S’il faut du temps pour qu’une société puisse vraiment s’engager contre l’intolérance et la haine, il serait peut-être déjà nécessaire de commencer par amender l’article 534 du code pénal, qui a été récemment utilisé par les responsables d’un poste de police à Beyrouth pour appréhender samedi dernier 27 personnes dans un hammam de Hamra (Hammam el-Agha), dont une vingtaine sont d’ailleurs toujours en détention, accusées de « pédérastie » (« liwat »).
Pour maître Nizar Saghieh, avocat et directeur exécutif de l’Agenda juridique, « la progression la plus importante sur ce sujet a été faite au niveau de la justice, avec deux magistrats refusant d’appliquer l’article 534 du code pénal pour condamner des homosexuels, estimant qu’une relation homosexuelle n’est pas une relation contre nature ». « En effet, explique M. Saghiyeh, la loi n’a pas défini ce qui est contre nature, comme si la législation a délégué au juge le pouvoir d’interpréter le texte à sa façon. Tout dépend donc du juge, et nous avons besoin de cumuler des décisions judiciaires similaires pour changer la loi et la rendre désuète, de sorte qu’elle ne peut plus être appliquée à des homosexuels. C’est le seul moyen de faire avancer les choses, car espérer un amendement de la loi au Parlement à l’heure actuelle est presque impossible et même inimaginable pour des raisons politiques et même religieuses. »
Le temps « des prises de position courageuses »
Commentant le raid effectué samedi sur Hammam el-Agha, Nizar Saghiyeh a assuré que l’arrestation était illégale puisque la peine purgée selon l’article 534 ne peut dépasser un an de prison, ce qui donne le droit aux suspects de rester en liberté jusqu’à ce qu’ils soient déférés devant le juge. « Il s’agit donc d’une première infraction de la loi surtout que l’arrestation s’est faite de façon sommaire et que le propriétaire du hammam, les employés et la clientèle ont tous été arrêtés alors qu’ils ont tous des situations légales différentes. Le procureur général a manqué de nuances », ajoute l’avocat, qui note une différence entre les juges et les procureurs généraux « qui sont moins indépendants et qui représentent généralement la classe politique ».
En effet, les 27 détenus avaient été arrêtés au poste de police de Hobeiche pendant plus de 4 jours avant que des mandats d’arrêt soient également émis contre eux. 6 détenus ont pu alors quitter la prison sous caution alors que le restant des détenus avait été transféré à la prison de Zahlé, n’ayant pu payer la somme requise pour la caution. Les 27 homosexuels seront tous jugés aujourd’hui à Beyrouth et devraient écoper d’une amende que l’ONG Helem va pouvoir payer après une campagne de collecte de fonds lancée sur les réseaux sociaux. Les 27 personnes avaient par ailleurs avoué être homosexuelles et le contenu de leurs téléphones portables avait certifié « ce crime ».
« Même l’article 534 ne condamne pas l’orientation sexuelle, rappelle Nizar Saghiyé. Si quelqu’un avoue qu’il est gay, on ne peut pas l’arrêter. Il faut qu’il y ait un acte et qu’il soit prouvé. Voilà une autre infraction commise lors du raid du hammam. » Et d’ajouter : « Certains ont également été condamnés selon l’article 531 pour atteinte aux bonnes mœurs, mais cela pourrait par exemple être appliqué si une relation sexuelle a été faite en public, et encore faut-il le prouver ! Nous traversons une période difficile où l’intolérance se répand partout dans la région. Nous attendions de l’État qu’il envoie un message de tolérance. Ce qui a été fait n’est pas digne d’un État, ce n’est pas de cette manière que l’on traite des minorités. L’État adopte malheureusement la même idéologie que ceux qu’il tente de combattre, et il est temps de voir des prises de position courageuses de la part de nos responsables à ce sujet. »
Une levée de boucliers religieuse
Si Nizar Saghiyeh assure que le Parlement n’est pas la bonne voie pour arriver au changement voulu, le député Ghassan Moukheiber, rapporteur de la commission parlementaire des Droits de l’homme, a également estimé qu’« il serait inopportun de tenter une modification législative actuellement », et que « ce n’est pas le moment de proposer un tel projet ». « Ce serait malvenu connaissant l’ambiance du Parlement, surtout que ce sujet dépend beaucoup des autorités religieuses qui ont étendu leur emprise et leur influence et qui refusent toute acceptation de l’homosexualité, ajoute M. Moukheiber. En commission parlementaire, j’ai vu combien il est difficile de faire passer la loi sur la violence contre les femmes. On a dû faire face à une levée de boucliers religieuse et ce sera encore plus difficile avec l’homosexualité. »
Et de poursuivre : « Je crains que toute tentative de modification de la législation conduise à un texte plus répressif, alors qu’une certaine jurisprudence avait interprété le texte correctement de manière restrictive contrairement aux pratques policières répressives. Ces pratiques policières ont même été dénoncées par l’ordre des avocats et l’ordre des médecins qui ont assimilé le test anal à la torture. »
« L’histoire a montré comment certaines lois, comme la loi sur la liberté de l’association, régresse au lieu d’évoluer, explique le député. Depuis 1909, cette loi devient de plus en plus mauvaise et restrictive. Il faut donc laisser faire une pratique jurisprudentielle plus libérale. Il faut également réaliser que la société libanaise est fondamentalement influencée par l’éthique religieuse. Le changement de la loi ne peut venir que dans la foulée d’un changement social. »
>> BEIRUT: Lebanese NGOs Wednesday called for the immediate release of 27 men who were detained on charges of being gay after police received a tipoff that a group of men were at a Turkish-style hammam in a Beirut neighborhood.
On Aug. 9, a unit with the judicial police’s Moral Protection Bureau raided the Agha hammam after a detainee told police at the Hbeish police station in Hamra that gay men sought “sexual encounters with other men” there, the NGOs said in a joint statement.
Police arrested the owner of the hammam, the employees and several clients. All clients remain in custody at the detention center, the statement said, quoting a colonel at the police station.
The case was referred to prosecutor Bilal Dinnawi, who informed the NGOs that the prosecution “is not interested in charging the detainees” under Article 534, but that they could be charged for public indecency.
The NGOs also said that the colonel informed them that none of the detainees were subject to physical or verbal abuse, or the anal exam, a widely discredited “test” for homosexuality, which remains a criminal offense in Lebanon.
“We made contact with the detainees who expressed their discomfort and confusion regarding the process of the investigation and the charges. It has also come to our attention that at the time of the raid no public sexual act was taking place at the Agha hammam, and the investigation at the police station revolved mainly around the detainees’ alleged (homo)sexuality,” the statement said.
“We denounce this incident as a case of homophobic practice that aims to police the sexual rights and liberties of the individuals involved and we call on the General Prosecutor and Hbeish police station to respect the dignity of the detainees and their rights to their (sexual) bodies,” it added.
“We call for the immediate release of all the detainees from under charges which violate their sexual and bodily rights and integrity.”
The statement was a collaborative work of Helem, Arab Foundation for Freedom and Equality (AFE), M-Coalition, Marsa Sexual Health Clinic and the Lebanese Medical Association for Sexual Health (LebMASH).
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Béchara MAROUN | OLJ