Christine Boutin évanouie sur le trottoir, Laurent Wauquiez qui dénonce des bavures et Jean-François Copé qui demande « des comptes » au président… La Manif pour tous a tourné au grand guignol. Et, loin d’en rire, on peut considèrer au contraire que cela fragilise notre démocratie.
La droite perd ses nerfs. La mise en cause de son chef Nicolas Sarkozy par le juge Gentil semble avoir fait sauter une digue, ce week-end, chez les leaders de l’UMP. Et il a suffi d’un bref incident près de la place de l’Étoile, durant la Manif pour tous organisée contre le mariage gay, pour qu’ils se mettent à dénoncer à hauts cris des bavures imaginaires, et pour qu’ils exigent sur le champ la tête du préfet de police puis celle du ministre de l’Intérieur.
Parmi ces provocateurs, Christine Boutin, Laurent Wauquiez et Jean-François Copé auront à mon avis des comptes à rendre auprès des Français, une fois le calme sera revenu.
« Les forces de l’ordre ont tiré sur des enfants ! »
D’abord, c’est avec stupéfaction que j’ai entendu Laurent Wauquiez, le patron de la « droite sociale » et le vice-président de l’UMP, lâcher des accusations très graves et qui se sont révélées mensongères quelques minutes plus tard :
« Les forces de l’ordre ont tiré sur des enfants de 2 à 5 ans en poussette ! »
Drapé dans son rôle d’élu de la République, il a poursuivi par ces mots très durs :
« Il est inacceptable d’envoyer des gaz contre des enfants. Vous avez l’impression que c’est des casseurs, des gens violents ? »
Puis, il a conclu ainsi devant la caméra de BFM-TV :
« C’est le reflet de la violence avec laquelle le gouvernement a traité ce mouvement, la préfecture de police doit être sanctionnée. »
Demander la tête du préfet pour une bavure hypothétique ? Laurent Nunez, le directeur du cabinet du préfet de police de Paris, a remis cet incident dans ses justes proportions quelques instants plus tard, précisant qu’il y avait eu « quelques dizaines de minutes très agressives », avec la réponse ponctuelle de gaz aérosols « compte tenu du comportement agressif de certains manifestants », mais qu’à sa connaissance on ne déplorait aucun blessé.
Aussitôt, Twitter s’est enflammé à juste titre devant les déclarations de Laurent Wauquiez et l’on a vu fleurir sur la toile de nombreux messages de colère et d’ironie.
« Des comptes à François Hollande »
Le problème, c’est que le député de la Haute-Loire a vu sa protestation relayée par Jean-François Copé qui était lui aussi présent à la manifestation. Il n’a pas hésité à demander « des comptes à François Hollande », cette fois après avoir « croisé » des familles qui auraient été victimes de gaz lacrymogènes tirés par les forces de l’ordre.
« Je veux dire mon indignation en apprenant qu’on avait utilisé, semble-t-il, des gaz lacrymogènes contre des familles qui étaient présentes avec leurs enfants et qu’un certain nombre avaient été gazées », a-t-il déclaré ensuite à l’AFP depuis la place de l’Étoile.
Là encore, on reste confondu que celui qui se veut « le premier opposant » de François Hollande, n’ait pas été capable de faire la part des choses. Et qu’il ne se soit pas interrogé sur la présence de ces manifestants provocateurs et inconscients qui marchaient derrière leurs poussettes sur les policiers pour forcer les barrières donnant accès aux Champs-Élysées interdits.
En tant que « responsable de la France »
Mais il y a eu encore plus étonnant. Christine Boutin, qui s’est dit soudain touchée par des gaz lacrymogènes, s’est évanouie et est restée quelques instants allongée sur le trottoir, au bord de la manifestation. Numéro de grand guignol ou incident bien réel ? Elle est demeurée par terre le temps nécessaire en tous cas à la réalisation d’une photo particulièrement spectaculaire.
Quelques minutes plus tard, soudain rétablie, elle confirmait devant les caméras de BFM-TV s’être évanouie:
« C’est la première fois que ça m’arrive, je ne pense pas avoir manifesté une violence particulière », a-t-elle lancé, avant d’exiger la démission de Manuel Valls.
« Des enfants ont eu aussi des gaz lacrymogènes », a-t-elle poursuivi, expliquant que, même si la manifestation n’avait pas le droit d’aller sur la place de l’Étoile et sur les Champs-Élysées, ce n’est pas « une raison pour envoyer des gaz lacrymogènes ». Une manière de reconnaître qu’elle aussi avait tenté de forcer le barrage.
« Ce qui est beaucoup plus important, c’est la façon dont la police a traité les manifestants, c’est inacceptable, car c’était des gens calmes. Le fait que l’on dise qu’il y a 300.000 personnes [ils étaient 1.400.000 selon elle], le fait que le gouvernement ait évoqué une ‘poignée’…. Aujourd’hui, je dis que la responsabilité du gouvernement est engagée », a-t-elle tempêté, avant de demander, en tant que « responsable de la France », la « démission du préfet de police » et du « ‘ministre de l’Intérieur, qui a tenu des propos irresponsables ».
Atmosphère de « guerre civile »
Wauquiez, Copé, Boutin… L’UMP et ses chefs pris en flagrant délit d’exagérations et de mensonges. Comme si, soudain, quelque chose venait de changer, comme si l’opposition, dans l’euphorie de voir des centaines de milliers de personnes dans la rue pour une manifestation réussie (il faut le reconnaître) ne sentait plus sa force et ses limites. Comme si l’UMP, électrisée aussi par la mise en examen de son patron Nicolas Sarkozy, perdait soudain ses nerfs.
Depuis quelques jours, en effet, ce rempart qui sépare en principe un parti d’opposition démocratique et responsable d’une organisation violente non républicaine semblait fragilisé, au point qu’on avait entendu par exemple Henri Guaino parler de « justice déshonorée » après la mise en cause de l’ancien président de la République.
Certes, l’avocat de Nicolas Sarkozy était dans son rôle (un peu excessif, voire grandiloquent) quand, dans le « JDD », il évoquait la partialité du juge de Bordeaux. Mais que dire des déclarations lamentables du député des Yvelines qui risquent de lui valoir un procès en diffamation ? Et que penser du soutien tout aussi déplacé et spectaculaire que lui a apporté Jean-François Copé sur Europe 1 samedi ?
Sans doute la conjonction d’événements hétéroclites de ces derniers jours peut-elle donner l’impression que notre démocratie est soudain menacée. Ainsi, un journaliste raisonnable comme Brice Couturier (France Culture) n’hésite pas à écrire sur sa page Facebook :
« L’ambiance politique est irrespirable. Le FN frôle la victoire dans l’Oise. Le Front de gauche en déduit qu’il faut chasser sur ses terres. L’impopularité du chef de l’État va le réduire à l’impuissance, à un moment d’extrême danger pour l’UE. L’opposition, divisée, est inaudible. La haine entre pro- et anti-mariage gay vire à l’appel au meurtre et mobilise des centaines de milliers de personnes. Personne n’a l’air de s’inquiéter de voir le pays se diriger vers la guerre civile. »
Un propos fort, qui montre combien la classe politique doit se ressaisir. Et cesser ses accusations mensongères et irresponsables qui fragilisent la démocratie.
Par Thierry de Cabarrus
Chroniqueur politique
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/805196-manif-pour-tous-boutin-wauquiez-et-cope-provocateurs-de-la-republique.html