Manif pour tous, un Tea Party français: « une comparaison prématurée »

La comparaison entre le mouvement américain et français a fleuri cette semaine. Est-elle justifiée? Si la forme peut laisser poindre des similitudes, Aurélie Godet, auteure de « Tea Party. Portrait d’une Amérique désorientée », la juge prématurée en attendant de voir quel virage Frigide Barjot et les siens vont donner à leur bébé.

La « Manif pour tous » a connu un essor impressionnant et pris une place majeure dans le débat sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe en France. Alors, quand son chef de file Frigide Barjot a émis l’hypothèse d’entrer en politique lors des municipales, la député écologiste Barbara Pompili ou le sénateur socialiste François Rebsamen n’ont pas traîné à prévenir contre une « teapartisation », semble-t-elle négative, du mouvement social. Réalité, élément de langage ou exagération, celle-ci est-elle justifiée?

« C’est une comparaison prématurée et pas très pertinente, estime d’emblée Aurélie Godet, maître de conférences en civilisation américaine à l’université de Bordeaux et auteure de « Tea Party. Portrait d’une Amérique désorientée ». Il existe une différence d’ampleur au niveau des thèmes abordés. Si la ‘Manif pour tous’ s’est créée autour d’une revendication sociale, le Tea Party s’en prend à la fiscalité et à l’interventionnisme fédéral ».

Car depuis 2008, les lettres T.E.A. répondent à « Taxed Enough Already », soit « assez d’impôts ». Loin du « tea » – le thé – symbole du pouvoir britannique au 18ème siècle. Même si Marie Gilles, qui a publié « Tea Party: tendances lourdes et variables » dans les Cahiers du CESIP estime que « le fait que les deux mouvements partent sur une opposition à une loi politique les rapprochent ».

L’aspect religieux plus présent en France

« Surtout, pointe Aurélie Godet, la composante religieuse est bien plus forte dans la ‘Manif pour tous’, [Monseigneur André Vingt-Trois avait appelé à manifester en janvier dernier, NDLR] alors que le Tea party s’est évertué à tenir la religion éloignée de ses revendications ». Un temps, du moins.

L’universitaire relève aussi une différence dans l’âge des militants. « Si l’on le côté classe moyenne-classe moyenne supérieure est toujours présent, la différence se situe dans le fait que l’on a retrouvé en France beaucoup de familles et notamment de jeunes enfants dans les cortèges ».

Finalement, selon Aurélie Godet, un mouvement comme « Le Printemps français » correspondrait plus au Tea Party que la « Manif pour tous », pour son côté transgressif.

« La possible ‘teapartisation’ de la ‘Manif pour tous’ réside dans un engagement politique fort qui pourrait conduire la droite française notamment à une balkanisation des mouvances, analyse Nicolas Lebourg, spécialiste de l’extrême droite. Mais c’est peu probable et ce serait surtout dévastateur car le Tea Party a fait perdre les élections aux Républicains. Il ne faudra pas se tromper d’analyse ».

« La structure du Tea Party est bien plus décentralisée »

D’autant que l’un et l’autre ont tenté de rester neutre politiquement avant, pour le Tea party, de se rapprocher des Républicains, de pousser une Sarah Palin ou un Paul Ryan à être candidat à la vice-présidence des Etats-Unis en 2008 et 2012 et de connaître son heure de gloire électorale au élections de mi-mandat en 2010.

« La structure du Tea Party est bien plus décentralisée au niveau de son organisation militante, dit Aurélie Godet. Même s’il existe des lobby puissants à Washington et que de riches mécènes comme les frères Koch financent largement les actions. »

Frigide Barjot et son mouvement n’en sont pas encore là et leur programme de revendications n’est pas spécialement étoffé malgré un élargissement vers l’ensemble des débats qui touche à la famille. Bref, son influence sur le paysage politique est encore limitée, bien que la manifestation du 26 mai prochain puisse, après le vote solennel du Parlement, glisser vers « une fête de la famille ».

Finalement, c’est sur la forme que les deux peuvent se rejoindre. Par leur ampleur et leur soudaineté. Par leur utilisation du web, des réseaux sociaux et des médias. « Ils ont très bien su utiliser tout ça, admet Aurélie Godet. Ils avaient un slogan fédérateur, des vêtements, des couleurs communes… Ce sont des symboles qui façonnent le groupe. »

Alors que le Tea party s’essouffle après son succès majeur des élections de mi-mandat en 2010, la « Manif pour tous » n’a pas encore donné de signes tangibles quant à son avenir.

Mais s’ils devaient, à l’image du Tea Party, sauter le pas en politique, les observateurs sont unanimes: seuls les scrutins locaux peuvent leur offrir un écho.  Le changement de stature c’est maintenant?

Samuel Auffray