Le 13 juin, le ministre de la justice du Cameroun déposait sur la table des députés du pays un projet de loi portant sur le Code de procédure pénal, dont l’objectif était de « dépoussiérer » un document conçu il y a environ un demi-siècle. Celui-ci a été adopté par l’Assemblée nationale le 22 juin et par le Sénat le 29 juin.
Cette mise à jour intègre les conventions internationales ratifiées par le Cameroun : Convention des Nations unies contre la corruption, sur l’élimination de toutes formes de discrimination à l’égard des femmes, etc. Elle eut constitué un motif de satisfaction si l’Etat camerounais avait eu le souci de la cohérence et de la retenue.
Mais non. De la pénalisation de l’adultère à celle des locataires insolvables, ce projet est « un pot-pourri de dispositions outrageusement répressives », comme le déplore Yann Gwet, entrepreneur et essayiste camerounais, qui dénonce sur le site du Journal du Cameroun, des dispositions qui violent « la Constitution » :
Emblématique de la dérive liberticide qui le caractérise, à l’heure où le monde sèche ses larmes après le carnage homophobe d’Orlando qui a fait 49 victimes dans une discothèque gay de Floride le 13 juin, le Cameroun réaffirme ainsi son attachement à l’article 347.1 qui punit d’une peine d’emprisonnement « de six mois à cinq ans et d’une amende de 30 à 300 euros, toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe ».
L’homophobie compte au rang des passions camerounaises. Le gouvernement est donc ici en terrain favorable. Toutefois, avant d’être viscéralement homophobes, nous sommes avant tout des citoyens camerounais, qualité que nous partageons, ne nous en déplaise, avec nos compatriotes homosexuels. A ce titre, il importe donc de noter que le maintien par le Cameroun de cet article est une violation de la résolution 275 de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP), votée lors de sa 55e réunion à Luanda, et qui réclamait des Etats membres de l’Union africaine (UA) la protection des droits de tous, sans discrimination basée sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre.
Cet article est également anticonstitutionnel. L’article 26 de la Constitution camerounaise attribue en effet au pouvoir législatif la détermination des crimes et délits au Cameroun. Or l’article 347.1 est issu, non pas du Parlement national, mais d’une ordonnance signée par le premier président camerounais, Amadou Ahidjo, le 28 septembre 1972. Il viole donc le principe de la séparation des pouvoirs.
Cette même Constitution camerounaise stipule en son préambule que « le peuple camerounais affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l’homme et des peuples et toutes les conventions internationales relatives et dûment ratifiées, notamment aux principes suivants », parmi lesquels : « L’Etat assure la protection des minorités ». Pas de toutes les minorités, manifestement.
Insécurité juridique
Dans un tel contexte, le maintien de la pénalisation de l’homosexualité est une menace pour nous tous, car elle ne témoigne pas uniquement d’une homophobie d’Etat. Elle illustre aussi l’absence d’une culture du droit dans le pays, met à jour l’insécurité juridique dans laquelle vivent tous les Camerounais, et confirme l’absolutisme sous lequel nous vivons.
Que l’on soit homophobe, indifférent à la cause homosexuelle ou favorable au droit des homosexuels à vivre libres, l’on devrait s’émouvoir de ce qu’un Etat ignore ses engagements internationaux et viole sa propre Constitution sans qu’aucune institution ne puisse faire entendre la voix de la raison, c’est-à-dire du droit, de la justice, de la décence.
Ces transgressions ne sont pas bénignes parce qu’il est question d’une minorité persécutée. Elles sont terrifiantes car elles consacrent le triomphe de l’arbitraire sur le droit, et dès lors fragilisent un corps social déjà sérieusement abîmé.
L’imbroglio autour de l’article 127 du même projet de Code pénal illustre les dangers du règne de l’arbitraire. Celui-ci disposait qu’« est puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans le magistrat ou l’officier de police judiciaire qui, en violation de lois sur les immunités, poursuit, arrête ou juge un membre du gouvernement ou du Parlement ». Cet article, qui est arrivé tel quel sur la table des sénateurs, créait donc deux catégories de citoyens : les membres du gouvernement camerounais d’un côté, et nous autres, citoyens de seconde zone, de l’autre. Le tollé provoqué par cette disposition scélérate a contraint le gouvernement à l’amender à la dernière minute, et à rétablir une égalité civique dont la rupture eut signifié la mort symbolique du Cameroun.
Pour un nouveau contrat social
Il n’en reste pas moins que ce nouveau Code pénal constitue un formidable recul pour un pays qui décidément tourne le dos à l’Histoire, et une gifle magistrale à la joue d’une jeunesse bien infortunée.
Alors, que peut faire cette jeunesse ? Peut-être méditer ce passage d’un éditorial d’Albert Camus, publié dans le journal Combat en 1945, dans lequel il indique à ceux qui « voudront faire l’effort » de reconnaître que les turbulences de l’époque « les forcent à reconsidérer leur pensée ou leur action », que « le seul espoir réside dans la plus grande peine, celle qui consiste à reprendre les choses à leur début pour refaire une société vivante à l’intérieur d’une société condamnée. Il faut donc que ces hommes, un à un, refassent entre eux, à l’intérieur des frontières et par-dessus elles, un nouveau contrat social qui les unisse suivant des principes plus raisonnables ».
Yann Gwet est entrepreneur, essayiste et chroniqueur également pour Le Monde Afrique.