Dimanche 13 janvier, se sont rassemblés dans la rue des centaines de milliers de manifestants, opposés au mariage pour tous. Et nombre d’approximations ont été entendues dans le cadre du débat relatif au mariage ouvert aux personnes de même sexe.
Il est à déplorer que dans les émissions de grande écoute, on n’entende pas plus de psychiatres, pédopsychiatres, juges des enfants ou encore sociologues au profit des micro-trottoirs qui abondent, ou de la parole des représentants des associations pro ou anti-mariage.
Des amalgames en pagaille
Ainsi, je ne suis pas certaine que Bernard-Henri Lévy ait été adroit en déclarant que « mieux vaut un enfant adopté par des homosexuels aimants que mis au congélateur par les époux Courjault ». De la même façon, Caroline Fourest ferait-elle sans doute mieux de s’abstenir lorsqu’elle évoque sur l’antenne de BFM-TV les 98% d’enfants issus de couples hétérosexuels qui deviennent « tordus ou délinquants » (les juridictions correctionnelles et les hôpitaux psychiatriques sont déjà suffisamment remplis, merci).
Il est à regretter également que bon nombre d’amalgames soient pratiqués, qui sont regrettables dans les deux camps :
– On peut être ouvert au mariage, et non à l’adoption, ou encore au mariage et à l’adoption et non à la procréation médicalement assistée. S’agissant de débats aux fondements sociétaux différents, raisonner de façon globale apparaît inepte.
– Il existe des personnes homosexuelles opposées à l’adoption, mais qui recherchent la stabilité et la sécurité du mariage. On peut être homosexuel et ne pas revendiquer quoique ce soit. De même, toutes les personnes homosexuelles ne sont-elles pas forcément favorables au « package » que l’on essaie de créer mariage-adoption-PMA-GPA et qui n’est qu’un leurre.
– Inversement, on peut être, peu importe ses convictions (ou absence de convictions) religieuses, opposé au mariage pour tous, sans être homophobe ou fasciste.
Malheureusement, les médias drainent plus volontiers les aberrations entendues au gré des manifestations, et propos dignes d’un autre temps que le point de vue des anthropologues et autres spécialistes, ou praticiens, tel cet entretien de François Terre, professeur émérite de l’université de droit Paris II Panthéon-Assas, ou encore celui de Maurice Godelier, anthropologue, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales.
Des références parfois honteuses
Les références hasardeuses et honteuses à la pédophilie ou au « déclin de la civilisation grecque » refont surface au café du commerce des débats, au détriment de réels points de vue éclairés. En face, les activistes du « droit à l’enfant » ou du « droit à l’amour » se font entendre, quand il est question de notions juridiques elles bien réelles d’intérêt de l’enfant et d’institution du mariage.
Horreur, il serait question de modifier le Code civil. Scoop, il l’a déjà été pléthore de fois depuis sa rédaction en 1804, et s’il reste l’un des codes les plus proche de son origine, entre temps, ont été abrogées ou modifiées bon nombre de dispositions, du droit de la prescription à la filiation en passant par le divorce.
Le terme de « mariage pour tous » est quelque peu hypocrite. Christine Boutin, si l’argument peut paraître hors de propos, n’a pas totalement tort lorsqu’elle déclare que le droit au mariage est individuel, et qu’étant ouvert à tous, indépendamment de l’orientation sexuelle, il n’est pas discriminant.
Il n’est en réalité pas question de l’égalité mais de l’acception de l’institution du mariage, prévue par le code civil comme une institution sociale dépassant le simple contrat, et de son ouverture à un plus grand nombre de situations.
Un Code civil en transformation permanente
Portalis, « père » du Code civil, dans son exposé des motifs relatif au titre portant sur le mariage, faisant effectivement référence à cette institution comme fondement de la famille [1] :
« La loi ne doit pas seulement envisager le mariage dans ses rapports avec les époux, mais encore dans ses rapports avec l’État, auquel il donne des membres et où il crée des familles »
Mais il rappelait aussi que « l’état civil des hommes, le mariage par conséquent, doit être indépendant du culte qu’ils professent. La loi civile ne doit voir dans le mariage que le contrat civil, et laisser la liberté des cultes le régler sous le rapport religieux » [2]
Si le mariage n’est donc pas seulement une institution tendant à officialiser l’union d’un couple qui s’aime, comme le prétendent certains activistes, il ne saurait non plus souffrir des convictions religieuses qui relèvent de la sphère privée.
Il rappelait ainsi que « l’office du législateur n’est point de pousser au mariage, mais d’écarter les obstacles arbitraires qui en gênent la liberté, en y apportant néanmoins de sages restrictions ».
Contrairement à ce qui est parfois prétendu, les rédacteurs du Code civil avaient bien à l’esprit l’importance de prendre l’existant, Portalis rappelant qu’il « fallait à la loi civile une règle uniforme au milieu des variétés de la nature : elle l’a prise dans ce qui arrive le plus communément ».
Or, depuis 1804, certaines situations issues de ces « variétés de la nature » se sont précisément faites plus communes qu’elles ne l’étaient antant, raison pour laquelle, par exemple, a été supprimée la distinction entre filiation naturelle (hors mariage) et filiation légitime (issue du mariage).
Une méconnaissance du projet de loi
Il n’est pas plus question de « droit à » l’enfant, expression qui me fait sursauter à chaque fois que je l’entends. L’enfant ne saurait faire l’objet d’un droit créance dans la lignée du préambule de la constitution de 1946, mais est au contraire au centre des préoccupations du législateur, son intérêt déterminant l’esprit des lois relatives au droit de la famille.
Il n’est pas non plus question que les mots « père » et « mère » disparaissent du Code civil. Les termes de « Parent 1 » et « Parent 2 » ne figurent aucunement au projet de loi. Il est évoqué la possibilité d’avoir deux livrets de famille différents.
Quand on repense aux débats sans fin issus de la suppression du « Mademoiselle » sur les formulaires administratifs (suppression qui vient d’entrer en vigueur), il est à présager que la modification des registres d’état civil se fera de façon précautionneuse, et il y a tout lieu de penser que des appellations aussi aseptisées et dénuées d’humanité que « parent A » ou « parent B » n’auront pas lieu d’être.
L’étude préalable au projet de loi prévoit d’ailleurs expressément que « la réforme envisagé n’aura pas de conséquence sur les actes d’état civil relatifs aux couples hétérosexuels ».
Des aménagements seront néanmoins nécessaires, puisque le terme de « parents » est utilisé par le Code civil à la fois au sens large, comme personne unies par un lien de parenté, et au sens restreint, comme synonyme de père et mère [3].
Le projet de loi prévoit :
« Lorsque cela s’avère nécessaire, les mots ‘père et mère’ sont remplacés par le mot ‘parents’ et les mots ‘mari et femme’ par le mot ‘époux’. Ces substitutions concernent uniquement les articles qui s’appliquent à tous les couples. Dans tous les autres cas, les articles ne sont pas modifiés : tel est le cas dans l’ensemble des dispositions concernant la filiation établie par le seul effet de la loi ».
La PMA et le PGA : un autre débat
Amalgames encore, lorsqu’il est question de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la gestation pour autrui (GPA), qui ne font aucunement partie du projet de loi présenté à l’Assemblée nationale.
Ces dispositions feront l’objet d’une loi bioéthique ultérieure qui, elle, n’est pas encore en débat au Parlement, tant elles relèvent d’un débat différent de celui qui concerne le mariage et ses conséquences directes sur la filiation.
Il n’est pas là question donc d’accepter un « package » brandi en étendard par certains manifestants, qu’ils aient participé à la manifestation du 13 janvier ou qu’ils participent à la manifestation qui se tiendra deux semaines plus tard. La seule chose qui est prévue, en l’état actuel des choses, est un projet d’amendement.
À ce titre, une universitaire a évoqué le concept « d’enfant social », qui ne serait plus relié à ses parents, invoquant l’importance de la connaissance de ses origines et utilisant le terme de filiation « symbolique » par un raisonnement qui me semble spécieux .
Il s’agirait de favoriser une filiation « cohérente et crédible », qui serait, en cas d’adoption, représentative d’une « origine symbolique ». En d’autres termes, il est plus aisé pour un enfant adopté, qui a déjà été privé de sa filiation biologique, de trouver des origines symboliques dans l’image d’un couple hétérosexuel que d’un couple homosexuel. Or, il appartient au couple adoptant d’expliquer à l’enfant quelles sont ses origines.
Il y a tout lieu de croire qu’un couple de personnes de même sexe ne cachera pas (le contraire serait aberrant) à un enfant qu’il a été conçu par deux personnes de sexe opposé, dont une, si ce n’est deux, qu’il ne connaîtrait pas forcément. Mais de la même façon qu’un couple hétérosexuel sera sans doute amené à expliquer un jour à son enfant les origines de sa filiation. Cette « transparence » relève de la responsabilité des parents, non de la loi, comme cela l’a toujours été.
Des comparaisons hasardeuses
Il a également été avancé que l’on favoriserait les liens d’affection, au détriment d’une filiation « encadrée » : un couple de femmes, ou un couple d’hommes, dont l’un est le parent biologique, et l’autre qui a éduqué l’enfant dans le cadre d’un projet parental commun.
Une comparaison des plus hasardeuse était faite au cours de ce colloque aux liens d’amitié : « Combien de fois, peut-on dire à propos d’un ami, il est pour moi comme un frère ou bien plus qu’un frère, elle a été pour moi plus qu’une mère… et pourtant ce lien d’amitié ne fait pas l’objet d’une reconnaissance juridique. Alors on pourrait crier au déni de la réalité, c’est scandaleux, ‘si je veux léguer mes biens à mon ami plutôt qu’à mon frère ou à ma sœur’… »
Là encore, l’amalgame est approximatif. Il n’est pas question de donner une réalité juridique à de simples lien d’affection, mais de faire jouer un critère légal, prévu par le Code civil, qui est celui de la possession d’état :
« La filiation est légalement établie, […] par l’effet de la loi, par la reconnaissance volontaire ou par la possession d’état constatée par un acte de notoriété ». Possession d’état également utilisée en cas de litige relatif à la filiation. Cette notion dépasse largement le cadre de l’affection, le juge étant attentif à plusieurs critères :
« La possession d’état s’établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.
Les principaux de ces faits sont :
1. Que cette personne ait été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu’elle-même les a traités comme son ou ses parents
2. Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation;
3. Que cette personne est reconnue comme leur enfant dans la société et par la famille;
4. Qu’elle est considérée comme telle par l’autorité publique;
5. Qu’elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. »
Illusion donc que d’imaginer une « multiparenté » à quatre, cinq ou six parents, issue de familles comptant un nombre indéfini de parents au fur et à mesure de l’évolution de sa composition.
Écouter les juristes plutôt que les lobbyistes
Il a été évoqué, enfin, l’hypothèse d’un referendum, sur le fondement de l’article 11 de la Constitution.
Si un clivage existe quant au possible recours à ce referendum en matière de réforme du droit de la famille, l’opinion majoritaire tend à exclure la possibilité d’un tel processus, la Constitution n’autorisant ce recours que relativement aux projets de loi « portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d’un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions ».
Il reste à espérer que le débat se départira de tensions amenant les partisans de l’un ou de l’autre camp à mettre en avant des arguments extrêmes et dénués de réalité juridique. Prendre le pouls de l’avis social est une chose, mais le travail du législateur doit se faire en fonction de l’avis de spécialistes, de juristes, et non de lobbyistes.
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[1] Le mariage « est la société de l’homme et de la femme qui s’unissent pour perpétuer leur espèce, pour s’aider, par des secours mutuels, à porter l poids de la vie, et pour partager leur commune destinée ». Il convient de rappeler que, lorsque les quatre rédacteurs ont élaboré le code civil, ils étaient loin d’imaginer ce que pourrait être la société deux siècles plus tard, raison pour laquelle le code a évolué depuis 1804.
[2] in Législation civile, commerciale et criminelle ou commentaire et complément des codes français, Jean-Guillaume Locré.
[3] Lexique des termes juridiques, Dalloz.