Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je suis Giovanni Crochet-Leducq. Né à Amiens, j’ai vécu mon enfance à Méaulte pour partir à Bray-sur-Somme à l’âge de 12 ans. J’ai quitté la Picardie à 18 ans pour m’installer à l’étranger puis entrer au séminaire pour faire des études de prêtre. J’ai fait une licence de théologie à Metz et ensuite j’ai quitté le grand séminaire de Metz pour entrer au monastère, où j’ai été moine cinq ans. J’ai fait mon noviciat à Paris avant d’être envoyé au Canada, à Montréal, où j’ai travaillé sur le projet de canonisation du frère André, très connu là-bas. Actuellement, je travaille dans la restauration, rue de la Gaieté à Paris, où il y a énormément de théâtres donc je côtoie les comédiens. J’ai moi-même été un peu dans ce milieu puisque j’ai été strip-teaseur avant d’entrer dans les ordres et j’ai travaillé comme danseur au Paradis latin à Paris.
Comment avez-vous vécu la monopolisation du paysage médiatique par le mariage homosexuel ces derniers mois ?
On a trouvé que c’était un petit peu fort. Et on a été très surpris par les Français qui sont si socialistes, dans le sens social, des gens qui veulent que tout le monde ait les mêmes droits, notamment avec le vote des étrangers… Je trouve que les Français sont des gens assez généreux et ouverts. Qu’ils puissent être aussi fermés sur ce genre de sujet, en condamnant fermement cette avancée, c’est choquant pour nous qui sommes des êtres normaux, appelés à la paternité, comme tout être humain, et au mariage. C’est écrit aussi dans les évangiles : l’homme n’est pas fait pour vivre seul, il est fait pour être en couple. Et sur le sujet qui a fâché, sur les enfants, il faudrait aussi certains permis chez les hétéros !
Vous avez été moine cinq ans, militant sarkozyste, comprenez-vous les arguments des uns et des autres contre ce mariage ?
Aujourd’hui, je ne regrette pas mon cheminement. Très petit, je me sentais appelé à aimer et j’étais porté par les métiers du social jusqu’à ce que je me sente appeler à entrer dans les ordres. Mais dans la vie monastique, le célibat est un mariage. C’est pas comme quelqu’un qui vit un célibat non choisi. Ce n’est pas au séminaire ni dans la vie monastique que j’ai rencontré le plus la gentillesse, la tolérance, la charité. Par contre, l’hypocrisie, la jalousie entre séminaristes, les mesquineries, la méchanceté les coups bas, ça, chapeau ! Je les ai vécus de l’intérieur. Vivre religieusement, c’est très difficile, parce que c’est un monde qui ne veut pas se regarder en face. Quand j’ai quitté l’Église, j’avais annoncé mon homosexualité, mais c’est quelque chose qu’on ne devait pas dire, fallait le cacher. Vous pouvez aller dans tous les bordels de la capitale, mais faut pas le dire ! D’ailleurs, dans l’Église, ceux qui étaient contre le mariage, bien souvent, ce sont des homosexuels. Quand on ne veut pas être en phase avec sa sexualité, on va vers la déviance. J’ai été dans deux familles qui m’ont énormément déçu : l’Église et la droite.
Pensez-vous qu’évoluer dans le milieu du spectacle à Paris joue un rôle dans le fait que vous assumiez pleinement votre homosexualité et qu’à l’inverse, si vous étiez resté à Méaulte, vous ne seriez jamais allé jusqu’au mariage ?
Je pense que j’aurais cheminé pareillement vers l’amour. Il y a une belle communauté gay à Amiens, mais pas à l’époque.
Pourquoi est-ce si important de vous marier à Méaulte ?
C’est le terreau dans lequel j’ai grandi et c’est là aussi que j’ai découvert l’amour parce que j’ai été très accompagné. Mes parents ont divorcé quand j’avais 3 ans et mon père a eu la garde de deux enfants sur trois. Et il s’est créé autour de moi une générosité d’amour, par mes institutrices, le maire de l’époque aussi, qui était très proche de nous. Tous ces gens-là étaient formidables. J’ai eu une surdose d’amour. Maintenant, j’ai envie de dire aux gens : partager ce moment avec nous, pourquoi s’opposer à un acte d’amour ?
Propos recueillis par AUDE COLLINA