MARIAGE GAY. Frigide Barjot, où sont passés ton humour et ta gentillesse légendaires ?

Elle incarne l’opposition au mariage pour tous. Frigide Barjot a impulsé les différents mouvements de protestation contre la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Alors qu’une nouvelle manifestation, dimanche 21 avril, aurait réuni 45.000 personnes selon la police. Laurent Calixte lui adresse une lettre ouverte.

Chère Frigide,

Quand j’ai adhéré à Jalons, il y a vingt ans, j’étais motivé par le fait que Bruno (Basile de Koch) et toi aviez créé un mouvement d’un œcuménisme extraordinaire, où le catho côtoyait le « muslim », où le gay tentait de draguer l’hétéro, où le Black discutait avec le Gaulois, où le Sépharade arrivait à se mettre d’accord avec l’Ashkénaze, où le nazillon se laissait séduire par une écolo, et où le gauchiste riait avec le centriste. J’ai adhéré parce que le désir d’absolu qui vous animait Bruno et toi était extrêmement séduisant.

J’ai adhéré car j’avais fini par comprendre que la structure très particulière de Jalons, composée de petits politiques miniatures qui caricaturaient les partis existants, prouvait que ce mouvement cherchait à recruter des gens aux convictions hétéroclites, mais dont ils devaient être capables de rire eux-mêmes.

Autrement dit, le centriste qui animait le CDPD (« centre démocratique pour le progrès et le développement« ) était vraiment centriste, le royaliste qui animait « Restauration rapide » était vraiment royaliste, l’écolo qui animait « les Verts de terre » était vraiment écolo et le socialiste qui animait « Socialisme et barbarie » se déclarait vraiment socialiste. Seulement voilà : l’un et l’autre étaient capables d’auto-dérision, et montraient que s’il était important d’avoir des convictions, il était aussi très important de prendre de la distance avec elles au point d’être capable d’en rire.

Ton humour et ton ouverture se sont envolés

J’ai fini par deviner que cette volonté d’unir les contraires et de rassembler les gens malgré des convictions politiques différentes, malgré des milieux culturels complètements variés, malgré des croyances religieuses hétéroclites, était le signe que c’était bien une motivation religieuse qui vous animait (au sens de religere, relier les gens entre eux). Mais une motivation qui avait l’intelligence et l’élégance de rester discrète.

Jamais vous n’avez brandi l’étendard catholique. Jamais vous n’avez fait de la retape. Vous avez été missionnaires catholiques par l’exemple : les gens aimaient vos parodies, vos manifs, vos fêtes ? Qu’ils creusent eux-mêmes, fassent leur enquête eux-mêmes, et découvrent par eux-mêmes que vous étiez croyants.

Vous avez misé à fond sur un proverbe que vous connaissez bien : « on reconnaît l’arbre à ses fruits ». Vous avez produit de beaux fruits, en prenant soin de ne pas apposer l’étiquette « made in catholicisme », qui aurait pu détourner les gens, ou leur faire croire que toute cette débauche de gentillesse, de gratuité, de musique, de fêtes, n’avait qu’un but prosélyte. Vous n’avez pas créé un patronage à vocation « catholique », vous avez simplement créé plus discrètement un mouvement à vocation « universelle ».

Les fêtes étaient fabuleuses, aucun racisme de vigile pour y accéder, aucun racisme social (prix d’entrée modique), aucun racisme mondain (les snobs n’ont jamais vraiment compris Jalons). Je me souviens d’une fête sur une péniche où un Arabe étonné d’avoir pu entrer, alors qu’il se faisait régulièrement refouler aux portes des discothèques, m’a lancé, ivre de champagne, de musique et de jolies filles, avec des larmes dans les yeux : « j’adore la France ! J’adore la France ! » Et c’est ce que j’aimais à Jalons : le mouvement donnait accès à tous à ce qu’on appelle pompeusement « la France éternelle ».

Jalons, un mouvement brillant et intelligent

Jalons était le mouvement religieux le plus brillant et le plus intelligent que j’aie jamais connu : croyants et non-croyants s’y sentaient à l’aise car les questions religieuses n’y étaient jamais abordées. Il y a eu ces dîners incroyables où « l’esprit à la française » pétillait comme des bulles de champagne, ce dîner au café au nom jalonnien « Le Royal République » (organisé par « Restauration Rapide », bien sûr), où l’un des nôtres a réussi à dérider Thierry Ardisson en lui posant la célèbre devinette :

« Qu’est-ce qui est long, rouge, dur, et qui plaît aux femmes ?

– pfff… Oui, je la connais, c’est un bâton de rouge à lèvres

– Mais non, c’est une bite »

Ces conférences à l’École supérieure de commerce de Paris où Jean-Paul Pol-Pot (leader de « Socialisme et Barbarie ») s’est lancé devant 800 élèves survoltés dans un brillantissime duel verbal totalement improvisé avec le Vicomte de Puypeu (le leader de « Restauration rapide »), il y a eu ce meeting à Sciences-Po où le leader du mini-parti anti-raciste « France Peluche » a réussi à faire se lever les 1.000 élèves hilares de l’amphithéâtre Emile Boutmy pour qu’ils forment une « chaîne d’amour ».

Jalons était souvent catalogué à droite, voire à l’extrême-droite, alors qu’il se situait précisément à l’opposé, aux antipodes de l’extrême-droite, c’est pour ça que j’avais adhéré, d’ailleurs.

Je me souviens d’une séance de collage d’enveloppes dans le modeste local de Jalons, à Paris : tu feuilletais avec tristesse un numéro du magazine « CB News » consacré aux « 100 qui vont compter demain ». Tu y voyais notamment photographiées toutes les futures stars de la fameuse « Promo » 1986 de Sciences-Po qui fut l’objet d’un livre d’Arianne Chemin : les Beigbeder, Pujadas, Anne Roumanoff et autres. Et tu te désolais de ne pas y voir Basile, ton homme.

Jalons était connu dans l’underground’ médiatico-parisianniste, mais totalement inconnu du grand public, en dehors des périodes de parution des célèbres pastiches (« Le Monstre », « L’aberration »,…), et des non moins célèbres manifestations, comme celle qui fut organisée contre le froid au métro Glacière.

Je me sens trahi

Aujourd’hui, je me sens trahi. Car, en quelques jours, tu as balayé, volatilisé, dispersé façon puzzle presque tous les fondamentaux et tous les idéaux de Jalons.

C’est qu’entre-temps est venue la loi sur le mariage pour tous. Et tes manifestations. D’un autre genre. D’un tout autre esprit. D’une toute autre ambiance. Des manifestations dans lesquelles tu t’investis à un point qui, paradoxalement, me rassure : car lorsque je vois l’énergie que tu dépenses pour donner simplement ton opinion sur le « mariage pour tous », il ne fait aucun doute que, si tu continues d’investir la même énergie dans d’autres combats, alors les épiphénomènes que sont le chômage, la pauvreté, le réchauffement climatique, le racisme, la sous-alimentation, les pandémies et les famines auront bientôt disparu de la surface de planète.

Ces manifestations contre le « mariage pour tous » ont un goût bizarre mais elles t’ont donné ce que tu recherchais consciemment ou inconsciemment dès l’époque historique de Jalons : la notoriété, et les forêts de micros qui se dressent vers toi.

D’où une première question : comment vas-tu te passer de cette drogue, maintenant ? De ces foules de 800.000 personnes (10 fois le public des Stones au Stade de France) qui convergent vers toi, et qui t’acclament ?

D’où une deuxième question : comment, par quel sortilège, par quel maléfice, toi qui es si drôle, si douce, si pacifique, as-tu pu prononcer une phrase aussi monstrueuse que : « Hollande veut du sang, il en aura ». Certes, tu es ensuite revenue sur ces propos, mais ils ont bel et bien été prononcés, et entendus par des millions d’auditeurs et de téléspectateurs.

Frigide, comment dire… Tu es tombée sur le chignon ? Car cette phrase, toi, tu ne peux pas. Même dans le feu de l’action, même en ayant la langue qui a fourché, même avec les mots qui auraient été plus vite que ta pensée.

Es-tu devenue irresponsable ?

D’abord, à Jalons, tu nous as transmis un certain sens de la blague spirituelle (ou atrocement lourde, cf. supra). Mais tu nous as heureusement inculqué l’idée que les phrases ridicules devaient être bannies de la conversation. Or, comment, dire, imaginer le placide François Hollande en train d’exiger du sang, ça me rend triste tant il semble évident que tu n’as pas saisi le côté totalement grotesque de cette formule.

Tu te souviens d’avoir fondé le groupe rock Les Dead Pompidou’s, non ? Imagine qu’on ait dit, il y a quarante ans : « Georges Pompidou veut du sang, il l’aura ! À bas Pompidou le Sanguinaire ! Pompidou le Vampire ! Pompidou le Hun ! »

Alors autant te dire que je suis assez surpris que tu fasses passer les catholiques pour des salafistes assoiffés de sang. Surtout que ce mot, jeté comme de l’essence sur une foule surchauffée, est comme une grenade incendiaire. Es-tu devenue irresponsable ? Franchement, on dirait que, tel le savant fou Zorglub équipé de son laser à contrôle mental, tu as réussi à transformer une foule pacifique accompagnée d’enfants innocents dans leurs poussettes en une horde de fous furieux aux yeux injectés de sang armés de féroces bambins roulant en mini-tanks Sherman !

Jamais, jamais, jamais, jamais un catholique digne de ce nom n’invoque la violence, encore moins l’appel au sang. Le seul sang qui trouve grâce à ses yeux est le sang du Christ, à ce que je sache. En outre, si je me souviens bien, chez les cathos, il est recommandé de tendre la joue gauche quand la joue droite a été giflée.

Si, être catholique, c’est tomber comme tout le monde dans le brasier de la violence, alors je ne vois pas l’intérêt de se déclarer catholique. Décide plutôt de fonder le « frigidebargisme« , le « pastafarisme », ou la religion de la « Banana Perpétuelle ».

Vampirisée par une cour de pages fringants

Mais si tu te prétends croyante, tu dois faire plus d’efforts que les autres pour te contrôler. Quelle que soit l’hostilité que tu rencontres, quelle que soit l’agressivité étrange qui anime effectivement le ministère de l’Intérieur, quels que soient les débordements qui surviennent, tu dois prendre sur toi, absorber la violence des autres et la renvoyer sous forme d’ondes joyeuses. Tu dois donner l’exemple. Encore, encore, et encore. Comme tu le faisais. À Jalons.

Franchement, Virginie (excuse-moi, mais tu t’es tellement enflammée ces temps-ci que je ne peux plus t’appeler Frigide), tu veux vraiment finir par être au catholicisme ce que Dieudonné est à l’humour ? Regarde-toi, aujourd’hui. Compare-toi à celle que tu étais dans ta vidéo « Fais-moi l’amour avec deux doigts » : tu te coiffes moins souvent, tu ne te maquilles guère, tu te soignes moins qu’avant.

Bon sang, Frigide, entre tes photos de l’époque et celles d’aujourd’hui, il y a autant de différences qu’entre celles de Lindsay Lohan débutante et celles où elle est défoncée au crack !   Les hommes et les femmes qui négligent leur apparence au nom du caractère élevé de leurs idéaux m’inquiètent.

Avant, tu faisais le grand écart au Banana Café. Aujourd’hui, le Banana Café rejette ton patronage embarrassant, et tu dois faire le grand écart idéologique pour que les extrémistes ne fassent pas éclater ton mouvement. Avant, tu entraînais une bande de joyeux lurons dans ton sillage. Aujourd’hui, tu es vampirisée par une cour de pages fringants qui te poussent sans cesse à aller encore plus loin.

À Jalons, les gens faisaient la fête en paix. Aujourd’hui, tu appelles à la violence. À Jalons, on buvait du champagne. Aujourd’hui, tu appelles au sang. Le catholique n’appelle pas au sang. Il n’appelle pas à la violence. Il appelle à la paix et à l’amour. C’est ce que tu m’expliquais à l’époque de Jalons.