Par quel miracle cette égérie des nuits parisiennes tendance grenouille de bénitier déjantée est-elle parvenue à fédérer tous les opposants au mariage homo et à faire descendre dans la rue une foule plutôt catho, droitière et conservatrice ?
Elle déboule en minijupe, hilare, après une séance photo pour le Figaro Magazine sur le Champ-de-Mars : « Il m’a prise avec la tour Eiffel entre les jambes ! » Puis elle s’esclaffe : « C’est mieux qu’avec deux doigts ! » Allusion au tube qu’elle chante avec les Dead Pompidou’s, le groupe rock du groupe Jalons, présidé par son mari, Basile de Koch, auteur des paroles ineffables : « Fais-moi l’amour avec deux doigts ! » A cet instant, on se demande par quel miracle Virginie Merle, alias Frigide Barjot, qui publie ces jours-ci Touche pas à mon sexe ! (éd. Mordicus), sa nouvelle profession de foi, est parvenue à prendre la tête de la foule plutôt catho, plutôt droitière, plutôt conservatrice, des militants anti-mariage pour tous.
C’est elle qui, flanquée de deux potes, a programmé et assuré le succès de la manifestation des « anti » le 17 novembre dernier. C’est elle qui a de nouveau rameuté pour le 13 janvier le peuple hostile à la loi Taubira. Elle a beau jouer avec entrain les allumées hystériques, juchée sur ses Louboutin, sapée de fringues d’occase chinées à la braderie de la paroisse Saint-Léon, elle sait parfaitement où elle va, pourquoi et comment. Avec un sens aigu de la mise en scène et de la stratégie, cette ex-professionnelle de la communication politique – pour le RPR, essentiellement – s’est débrouillée pour servir ses ambitions de meneuse de revue militante, en usant tour à tour des deux définitions qu’elle donne d’elle-même « fille à pédés » et « attachée de presse de Jésus ». Parce qu’elle est drôle, émotive, et qu’elle sait, d’une dégoulinade de gentillesse, forcer la sympathie, elle n’est pas détestée. Au pis, dans le milieu des « anti », elle est considérée comme un mal nécessaire.
Pourtant, au départ, le trio constitué pour lancer son mouvement tenait de la supercherie politique. Quand, en septembre, les intégristes de Civitas appellent à une manifestation nationale le 18 novembre, les « anti » qui réclament juste un référendum et des états généraux sont pris de court. Laisser la rue à « ces gens-là, avec leurs discours homophobes et leurs postures identitaires catho », c’est aller à l’échec, pense Frigide. Convaincue que, pour gagner, il faut « décléricaliser » et « dépolitiser » la cause, elle réquisitionne une copine et un jeune gay de 21 ans qu’elle payait il y a peu comme « assistant personnel ».
La première crée un collectif qui, trois mois plus tard, n’a même pas un site pour exister, La Gauche pour le mariage républicain. De gauche, Laurence Tcheng ? « Je suis enseignante en Zep », argue-t-elle. En réalité, cette mère de famille, surtout engagée dans le catholicisme social, n’enseigne plus depuis trois ans. Le second, Xavier Bongibault, n’est plus l’employé de Frigide, et il a rendu sa carte de l’UMP où il militait depuis ses 15 ans, pour défendre un mouvement « plus gay sans mariage ». Frigide, elle, arbore les couleurs de Pour l’humanité durable, une chapelle antiavortementqu’elle a créée au lendemain de l’élection de François Hollande.
sa première idole, c’est Chirac
En s’appuyant sur les réseaux catho de Frigide Barjot, qui depuis des mois sillonne les paroisses de province pour signer ses Confessions d’une catho branchée (Plon), le trio mobilise. L’un des premiers à la rallier in extremis, convaincu par « le succès et le ton de Frigide », Tugdual Derville, délégué général d’Alliance Vita, gros mouvement pro-life, et chroniqueur à France catholique, joue pour le 13 janvier le rôle du « laïc ».
« L’ouverture d’esprit de Frigide a permis de déjouer l’accusation d’homophobie, sa naïveté de réunir des gens qui ne se parlaient pas. » Une à une, les associations « anti » se rangent derrière Barjot, qui leur impose de renoncer à leurs logos respectifs. Préférant peaufiner l’affiche attrape-tout de sa « manif pour tous », elle continue d’aligner les porte-parole ad hoc : au gay, au « laïc », à la « socialiste », elle ajoute un juif, qui ne représente que lui-même, un musulman tendance Alain Soral et un élu prié de masquer son appartenance au Centre national des indépendants et paysans (Cnip). « Nos amis de Civitas », comme dit Frigide, sont invités à s’exprimer à distance. Quant à Jean-François Copé, prêt à récupérer la manifestation, il a reçu la visite de son ancienne condisciple de Sciences-Po, qui lui a expliqué sa règle du jeu.
Car c’est aussi un jeu, dans le théâtre intime de Frigide Barjot, qui s’est enfin trouvé un emploi à la taille de sa soif de reconnaissance. « J’ai énormément souffert du divorce de mes parents, dit-elle. Je crois que c’est l’un des ressorts de mon combat pour la famille. » L’un des ressorts surtout de son besoin d’être regardée. Sa mère, qui avait abandonné sa carrière de cantatrice pour suivre l’homme qu’elle aimait et devenir professeur au conservatoire de Lyon, était, semble-t-il, trop malheureuse pour cajoler sa fille. Quant à son père, directeur administratif de la clinique qu’il possédait, « il roulait en Maserati rouge, dit-elle, chassait les femmes et les animaux, et dépensait l’argent amassé par son propre père dans les textiles synthétiques ».
A la fac de droit de Lyon-III, Virginie Merle devient secrétaire générale d’une corpo de droit musclée, son premier podium. Après avoir mené la grève contre les réformes Savary, elle monte à Paris. A Sciences-Po, elle se fait remarquer en arborant un T-shirt imprimé « Vivement demain », le slogan RPR pour les législatives de 1986, devant ses profs d’économie socialistes Pierre Moscovici et François Hollande. Car sa première idole, c’est Chirac. Dans cette promo Sciences-Po 1986, elle côtoie Frédéric Beigbeder, Arnaud Montebourg, Jean-François Copé, David Pujadas, Isabelle Giordano, Anne Roumanoff, Alexandre Jardin, et détonne, au cours de gym, par son art du saut périlleux et du grand écart, exercice qu’elle continue à pratiquer, au propre comme au figuré.
Déjà fêtarde, elle trouve le tremplin de sa vie avec le groupe Jalons, ce groupe hétéroclite de ricaneurs intelligents, dits « anars de droite » pour aller vite, qui pastichent avec talent les journaux cultes et organisent des happenings contre le froid au métro Glacière quand les agents EDF se mettent en grève. Y règnent trois frères Tellenne sous leurs pseudonymes Karl Zéro, Raoul Rabut et Basile de Koch. Virginie Merle tombe sur le Monstre (un détournement du Monde) et son futur mari, le « président à vie » de Jalons, en 1985. « Elle dit qu’elle m’a connu en 1985 ; moi, je ne l’ai vue qu’en 1988, précise Basile de Koch. J’ai compris qu’elle était fêlée mais sympa. »
Virginie a mis trois ans à se faire adouber. « L’idée du groupe, dit-elle, c’était de dégonfler les baudruches autour de nous, à commencer par soi-même et les gens qu’on aime. » Basile lui demande qui elle admire. « Bruce Willis », dit-elle. Non, il faut une femme. Elle propose Brigitte Bardot, dont elle a depuis longtemps emprunté le look choucroute-talons hauts. Barjot sonne comme l’évidence. Elle coince sur Frigide. Pas longtemps. « Ça énervait les féministes, ça me plaisait », rigole-t-elle, tout en clamant qu’il n’y a que « des hommes maladroits ». Sa mission : chanter avec les Dead Pompidou’s sur les scènes du Palace ou du Banana Café et animer le courant « rat pourri », dit « le rassemblement pour rien », c’est-à-dire Chirac. « C’était rien, Chirac », répète Basile de Koch. Un jour, elle aussi le pensera.
Mais, à l’époque, elle travaille pour le RPR, à Principes, une petite agence de communication politique. « Excellente commerciale, Virginie était à la fois rigolote, exubérante, généreuse, toujours de bonne humeur, et passionnée par les idées, sans être butée », raconte Jean-Marie Milou, son ex-patron qui sera son témoin de mariage. Héritière de son père, Frigide Barjot renfloue largement Jalons. Et elle fait la fête avec la bande qui multiplie les parodies. Pendant qu’elle aide les élus RPR à se vendre, Basile de Koch, lui, poursuit sa carrière de nègre, commencée dans la mouvance UDF : « J’ai été embauché, par un piston familial, dans l’Association pour la démocratie, créée par Michel Bassi ; j’ai écrit les argumentaires des futurs députés, des discours de Raymond Barre, Simone Veil, Michel Poniatowski, Jacques Blanc. » Il a aussi été employé par le Club de l’Horloge qui milite pour l’union des droites, théorise la préférence nationale, et dont nombre de fondateurs fileront vers le FN ou le MPF – l’ex-parti de Philippe de Villiers. Basile de Koch devient ensuite l’assistant de Charles Pasqua, dont il suit la rupture avec Chirac et l’évolution vers le souverainisme. Le mari de Frigide, qui veut porter plainte contre des assertions de Mediapart et d’un blog anonyme, réfute avoir jamais appartenu aux mouvements d’extrême droite. Pas même au GUD à la fac d’Assas, dit-il : « J’ai eu des ennuis avec eux quand j’ai présenté mes listes du Mouvement nul. » Il collabore aujourd’hui au site Causeur, à Valeurs actuelles et tient la chronique mondaine de Voici, ce qui le situe politiquement et nuitamment.
Face à la statue grandeur nature de la Vierge qui domine son canapé, Basile de Koch explique ce qui le différencie de son épouse : « Le second degré, ce n’est pas sa langue maternelle. Elle le comprend mais ne le pratique pas. » En 1995, il se réfugie à Port-Grimaud, dans la maison de Frigide, pour échapper, dit-il, à ses hurlements : « Chi-rac ! Chi-rac ! » Mais, le soir de l’élection, il retombe sur elle à la télé : « Poitrine à l’air, elle agitait son drapeau au balcon du RPR. » Elle se lassera de Chirac, mais pas de la droite, même si elle se vante d’avoir voté Ségo contre Sarko en 2007. Aux législatives de 2008, elle se présente en 10e position sur une liste dissidente de l’UMP menée par Gérard d’Aboville. « Un peu trop agitée mais sympa, elle essayait de nous ramener l’électorat catholique, se souvient Cécile Renson, ex-deuxième de la liste. Très antisarkozyste, elle m’a paru franchement d’extrême droite. »
Moins loin de Le Pen – qui se vante de l’avoir fait sauter sur ses genoux petite – qu’à son arrivée à Paris. Son père avait mis à sa disposition un studio rue de Lourmel à condition qu’elle vote pour son ami Le Pen. Elle avait refusé, et campé ailleurs. « Tu n’as qu’à dire que tu voteras Le Pen et choisir Chirac », suggère une copine. C’est ce qu’elle a fait.
Quelques années plus tard, elle rejoint Basile rue de la Fédération, près du Champ-de-Mars. Il occupe un appartement HLM de la Ville de Paris depuis 1984. « On avait dû le lui procurer », confirme un ex-lieutenant de Pasqua. Un deuxième se libère à l’étage au-dessus. « Je me suis battue pour l’avoir, raconte Virginie, et on a fait un escalier. »
Ensemble, mais chacun son étage. Abusif ? « Quatre mille euros par mois, ce n’est pas vraiment un logement social », réplique Basile de Koch, précisant que la Ville de Paris a renoncé à les augmenter, au vu de leurs revenus. Le couple Tellenne mange des pâtes, aime dire l’entourage. Avec, jusqu’à il y a peu, chacun son assistant personnel. Un pour deux, désormais.
Avant de mettre au monde deux « nains » – leurs enfants –, Virginie Merle et Bruno Tellenne se sont mariés l’année précédente, en 1994, à Rillieux-la-Pape. Le curé est tradi ; la messe en latin, Basile y tient. Au lieu de revoir la pastorale et de conserver les rites et le dogme, déplore-t-il, le concile a fait le contraire, raidissant sa morale sexuelle et imitant le protestantisme. « Frigide, elle, est plus conciliaire. » Car la « catho branchée » qui a emphatisé sa « conversion » dans ses Confessions, en 2011, a en réalité toujours été catholique pratiquante, nonobstant ses shows dans les boîtes tropéziennes et parisiennes. « Dame Kté » en sa paroisse de Saint-Léon, adepte des « pélés », elle est allée voir Jean Paul II à Lyon en 1986, à Reims en 1996, à Lourdes en 2004 et l’a revu sur son lit de mort en 2005.
« Après dix-huit heures de queue ! » souligne Arnaud B., son compagnon de voyage. « Le voir mort, ça lui a tapé sur la calebasse », résume son mari, soulagé de constater que le « besoin d’enthousiasme » de Frigide est passé de Chirac à Benoît XVI, ce pape à ses yeux incompris dont elle est devenue fanatique.
Plus qu’une « conversion », c’est un tournant dans sa vie. « J’étais en pleine midlife crisis », dit-elle. Sa carrière de chroniqueuse chez Ruquier, Ardisson ou Evelyne Thomas a avorté. Son couple godaille. Barjot a besoin de nourrir sa ferveur. Elle vole au secours de Benoît XVI – « Touche pas à mon pape » – et décide de répondre à son appel : évangéliser, telle est désormais sa mission. Contre l’élargissement de l’IVG, contre l’euthanasie, contre le mariage gay et contre l’assistance médicale à la procréation (AMP), y compris pour les couples hétéro. Elle évoque complaisamment son inclination pour les homos, tant d’amis, d’amours même. Mais, sur le fond, c’est à l’ombre du clergé qu’elle se range. « Elle est dans le mouvement ecclésial, murmure le bras droit d’un évêque, et quand la plus haute autorité lui demande de ne pas faire ceci ou cela, elle s’incline, même si elle donne l’impression de n’en faire qu’à sa tête. » Une tête très politique.
source:marianne.net