Mariage et divorce pour tous : mode d’emploi

DIVORCE GAY – Vous avez aimé le débat autour du mariage gay, vous allez adorer le divorce pour tous, dont un premier cas devrait être prononcé en novembre. Adoption, filiation, union, séparation, si la loi Taubira n’a fait qu’étendre la législation sur le mariage aux personnes du même sexe, ces nouvelles règles créent des situations inédites en France.

« On sent que c’est une nouvelle page du droit qui est en train de s’écrire, » confirme Stéphane Cola, responsable de l’annuaire d’avocats gay friendly, divorce-gay.fr. Signe avant-coureur de cette nouvelle donne avec laquelle il s’agit de composer, un tiers des requêtes qu’il reçoit concerne le droit de la famille, qu’il s’agisse de régularisation d’union conclues à l’étranger, ou de l’adoption d’un ou plusieurs enfants par le conjoint.

Quel rapport avec le divorce, est-on en droit de se demander? La réponse est… tout. Explications.

Divorce pour tous

En théorie, rien ne distingue un divorce hétéro d’un divorce homo. Le cas des deux femmes qui devraient divorcer le mois prochain en témoigne: mariées en 2011 aux États-Unis, « la seule formalité était de faire transcrire ce mariage conclu à l’étranger dans l’état civil français, ce que la loi Taubira permet, » confirme au HuffPost l’avocat du couple Me Rémy Rubaudo.

Pour le reste, continue-t-il, « tout se passe comme un divorce classique, il n’y a rien dans la loi qui devrait rendre les choses plus compliquées ». La procédure à suivre est la même: l’un des conjoints doit l’ouvrir le droit à travers la voix de son avocat, à l’autre ensuite de préciser sa modalité (consentement mutuel, acceptation de la rupture de mariage, divorce pour faute, divorce pour altération définitive du lien conjugal).

Même chose pour les biens communs qui restent régis par le régime matrimonial (dans le cas où l’union a été prononcée à l’étranger, c’est le régime matrimonial choisi par les époux qui s’applique, ou à défaut, le régime matrimonial légal du pays ayant abrité le premier domicile commun des époux), exactement comme pour un couple hétérosexuel.

La première génération de divorces pour tous devrait même être moins sujette au conflit que les autres, et pour cause, en moyenne, ils auront eu une durée de vie plus courte. « A priori, moins le mariage a duré, moins il a laissé l’occasion de créer un patrimoine ou des engagements patrimoniaux communs, et donc moins il y a de bataille judiciaire, » explique Me Florent Berdeaux-Gacogne, avocat au Barreau de Paris.

Avant la question du divorce, celle de l’adoption

Tout se complique évidemment avec les enfants. Si, là encore, il n’y aucune raison que l’application du droit soit différente, dans la pratique cela risque d’être plus compliqué. Car le droit est très clair: le juge saisi du divorce ne se prononce que sur les enfants du couple, c’est-à-dire les enfants dont les deux conjoints sont le parent. Seulement voilà, dans le cas de couples de même sexe, c’est rarement le cas.

« Dans de nombreux cas de figure, l’enfant ne sera celui que d’un des deux parents, confirme Me Florent Berdeaux-Gacogne. « Si l’enfant précède le mariage et que le deuxième parent n’a pas demandé d’adoption, cela peut poser problème, d’autant plus que l’adoption n’est pas possible dans tous les cas. »

Pour les couples qui ont un ou plusieurs enfants, avant de songer à divorcer, il conviendrait donc… d’adopter. Seulement voilà, l’adoption, ça ne marche pas à tous les coups.

« Si l’on prend le cas d’un enfant né à l’étranger dans le cas d’une GPA (gestation par autrui, interdite par la loi française), l’adoption par le deuxième parent apparaît totalement exclue puisque le juge garde, en la matière, un pouvoir d’appréciation. En l’état, la jurisprudence la plus récente lui permet de considérer que la GPA constitue une fraude, et qu’il convient en conséquence de refuser l’adoption, » explique Me Berdeaux-Gacogne.

Dans le cas d’une séparation où l’enfant n’aurait pas pu être adopté par le conjoint, le deuxième parent devrait alors soumettre aux juges une demande de droit de visite parallèlement à la procédure de divorce. Ce seul droit de visite, par ailleurs, reste beaucoup moins fort que le lien de filiation qui aurait pu résulter de l’adoption, puisqu’il ne s’accompagne pas de l’exercice de l’autorité parentale.

Dans celui où l’enfant serait né d’une mère et d’un père qui ne l’a jamais reconnu, le juge peut également refuser l’adoption au conjoint afin de laisser la porte ouverte à une éventuelle reconnaissance par le père biologique. En cas de divorce, le conjoint devrait alors lui aussi formuler une demande de droit de visite parallèlement au divorce.

Pas tous à la même enseigne

Tous les couples homosexuels ne seront donc pas logés à la même enseigne. Lorsqu’il y a coparentalité, alors que deux mères élèvent un enfant reconnu par son père biologique, la conjointe peut avoir recours à l’adoption simple. Lors du divorce, l’enfant pourrait alors être considéré par le juge comme celui du couple homosexuel.

Autre cas de figure mais même résultat lorsque l’enfant est né antérieurement dans un couple hétérosexuel. L’enfant a bien un père et une mère biologiques, ce qui rend l’adoption plénière par le conjoint impossible. Seule option envisageable alors, l’adoption simple (qui ne rompt pas la filiation avec les parents). De ce point de vue, pas de grand problème, elle peut ouvrir à une garde partagée en cas de divorce du couple homosexuel marié.

Reste l’épineuse et paradoxale question de l’insémination artificielle par don de sperme (IAD), légale, par exemple, en Belgique. Comme la GPA, la pratique est interdite en France, mais l’anonymat du donneur étant protégé par la loi Belge, la jurisprudence française tendrait à autoriser l’adoption par le conjoint, comme elle autorise la seule délégation-partage d’autorité parentale.

« On peut faire une demande d’adoption, mais je préviens toujours mes clientes du risque que cela représente puisqu’un juge peut toujours considérer le recours à l’IAD comme frauduleux, » prévient Florent Berdeaux Gacogne. Reste que si la procédure d’adoption réussit, en cas de divorce l’enfant serait considéré comme un enfant du couple, le juge peut donc statuer sur sa garde.

La garde ira-t-elle à la mère… ou à la mère?

La garde justement. On le sait, face aux couples hétérosexuels, le juge donne la résidence principale de l’enfant à la mère dans l’écrasante majorité des cas. Mais dans celui d’un couple de personnes du même sexe, les juges seront privés de cet automatisme.

« La décision ne pourra plus être fondée sur un des deux sexes – ce qu’elle n’était jamais de façon officielle, certes – pour savoir où réside l’intérêt de l’enfant. En préparant nos dossiers, nous devrons donc creuser davantage et être un peu plus objectifs, » prophétise Me Berdeaux Gacogne. Un constat qui selon lui va dans le bon sens, pour tous les enfants en cas de divorce.

« Paradoxalement, cette législation nous servira donc dans d’autres dossiers qui concernent cette fois-ci des couples hétérosexuels. Certains critères vont nécessairement être bousculés par cette nouvelle donne, » estime-t-il.

Pour l’avocat il n’en reste pas moins « fou » que la loi ait ouvert la question de l’adoption sans gérer la question de la filiation en dehors du mariage. « C’est une avancée mais elle n’est pas complète. Si la loi répond à un souci de protection de l’enfant, on n’est malheureusement pas allé jusqu’au bout. Il reste encore plein de choses à faire, » déclare Me Berdeaux Gacogne.

Alors que 4000 à 6000 personnes du même sexe, qui sont autant de candidats potentiels au divorce, vont désormais se dire oui chaque année en France l’avenir devrait lui donner raison.

Le HuffPost  |  Par Stanislas Kraland
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