Depuis 15 jours, l’électron libre de la cause gay Louis-Georges Tin ne mange plus. Selon lui, il y a urgence à porter la cause de la dépénalisation de l’homosexualité devant les Nations-Unies. Portrait d’un militant en voie de radicalisation.
Louis-Georges Tin, 38 ans et des rondeurs, n’a jamais entrepris de régime. “Pas la motivation”. L’idée d’entamer une grève de la faim lui a été soufflée par les Grands Hommes. “J’ai pensé à Gandhi, Martin Luther King. Ils ont fait ça quand leur cause était désespérée.” Louis-Georges Tin réclame une résolution à l’ONU pour la dépénalisation de l’homosexualité dans le monde. “70 états poursuivent encore les homosexuels, dont 9 qui les condamnent à la peine de mort.” En 12 jours, Louis-Georges Tin a perdu 12 kilos et quelques illusions.
“Je suis déçu. On a eu très peu de couverture médiatique cette fois. J’ai appelé l’AFP, ils m’ont expliqué qu’ils attendaient toujours 7 jours avant de publier leurs dépêches sur les grèves de la faim. Ca fait 15 jours, toujours pas de dépêche… et on me dit que la journaliste qui gère ces questions est en vacances.”
Au téléphone, Louis-Georges Tin est resté courtois – toujours ; et il a ri jaune. « On est dans une course contre la montre ». Calmement, il explique son plan.
« Nous sommes allés voir François Hollande le 10 mai dernier, juste après son élection. On sait qu’il est sensible à la question de la dépénalisation de l’homosexualité. Pour qu’une résolution soit votée à l’ONU, il faut absolument que la France prenne l’initiative avant la présidentielle américaine de cet automne. Hillary Clinton est le moteur de la lutte, on doit s’allier avec elle… or elle quitte ses fonctions bientôt. François Hollande nous a entendu. »
Sa diplomatie de l’urgence, Louis-Georges Tin est bien seul à la défendre. Soutenu par les ONG et les associations de défense LGBT, le Quai d’Orsay suit une autre stratégie. « La France est en train d’encourager l’Afrique du Sud à présenter une résolution. C’est un pays capable d’entraîner d’autres états du Sud à voter pour la dépénalisation. Ca met plus de temps, parce que c’est une question qui touche à des préjugés culturels profonds dans certains pays. Mais on avance, mètre après mètre ! » explique François Zimeray, ambassadeur pour les droits de l’homme.
Louis-Georges Tin n’est pas convaincu. Le Quai d’Orsay se trompe, et François Hollande ne donne plus de nouvelles ; alors, ”la mort dans l’âme“, il jeûne dans l’indifférence générale. Louis-Georges Tin n’a pourtant pas pour habitude de faire des bides. Grande gueule de la cause noire (il est né en Martinique) et homosexuelle, diplômé de Normal Sup et prof à l’EHESS, l’activiste fonctionne à coup de coups d’éclats et d’arguments décalés. « Il a compris comment faire le buzz », reconnaît un responsable LGBT. « Son association, le comité IDAHO, est un puissant objet médiatique ». Louis-Georges Tin sait que la porte d’un cabinet ministériel s’ouvre plus facilement après une garde à vue médiatisée. En 2009, la méthode permet de faire reconnaître sa Journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie par le gouvernement Fillon.
« Mais ça n’est pas un agité du bocal, nuance Rama Yade. Subtil doseur d’agit-prop et de lobbying des hautes-sphères, « Louis-Georges Tin ne prêchait rien, il déroulait ses arguments». L’ancienne secrétaire d’Etat aux droits de l’homme en a entendu plus d’un. « Il est extrêmement insistant. Capable d’appeler tous les collaborateurs du Cabinet jusqu’à ce qu’on lui réponde ». A l’époque le pressing paie. Le 18 décembre 2008, une Déclaration relative aux droits de l’homme à l’orientation sexuelle et l’identité de genre, signée par 69 pays, est lue à l’assemblée générale de l’ONU. A la tribune, Louis-Georges Tin chante We shall overcome, dédicace aux militants des sixties. Le premier pas « historique » est porté au crédit de Rama Yade, propulsée ministre gay-friendly.
« Et pourtant, la question homosexuelle, c’était vraiment pas mon truc au départ… Je viens d’une famille très conservatrice, après ça je m’en suis pris plein la gueule au Sénégal. Mais c’est peut-être ce que j’ai fait de mieux », raconte avec nostalgie l’ancienne égérie de la diversité sarkozyste.
« Toute cette histoire a construit une sorte d’aura autour de Louis-Georges Tin », analyse le militant LGBT. « Il est convaincu d’être l’intermédiaire entre les politiques et les associations de défense LGBT ». Mais depuis quelques temps, la machine s’est grippée ; le dernier putsch de Louis-Georges Tin agace. « Il n’est pas question qu’on céde devant ce coup de force, tempête son interlocuteur au Quai d’Orsay François Zimeray. Louis-Georges Tin est un lobbyiste hors-pair – au bon sens du terme – que je respecte beaucoup. Mais là, sa grève de la faim, ça n’a aucun sens. On a juste un désaccord tactique, mais sur le fond on partage le même combat ! Si on suit son idée de leadership avec les Etats-Unis, on risque de rejouer le choc des civilisations. En matière de droits de l’homme, c’est le meilleur moyen de se planter. »
Un dialogue de sourd qui se poursuit au portable – Louis-Georges Tin et François Zimeray s’appellent encore. Louis-Georges Tin ne s’est d’ailleurs pas arrêté de vivre ; il milite encore un peu partout, envoie sa chronique au Monde des Livres, « simplement j’ai mal au ventre, et j’ai des courbatures partout. Il paraît que c’est normal ». Lit une bio de François Hollande, dans laquelle « son fils Thomas le décrit comme quelqu’un qui ne dit jamais non à personne». Qu’est-ce qu’il disait ?