des différences régionales : il est plus facile d’être un élu gay dans le Vermont ou en Californie que dans l’Oklahoma. Au niveau fédéral, on n’est sans doute pas près de voir un président ouvertement gay ou une présidente ouvertement lesbienne ».

Pas assez nombreux pour former un lobby

Les sociétés ont évolué face à l’homosexualité. Le monde politique a précédé cette évolution ou lui a emboité le pas. « En réalité, dans bien des cas, ce sont les élites politiques qui sont en retard sur l’opinion. C’est ce qu’a fait remarquer récemment le sociologue Éric Fassin en France », relève M. Chauvin. En outre, « tant que la société est conservatrice, les élites peuvent justifier leur frilosité en se réclamant de l’opinion. Mais lorsque, comme sur les questions sexuelles, la société évolue plus vite que les élites, c’est le conservatisme propre de ces dernières qui éclate au grand jour », fait-il valoir.
Si le milieu artistique reste le plus ouvert vis-à-vis des homosexuels, est-ce que le milieu politicien est en train de le devenir également ? Pour Sébastien Chauvin, ce n’est pas le cas. Selon lui, les hommes politiques, s’adressant à un public plus large, « doivent se faire élire et donc ne pas heurter ce qu’ils croient être les sensibilités de leur électorat ». Mais, explique-t-il, les convictions des élites politiques sur le système de valeurs de leur électorat sont « souvent autoréalisatrices car elles les conduisent à orienter leurs discours et leurs silences d’une manière qui renforce le conservatisme en lui donnant autorité ».

Les hommes ou femmes politiques qui affichent ouvertement leur homosexualité forment-ils un lobby, afin de faire évoluer certaines législations ? La réponse du sociologue est sans appel : « Il n’y en aurait pas assez pour faire un lobby ! »

Car « ces hommes et ces femmes politiques se battent parfois pour des valeurs d’égalité, mais ils sont loin de tous en faire une priorité. De plus, il s’agit la plupart du temps de combats et de débats politiques ouverts et publics plutôt que des négociations de couloirs qu’on associe parfois au mot lobby ».
Rappelant la préparation de la loi sur le mariage pour tous en France, le chercheur explique que les auditions télévisées de spécialistes à l’Assemblée nationale étaient « une première dans l’histoire de la République ». Et « si ces valeurs d’égalité peuvent parfois triompher, c’est parce qu’elles résonnent avec une frange beaucoup plus large de la population et des élites politiques, bien au-delà des gays et des lesbiennes ».

Concernant les « outing » (le fait de révéler l’orientation sexuelle d’une personne contre son avis) d’hommes politiques par un certain type de médias, comme ce fut le cas très récemment pour Florian Philippot (Front national – voir encadré), pourquoi l’opinion publique est-elle si choquée que certains révèlent un aspect de la vie privée, alors que pour celle des politiques hétérosexuels, le tollé est moindre ? Est-ce une façon de marginaliser davantage les homosexuels ?

Le sociologue estime qu’on « s’oriente peu à peu vers une égalité de traitement en la matière ». Mais « la causalité est circulaire ». En effet, tant que « les relations homosexuelles ne sont pas considérées aussi dignes que les relations hétérosexuelles, et tant que les élites politiques seront considérées comme hétérosexuelles sauf mention contraire, le fait de relater des éléments biographiques gays sera considéré comme un « outing », contrairement aux éléments hétérosexuels », explique-t-il. Cependant, Sébastien Chauvin rappelle que « l’inverse est aussi vrai : le fait que les personnages publics soient encore amenés à mentir sur leur orientation sexuelle ou à la dissimuler contribue à faire perdurer l’inégalité de dignité et de visibilité. Les deux aspects ne peuvent évoluer qu’en même temps ».
Le sociologue émet l’hypothèse que le jour, « qui n’est sans doute pas loin », où la « simple évocation d’une orientation sexuelle minoritaire n’aura plus d’effets politiques notoires », le « outing n’en sera alors plus un… et deviendra alors paradoxalement plus acceptable et moins intéressant ».

De Labarrère à Philippot : à gauche, comme à droite…

En France, dans les plus hautes sphères de l’État comme dans l’opinion publique, la question de l’homosexualité des personnages politiques est régulièrement évoquée. En décembre dernier, le outing (fait de révéler contre son gré) sans merci du vice-président du Front national (FN) Florian Philippot, réalisé à partir de clichés volés et publiés par le magazine people Closer, a défrayé la chronique.
Dans une interview à L’Express, Yannick Barbe, directeur de la rédaction du magazine Têtu, a déclaré que le outing de Florian Philippot revêt une « importance politique » car « on prête (au politicien) une influence dans le fait que Marine Le Pen n’a pas défilé aux côtés d’autres figures du FN dans les rassemblements de la « Manif pour tous » » qui reste toutefois « à démontrer ». C’est bel et bien à cause de l’appartenance politique de ce dernier, dont le parti a toujours stigmatisé les minorités et est ouvertement homophobe, que l’opinion a été déconcertée. Pourtant, il s’avère qu’il n’y a pas plus d’homosexuels de gauche que de droite. Jean-Marie Le Pen est d’ailleurs intervenu la semaine dernière sur BFM TV, fustigeant la « colonisation » du mouvement de droite par « Philippot » et « ses amis ».

Mais l’un des tout premiers politiciens homosexuels à se déclarer comme tel a été l’ancien maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques), André Labarrère, qui, par ailleurs, a été un grand ami du président du FN à l’époque où ils foulaient tous deux les pavés de la Sorbonne. L’élu s’amusera d’ailleurs de cette « amitié » et confiera même à Claude Perrotin , auteur de l’ouvrage La Passion d’un élu : « Jean-Marie Le Pen, je l’ai très bien connu, je peux même dire… très, très bien. » Nous n’en saurons pas davantage…

Quelques années plus tard, c’est au tour de Bertrand Delanoë (PS) de faire un coming-out on ne peut plus médiatique. C’était en 1998, sur les plateaux de la chaîne de télévision M6, au cours de l’émission « Zone interdite ». Lors de l’interview, le journaliste lui demande pourquoi accepter aujourd’hui de révéler cet aspect de sa vie. Bertrand Delanoë répondra : « Je sais qu’il y a dans notre société des millions de femmes et d’hommes qui vivent mal cette discrimination, le fait qu’ils ont l’impression de ne pas être tout à fait égaux, et puis que parfois aussi, dans leur vie familiale, personnelle, ça pose beaucoup de problèmes. (…) Peut-être que je suis assez banal pour que le fait qu’on sache que je suis homosexuel, ça puisse rendre les choses plus simples pour d’autres gens, je n’en sais rien… En tout cas, c’est dans cet esprit que je le fais. » Ces révélations ne l’empêcheront pas d’être élu deux fois d’affilée à la mairie de Paris.
Frédéric Mitterrand, neveu de l’ancien président socialiste François Mitterrand et ministre de la Culture et de la Communication sous Sarkozy, divulguera son homosexualité dans son livre La Mauvaise Vie. Personnalité charismatique et provocante, il fera de cet ouvrage son exutoire, lassé de « me mentir à moi-même ». Durant deux ans, il animera « Ça s’est passé comme ça » sur la chaîne communautaire homosexuelle Pink TV.
S’ensuivront quelques autres, tels que Roger Karoutchi (UMP), Thierry Meyssan (Parti radical de gauche) ou Jean-Luc Romero (UMP).

Seule une femme politique, en revanche, ne fera pas mystère de son homosexualité. Françoise Gaspard (PS), sociologue féministe, a également été maire d’une commune d’Eure-et-Loir, ainsi que députée européenne et conseillère régionale. En mars 2000, son pacs avec sa compagne de plus de 20 ans, la journaliste Claude Servan-Schreiber, est annoncé dans le journal Le Monde. En 2006, elle codirige avec le professeur Bruno Perreau le premier cours français sur l’homosexualité destiné à des étudiants de premier cycle universitaire de Sciences Po.

Le « oui » du Premier ministre du Luxembourg à son compagnon ; une personne du même sexe.

« Oui » ! La semaine dernière, Xavier Bettel a été le deuxième chef de gouvernement homosexuel européen, après la Première ministre islandaise Johanna Sigurdardottir (en 2010), à s’être uni par le mariage à une personne du même sexe devant un représentant de l’état civil. Si la nouvelle n’a rien d’exceptionnel en soi, elle est toutefois la preuve concrète que les reformes en la matière, adoptées par les gouvernements, ont répondu aux désirs de leurs citoyens. Et ce jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir politique.
À ce jour, seuls 20 pays disposent d’une législation rendant accessible le mariage aux couples de même sexe. Alors qu’au Moyen-Orient, les couples gays se terrent dans le secret de peur de finir en prison, voire pire, être condamnés à mort, le mariage de M. Bettel a semblé presque « banal » en Europe.

Moins d’un an après l’adoption de la loi en faveur du mariage entre personnes du même sexe, le Luxembourg, pays de tradition catholique, donc conservateur, voit, en la personne de son Premier ministre, le signe d’une évolution majeure de la société. Xavier Bettel devient également le premier dirigeant uni par les liens d’un mariage homosexuel dans l’Union européenne. À 42 ans, le chef du gouvernement a épousé Gauthier Destenay, un architecte belge avec lequel il est lié par un contrat d’union civile depuis 2010. Au Los Angeles Time, il avait alors déclaré : « Il m’a demandé, et j’ai dit oui. »
Celui qui met un pied en politique à l’heure où d’autres passent encore le brevet (à 15 ans, il devient le plus jeune homme politique membre du Parti démocrate, en 1988), grimpera les échelons sans difficultés. Après des études de droit et en sciences politiques, puis une année Erasmus en Grèce où il suit des cours en droit maritime et en droit ecclésiastique, son plan de carrière se voit tout tracé.
D’abord bourgmestre (maire) de Luxembourg de 2011 à 2013, il est nommé chef du gouvernement fin 2013, après 18 ans de « règne » de Jean-Claude Juncker, le chef du Parti chrétien-social. Cette formation était au pouvoir quasiment sans interruption depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le nouveau Premier ministre prend la tête d’un gouvernement de « grande coalition », dit gouvernement Bettel-Schneider, réunissant les libéraux, les socialistes et les écologistes.

Le jeune libéral a toujours milité pour le mariage homosexuel et n’a jamais dissimulé son homosexualité à ses compatriotes. Dans une récente interview à la télévision belge, il déclare : « J’aurais pu la cacher ou la refouler et être malheureux toute ma vie. J’aurais pu avoir une relation (déclarée) avec quelqu’un de l’autre sexe et avoir des rapports homosexuels en cachette. Mais je me suis dit : si tu veux faire de la politique et être honnête en politique, tu dois être honnête avec toi-même et donc t’accepter toi-même. »
Selon plusieurs sondages, Xavier Bettel est l’une des personnalités politiques les plus appréciées par les Luxembourgeois.

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