Ludovic-Mohamed Zahed a grandi en Algérie et en France. En 2012, il a fondé, à Paris, une mosquée ouverte aussi bien aux hétérosexuels qu’aux homosexuels et parcourt le monde depuis pour prôner une interprétation plus libérale du Coran dans des séminaires et des conférences, et aider les musulmans homosexuels à concilier leur foi et leur orientation sexuelle.
Il n’y a pas « d’islam », explique l’imam dans un entretien sur le site d’information Spiegel Online, relayé par VSD : « On ne peut pas joindre Monsieur Islam et lui demander son avis. Nous sommes l’islam, nous concevons nous-mêmes notre foi. » Et, concernant les musulmans radicaux qui ne voient pas de place pour l’homosexualité dans leur représentation de l’islam ? « Ce sont des fascistes, qui persécutent les minorités religieuses et ethniques », répond Ludovic-Mohamed Zahed, références à l’appui : « Ça relève du contrôle, du pouvoir et de l’argent mais pas de la spiritualité. En période de crise, les fascistes gagnent toujours de l’influence. C’était comme cela sous les nazis et sous les communistes en Europe de l’Est. En Birmanie il y a bien des bouddhistes qui tuent des musulmans. Celui qui fait ça est un meurtrier, peu importe la religion à laquelle il appartient. Ça n’a rien à voir avec l’islam ».
Selon la charia, l’homosexualité est pourtant passible de sanctions…
« La charia est l’œuvre des hommes, et elle a toujours évolué au fil du temps. Nous n’adorons aucune loi, cela serait idiot et dogmatique. Nous devons comprendre le message spirituel que nous transmet le Coran. Or, il s’agit d’un message de tolérance et de paix. Dans le coran, il n’est écrit nulle part que l’homosexualité est blâmable. »
Mais si rien n’est écrit à ce sujet, cela laisse donc beaucoup de place à l’interprétation…
« Pendant des centaines d’années, l’islam a été tolérant vis-à-vis des personnes homosexuelles et transsexuelles. Le prophète lui même, que la paix soit avec lui, a pris position pour eux et les a protégés. Il a même accueilli chez lui des « Mukhannathun », c’est ainsi qu’on appelait les hommes efféminés à l’époque. Dans le Coran on retrouve d’ailleurs l’histoire de Sodom et Gomorrhe mais il est question de viol, et non pas d’homosexualité. »
Quand avez-vous compris que vous étiez homosexuel ?
« À l’âge de 17 ans, j’ai vu un show télévisé en Algérie, dans lequel dans homosexuels racontaient leur histoire. J’étais dégoûté mais en même temps soulagé. Enfin je savais quel était mon « problème ». Quatre ans plus tard, j’ai réuni ma famille et j’ai fait mon coming-out. Mon père n’était pas étonné. Mais ma mère a pleuré pendant deux mois et a essayé de me faire changer d’avis. Évidemment, ça n’a pas fonctionné. »
Concilier l’islam et votre homosexualité ?
« Pendant longtemps j’ai pensé que cela ne serait pas possible. Enfant, déjà, je voulais devenir imam mais après cinq ans d’école coranique je me suis d’abord détourné de la religion pendant sept ans. C’est à travers le bouddhisme que je suis revenu à la spiritualité. J’ai fait un pèlerinage jusqu’au Tibet et j’ai appris que chacun devait trouver son propre chemin. C’est alors que j’ai pensé que je pouvais peut-être aussi y arriver l’islam. J’étais étonné de voir à quel point ça s’est bien passé. »
Que disent vos parents aujourd’hui ?
« Ils ont bien compris que l’homosexualité n’était pas une maladie mais que si je suis homosexuel c’est parce qu’au fond de moi je suis homosexuel. Aujourd’hui, ils disent qu’ils sont fiers de moi. Mais et ça m’a demandé beaucoup d’énergie. »
Avez-vous peur d’attaques ?
« J’ai reçu des menaces mais j’ai reçu beaucoup plus de paroles de soutien. Parfois ceux qui me critiquent comprennent aussi que je ne veux pas provoquer mais que je défends un islam plus humain. Rien ne m’est arrivé jusqu’à maintenant et je suis chanceux et redevable de pouvoir Je n’ai pas peur de la mort, ce n’est qu’une autre forme de conscience. Mais j’espère que d’ici-là j’aurais fait bouger les choses. »
Propos recueillis par Heike Klovert