Manif pour tous, l’ultime démonstration de force

Leur « jusqu’au-boutisme » surprend même dans les milieux opposés au mariage pour tous. A la veille de la nouvelle manifestation organisée à Paris ce dimanche 26 mai, et alors que la loi a été promulguée le 18, les pouvoirs publics s’attendaient encore à voir affluer 200 000 à 300 000 personnes dans les rues de la capitale. « La date du 26 avait été fixée avant la promulgation, elle était dans le viseur, donc on y va », entend-on chez les manifestants.

Alors que le président de l’UMP, Jean-François Copé, a appelé les militants à manifester  » une dernière fois » dimanche, Alain Juppé, lui, a pris ses distances avec cette position. « Il n’est pas opportun de multiplier les manifestations, au risque de voir des dérapages, a estimé le maire de Bordeaux. Je ne conseille pas de manifester. »

Samedi, il était impossible de mesurer l’impact sur la participation de ces divergences au sein de l’UMP, des risques d’incidents et des dissensions apparues publiquement ces derniers jours entre les organisateurs de La Manif pour tous. Après moult hésitations, Frigide Barjot, l’une des initiatrices de la contestation, a fini par conditionner vendredi sa venue « au respect de sa totale liberté de parole ».

BAROUD D’HONNEUR

En dépit de ce contexte, les plus déterminés refusent de voir dans cette ultime manifestation un baroud d’honneur. « Il faudra compter avec ce courant de pensée sur les questions de famille et de genre qui s’est affirmé au fil des mois », assure Tugdual Derville, responsable d’Alliance Vita, association pro-life et l’un des porte-parole de La Manif pour tous. Il parie sur de « fortes remobilisations » sur ces sujets et annonce le lancement « d’un courant d’écologie humaine le 22 juin ». Une partie du mouvement devrait aussi prolonger la contestation en organisant, mi-septembre, une université d’été pour former des militants sur ces questions.

Frigide Barjot a de son côté annoncé son intention de « se battre » pour  » la constitutionnalisation du mariage républicain comme l’union de l’homme et de la femme d’où est issue la filiation » et la mise en place d’un contrat d’union civile sans possibilité d’adoption, comme alternative à la loi Taubira.

A la Conférence des évêques de France, les responsables catholiques espèrent aussi pouvoir capitaliser sur cette mobilisation « pour défendre leur conception de l’homme dans une société qui n’est plus massivement chrétienne ».

Tous soulignent également l’émergence du phénomène des « veilleurs » qui, dans plusieurs villes de France, rassemblent chaque soir quelques dizaines de personnes, principalement des croyants passés par le scoutisme ou les Journées mondiales de la jeunesse, pour « une réflexion pacifique sur la famille, l’engagement, la résistance », ainsi que le résume Aymeric Bouthéon, un « veilleur » de Saint-Nazaire. Pour les participants, ces veillées sont une manière de « rester mobilisés et de renforcer leurs convictions ». Une frange d’opposants veut même y voir un point d’ancrage durable de la contestation. « Si on s’arrête, le camp d’en face aura gagné », reconnaît M. Bouthéon.

Conscients des interrogations que suscite le maintien de cette mobilisation, nombre de sites, notamment catholiques, mettent en avant le précédent du contrat première embauche (CPE), promulgué puis « abandonné sous la pression de la rue » en 2006.

REFUS OBSTINÉ DES « CHANGEMENTS DE CIVILISATION »

Mais, au-delà de possibles considérations politiques, la principale motivation de nombre d’opposants réside dans leur refus obstiné des « changements de civilisation » induits selon eux par la loi Taubira. « La poursuite du mouvement d’opposition est pleinement légitime, non seulement parce qu’il est légitime de demander l’abrogation d’une loi contraire à la conscience, mais encore parce que cette loi en cache d’autres à venir inéluctablement », écrit par exemple l’évêque de Bayonne, Mgr Aillet, qui a participé à toutes les manifestations.

Comme beaucoup, il met en garde contre les étapes à venir : reconnaissance de la procréation médicalement assistée et de la gestation pour autrui,  » mise en oeuvre généralisée de « l’idéologie du gender » ». Même crainte sur le site d’information catholique Aleteia, qui dénonce « toutes sortes de manipulations marchandes du corps humain ».

« Ils ont fondamentalement le sentiment que s’ils laissent passer cette loi, leur monde, fondé sur la civilisation chrétienne, va s’écrouler ; ils sont dans la défense d’un ordre supérieur », confirme le chercheur Philippe Portier, spécialiste du catholicisme. « Ce combat sur le genre, l’homosexualité, la biologie, est le dernier avatar d’un combat antimoderniste. Sentir leur identité agressée provoque une colère irrépressible qui se greffe sur un sentiment de citadelle assiégée », analyse aussi Christine Pedotti, historienne et rédactrice en chef de Témoignage chrétien, qui a pris position pour le mariage gay. « Je veux pouvoir dire que, quand tout a commencé à filer, j’étais là et j’ai fait quelque chose », justifie ainsi M. Bouthéon.

Enfin, si peu voient dans cette mobilisation un possible prolongement politique en termes d’engagement, certains ne nient pas que la dimension anti-gouvernementale du mouvement pourrait jouer encore un moment dans leur mobilisation.

Stéphanie Le Bars